Les 10 et 11 mars, le président/candidat Emmanuel Macron accueille à Versailles les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays membres de l’UE. Un sommet qu’il veut historique et déterminant, en pleine guerre d’Ukraine. Les Européens semblent prendre conscience que face aux périls qui les menacent, aujourd’hui celui d’une Russie belliqueuse et revancharde, les États-Unis ne sont pas ou ne sont plus l’allié le plus fiable. Mais l’Europe puissance ne restera-t-il pas un vœu pieux ?
Le présent comme le passé nous interdisent de mettre les États-Unis et la Russie sur un même plan. Mais telle pourrait être l’intérêt de l’Europe dans le futur. Un futur peut-être pas si lointain mais l’imaginer aujourd’hui relève tout de même d’une bonne dose d’utopie.
Le Sommet européen du jour se tient à Versailles, haut lieu d’histoire. Alors, faisons de l’histoire !
La Russie de Joseph Staline ne nous a pas sauvés du nazisme. Sans le débarquement allié, donc américain, en Normandie en juin 1944, la France aurait vraisemblablement troqué l’asservissement nazi contre celui de la dictature stalinienne. Malgré ses visées hégémoniques et ses interventions militaires intéressées, l’Amérique ne nous a jamais privés de notre liberté, de notre démocratie, de notre pays. Les valeurs de l’Europe et celles de l’Amérique sont largement communes, celles qui ont inspiré la déclaration universelle (mais originellement française) des droits de l’Homme comme la Constitution des États-Unis d’Amérique. Mais cette analyse est aujourd’hui plus romantique et historique que réaliste. Non seulement l’Europe n’est plus le premier centre d’intérêt géopolitique des États-Unis, mais les deux entités s’éloignent sur le plan identitaire. Les États-Uniens ne sont plus des Européens d’Amérique. Et par voie de conséquence, ils n’entendent pas mourir ni même souffrir pour l’Europe.
À certains égards, on peut même douter que les États-Unis, repliés sur eux-mêmes (ou tournés vers le Pacifique) depuis l’ère Obama, soient encore nos alliés. Ils ne manquent pas une occasion de nuire à l’Europe. Aujourd’hui, Washington encourage le boycott total du gaz russe, peut-être pour nous vendre à prix d’or son gaz de schiste. En tout cas pour nous affaiblir. Ce ne sont en effet pas les Américains qui en subiraient les conséquences. En matière de sanctions, ils sont maximalistes lorsqu’ils ne sont pas impactés. Sur le terrain géopolitique, ils encouragent l’extension de l’OTAN, ce qui est une indéniable source de tensions avec la Russie. Face aux Talibans, ils ont fui l’Afghanistan, non sans embarquer autant de réfugiés que possible, qui aspireront évidemment à rejoindre l’Europe.
L’ami américain a lâché ses alliés, surtout la France de François Hollande, lorsque Barak Obama décida in extremis de ne pas attaquer la Syrie dont le dictateur se livrait à des crimes de guerre contre sa propre population. Résultat : les Rafales français, sur le point de décoller, sont rentrés dans leur hangar, la guerre a fait près de 500.000 morts, et la Syrie est aujourd’hui russe.
L’ami américain nous a aussi lâché lorsque Donald Trump a bruyamment manifesté à de multiples reprises son mépris pour l’Europe, voire le monde quand il décida de sortir des accords climatiques de la COP21. Certes, on peut admettre qu’il soit du devoir de tout dirigeant de veiller d’abord aux intérêts de son pays et de sa population, charité bien ordonnée commençant toujours par soi-même. L’adage devrait aussi valoir enfin pour l’Europe.
L’Europe est un continent désuni, sans politique commune, sans armée puissante. Mais même après le Brexit, l’UE demeure une méga puissance économique, intellectuelle, culturelle. Elle peut se réveiller, prendre conscience de l’impérieuse nécessité de s’unir face à l’adversité. Ce ne sont pas les nationalistes, recroquevillés sur eux-mêmes, nostalgiques d’une grandeur irrémédiablement perdue, qui proposent la juste solution. Face à la Russie, la Chine, les États-Unis, face aux GAFAM américains et BATX chinois, la France n’est pas grand-chose (moins de 3 % du PIB et moins de 1% de la population mondiale).
Si l’ami américain n’existe plus, s’il n’est pas notre ennemi, mais notre adversaire, notre concurrent féroce, qui aspire à nous affaiblir, alors, nos amis sont allemands, italiens, espagnols… Hélas plus anglais, ceux-ci se comportant de plus en plus comme des valets des États-Unis. L’Europe continentale de l’Ouest doit être notre horizon commun, sans quoi chaque pays du Vieux Continent deviendrait proie ou vassal d’un prédateur.
Saurons-nous en prendre conscience et nous doter d’institutions permettant de l’atteindre ? On peut en douter. Le semblant d’union sacrée suscitée par l’invasion russe de l’Ukraine risque de faire long feu, lorsque la tension militaire s’atténuera et que les intérêts nationaux ne convergeront plus. On le sent déjà sur les sanctions infligées à la Russie. Les droites nationalistes nous promettent que l’Europe de Nations, par opposition à celle de Bruxelles, sera la solution. Ce serait plutôt l’Europe des nationalismes, des égoïsmes, de la concurrence entre plus effrénée entre pays.
Les 27 se réunissent donc à Versailles. Sursaut salvateur en vue d’un nouveau traité européen ? Ou chant du cygne en prélude à un déclin civilisationnel irrémédiable ? Le pire n’est jamais certain. Voilà qui nous consolera !
Michel Taube