Jean Monnet avait raison : c’est toujours en période de crise que l’Europe se réveille et se construit. Entre Versailles aujourd’hui et Bruxelles à la fin du mois de mars, les 27 chefs d’Etats et de gouvernements ont le destin politique de l’Europe entre leurs mains. Et cette crise
Pour le moment, l’Europe n’est qu’une puissance économique et mise sur des solidarités concrètes : la monnaie unique pour quelques-uns, le droit communautaire et la liberté de circulation des personnes, des biens et des capitaux, quelques tentatives plus ou moins fructueuses dans la gestion de la crise Covid, la possibilité (enfin !) pour l’Union d’emprunter sur les marchés financiers.
Et voilà que dans la guerre russo-ukrainienne, l’Europe dégaine l’arme économique avec des sanctions d’une fermeté qui aura surpris tout le monde.
Mais à Versailles, c’est l’histoire qui a une chance de se réécrire. Car revenons aux sources ! Contrairement à ce que disent la plupart des observateurs et des acteurs européens, initialement, c’est le politique et non l’économique qui devait fonder la construction européenne. Et pas que le politique ! Le militaire également !
On a oublié qu’en 1954 le projet de CED, la Communauté Européenne de Défense, qui prévoyait en annexe un traité politique européen (mais, oui, rien que cela), avait été rejeté par la France du grand Pierre Mendes-France, alors que les Allemands y étaient prêts !
C’est pour dépasser cet échec de la CED qu’est née la CEE (Communauté Économique Européenne) devenue ensuite Union Européenne. On a donc pris la voie économique qui a fait oublier le ressort politique initial.
Entre temps, paradoxalement, l’élargissement de l’Union Européenne à l’est, fondé sur la liberté retrouvée de ces peuples européens, a affaibli la force politique de l’Union. La technocratie, les décisions impossibles à 27, des réformes institutionnelles dantesques, le Brexit ont dénaturé ce « machin » devenu incompréhensible.
Mais la guerre déclenchée par la Russie de Poutine a changé la donne et les Ukrainiens ont réveillé notre conscience européenne ! L’heure est peut-être venue de revenir à la source : le projet de défense et d’union politique est-il encore possible ? La France a tout à y gagner car, seule puissance nucléaire de l’Union, elle en assurerait un leadership incontesté qui contre-balancerait la domination économique de l’Allemagne.
En 2019, un sondage Odoxa pour le Parisien montrait que 60% des Français se disaient pour une armée européenne. Qu’en pensent aujourd’hui les Polonais, les Roumains, les Baltes ? Seront-ils prêts, comme l’ont fait les Français au Mali et en Afghanistan, à envoyer des soldats mourir pour l’Europe, comme le propose Emmanuel Macron ?
La menace de la Russie suffira-t-elle à forger une conscience politique européenne ?
C’est tout le défi des chefs d’Etats européens réunis à Versailles. En cas de nouvelle déception, c’est la capacité d’Emmanuel Macron à porter haut et loin ses idées européennes qui en sera longtemps mise à mal.
Michel Taube