Dans un souhait d’imposer la propagande des médias inféodés comme seul récit officiel de l’invasion russe en Ukraine, Vladimir Poutine a interdit Facebook sur tout le territoire russe et restreint l’accès à Twitter, principales plateformes d’opposition à la désinformation exercée par Moscou.
Se couper des réseaux sociaux, non pas pour s’éloigner des fake news, mais plutôt pour les privilégier. Telle a été la décision du Kremlin en bloquant, vendredi 4 mars, l’accès à Facebook dans le pays grâce à son service de supervision des communications, Roskomnadzor. Il en est de même pour la plateforme Twitter, qui ne fait, pour l’instant, pas l’objet d’une coupure officielle, mais dont le fil d’actualité aurait été gelé d’après plusieurs journalistes de l’AFP présents en Russie.
L’organisme de modération Roskomnadzor motive sa décision en raison de la tendance « délibérée » de Facebook à discriminer les médias russes. Dernier exemple en date : les médias Russia Today et Sputnik, tous deux financés et éditorialisés par le Kremlin, n’apparaissent plus sur le réseau social Facebook en Europe. La télévision du ministère de la Défense Zvezda, et l’agence de presse Ria Novosti, sont aussi dans le collimateur de Facebook.
Et pour cause : pour Facebook, la censure des organes de presse du Kremlin se justifie par la transmission de fake news sur la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. En effet, les journalistes russes à la solde du Kremlin préfèrent parler d’opération spéciale que de guerre ou d’invasion de l’Ukraine lors des JT. « L’ opération russe » s’effectuerait en réponse aux « politiques meurtrières de groupuscules ukrainiens nationalistes », selon les présentateurs. Un vocabulaire fort et pernicieux, qui légitime les fausses informations prorusses accusant les Ukrainiens d’être les précurseurs du conflit, comme l’explique Le Monde dans une vidéo. Sans oublier que le langage adopté suggère que l’Ukraine a toujours été une propriété russe, ses militaires n’étant que des extrémistes insignifiants, d’après l’emploi des mots « groupuscules » et « nationalistes ».
Youtube également censuré ?
L’alibi dont se sert la Russie pour attaquer l’Ukraine est donc fabriqué de toutes pièces. Aucune scène de guerre, ni de bombardement, ne circule parmi les journaux télévisés. L’intervention militaire aspirerait à « libérer l’Ukraine » d’un « gouvernement nazi », sans plus d’explications. Un mensonge éhonté auquel se confrontent pourtant les Russes devant leur téléviseur. Néanmoins, une faible part de Russes utilisaient couramment Facebook, notamment pour s’informer. Ils seraient 7,5 millions sur une population de 144 millions d’après le cabinet d’études eMarketer, et habiteraient majoritairement dans des grandes villes. Avec la coupure officielle du média social, ses utilisateurs sont désormais un peu plus déconnectés de la réalité.
Les alternatives à la propagande russe pour s’informer s’amenuisent donc. Il existe bien les réseaux sociaux russes Vkontakte et OK, mais tous deux sont aussi contrôlés par le Kremlin. Au vu du contexte, Youtube se place comme le dernier moyen d’information alternatif. Beaucoup de médias indépendants et d’opposants s’en servent pour diffuser leurs reportages et opinions, mais plus pour longtemps. Vendredi 4 mars, Vladimir Poutine a signé un texte punissant jusqu’à 15 ans de prison les « informations mensongères » sur l’armée russe en Ukraine. Le texte concerne les journalistes ne reprenant pas les dépêches officielles du gouvernement, et qui seront dorénavant poursuivis en justice d’après la loi. Une façon de décourager les dissidents au Kremlin qui voudraient relayer un contenu différent de la propagande orchestrée par l’Etat.
Exclure le Kremlin d’internet oui, les Russes non
Le muselage volontaire, opéré par le Kremlin, intervient en même temps que l’indignation de Kiev à l’égard de l’Union européenne. La quasi-totalité des personnalités ukrainiennes réclame des mesures de déconnexion majeures à l’encontre de la Russie. Au-delà de Facebook et Twitter, les porte-paroles de Kiev désirent la coupure d’Instagram, Netflix, voire même d’internet dans sa totalité. Netflix a d’ailleurs décidé de couper tout accès en Russie depuis lundi dernier.
Face à de telles contraintes, Cogent Communications, le principal fournisseur d’accès à internet américain en Russie, a décidé d’interrompre ses services dans le pays dimanche 6 mars.
Une double censure à double tranchant
Face à ces déferlantes de mesures de censure réciproque, il faut se demander si cette surenchère n’avantage pas en réalité le Kremlin. Déconnecter la Russie d’internet et des médias sociaux pourrait être en effet contre-productif pour la société civile qui essaie de se battre dans cette guerre de l’information.
La TV étrangère "oblige les Occidentaux à reconnaître qu'il existe d'autres manières de voir la réalité", disait Wolton en 2003. Censurer la propagande adverse, oui. Mais garde, dans cet élan, à ne pas nous couper de tout ce qui dérange notre point de vue. https://t.co/wqfuqiuC33
— Guillaume Champeau (@gchampeau) March 1, 2022
Même si la part de la population s’informant autrement que par les médias d’Etat s’avère faible, l’opinion publique en Russie n’est pas exclusivement pro-Poutine. Il est toutefois important de préciser que la liberté d’expression des citoyens russes se restreint considérablement depuis 2014. La place des Russes dans le débat politique s’amenuise à mesure que le discours patriotique hostile à l’Ukraine et aux Occidentaux gagne en puissance. Or, bloquer Instagram, l’un des derniers médias sociaux au contenu non soumis à la propagande du Kremlin, reviendrait à se détourner totalement de l’information objective. Pire encore en cas de coupure d’internet, les organes de presse de l’exécutif russe auraient le champ totalement libre. Si Vladimir Poutine fait des mille et des cents pour manipuler son peuple, l’Union européenne doit à tout prix éviter la surenchère de la censure incitée par le Kremlin.
Noé Kolanek