Puisqu’Emmanuel Macron propose des Conférences citoyennes sur des enjeux précis mais clivants, comme le droit de mourir dans la dignité, proposons un grand débat démocratique pour prendre à bras le corps un fléau de notre société qu’aucun gouvernement n’a osé traiter autrement qu’en répétant échecs sur échecs.
Est-il d’ailleurs ne serait-ce que possible d’aborder la législation des drogues, en particulier le cannabis, sans aveuglement idéologique ou dogmatique ? La question mérite mieux. Elle doit être abordée sereinement sous différents angles, en particulier sanitaire, sécuritaire et économique. Elle peut même l’être sous celui des libertés, car avec 5 millions de consommateurs estimés, quelle est la légitimité de la répression ? Si on en croit la communication gouvernementale en fin de quinquennat Macron, le consommateur serait le premier responsable, et il faudrait donc également qu’il soit déclaré coupable et sanctionné comme tel. Sans demande, il n’y aurait pas d’offre, pas de trafiquant, pas d’assassinat… Le raisonnement est simpliste. D’aucuns rétorqueraient que le produit est moins dangereux que l’alcool et les neuroleptiques, mais que les dealers ne sont pas les mêmes ! Evidemment, un monde sans drogue serait souhaitable. Mais pas sans alcool, qui fait notamment vivre nos viticulteurs ? Il est pourtant, après le tabac, le plus grand facteur de mortalité évitable. 5 millions de consommateurs de cannabis, mais aussi 5 millions de personnes malades de l’alcool, médicalement, psychologiquement ou socialement. Et si l’on parlait des jeux, sportifs, de hasard et autres ? Des addictions qui font des ravages parmi les jeunes.
Le déni de réalité ne peut conduire qu’à une impasse. En matière de législation sur le cannabis, la France, parmi de nombreux autres pays, est dans une situation qui rappelle la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis de 1920 à 1933 : lorsque la demande atteint un certain niveau, il existe toujours une offre pour la satisfaire, qu’elle soit légale ou non. La répression des usagers, quelles que puissent être les bonnes raisons qui la justifie, en perd effectivement sa légitimité démocratique. Car ce sont en réalité bien plus de 5 millions de Français qui ont déjà goûté au fruit défendu : environ un tiers des adultes français et plus de 40 % des jeunes ont expérimenté le cannabis, selon diverses études. Aujourd’hui, il n’est pas inconcevable que le député qui vote la loi, le ministre qui la porte, le policier qui interpelle ou le magistrat qui sanctionne soient eux-mêmes consommateurs de cannabis. Certes, la législation a évolué, non pas en dépénalisant l’usage, mais en substituant à la procédure correctionnelle inapplicable une amende forfaitaire. Emmanuel Macron et la droite républicaine et extrémiste (à part Eric Zemmour qui a fait montre de plus de réalisme), souhaitent-ils faire marche arrière ?
Le droit doit-il prendre acte des évolutions de la société et des mœurs et s’y conformer ou, au contraire, doit-il s’ériger en bouclier censé la protéger de ses propres dérives ? Eternelle question qui ne peut se satisfaire d’une réponse unique et dogmatique. En l’espèce, la question est également économique et budgétaire, d’autant plus que sur la recommandation d’Eurostat, l’organe statistique de l’Union européenne, l’INSEE a intégré le commerce de la drogue à l’évaluation du PIB. Il représenterait trois milliards d’euros par an.
Le cannabis est un psychotrope dont la dangerosité est confirmée par toutes les études, du moins en cas de forte consommation, en particulier chez les jeunes : effets sur la santé, notamment sur le bon fonctionnement du cerveau, incidences comportementales pouvant aller jusqu’à la léthargie, l’isolement, voire la dépression. Ce constat doit néanmoins être nuancé, car on ne saurait prétendre qu’un tiers des Français seraient des loques dépravées, pas davantage que la majorité d’entre eux sont des alcooliques ou des ivrognes.
En revanche, la nuance n’a pas sa place lorsqu’il s’agit de lutter contre une consommation de plus en plus massive de cannabis par des usagers de plus en plus jeunes. Dans certaines zones urbaines et suburbaines, il n’est pas rare que des lycéens voire des collégiens arrivent à l’école dès le matin dans un état second, ce qui est en soit une forme de déscolarisation, en tout cas de désocialisation. Contrairement à ce que l’on entend parfois, ce ne sont pas les dealers des cités qui vendent et les bourgeois des beaux quartiers qui consomment. Pour ces derniers, le risque sanitaire est majoritairement mesuré et rarement irréversible. Quant au risque social, il est en général maîtrisé dans les quartiers “bourgeois” (par opposition aux cités), les adolescents y étant bien moins souvent livrés à eux-mêmes. Il en va autrement dans lesdites cités, où la consommation généralisée, massive, dès l’adolescence et parfois avant, contribue à l’échec scolaire, à la marginalisation, et à la récupération des jeunes victimes par les trafiquants et l’islam politique, lesquels font d’ailleurs très bon ménage.
Quand bien même considérait-on que le cannabis est la plus dangereuse des substances, on ne peut ignorer l’échec de l’approche française à tous les niveaux : sanitaire, budgétaire, sécuritaire… Les études effectuées sur le sujet classent les Français, les jeunes en particulier, parmi les plus gros consommateurs du monde. Le gouvernement, incarné en cette matière par le ministre de l’Intérieur, roule les mécaniques (“la drogue, c’est de la merde”, disait Gerald Darmanin) et décrète qu’il va terrasser les dealers par des opérations coup de poing et une présence policière massive sur les points de deal. Il explique que les fusillades et autres actes de banditisme subis par les forces de l’ordre sont la preuve de l’efficacité de cette politique.
Est-ce de la mascarade ou de l’incompétence ? Les moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour venir à bout du trafic de cannabis, sans parler des autres drogues bien plus dangereuses dont on ne s’occupe quasiment pas, notamment le crack à Paris, sont immenses : des milliers, peut-être des dizaines de milliers de policiers, des magistrats, des établissement pénitentiaires… Et même là, l’ampleur de la demande, donc du marché, et la diversification de l’approvisionnement (drive in, sites internet, réseaux sociaux…) n’y suffiraient pas. En cela, nous sommes réellement proches de l’échec de la prohibition de l’alcool dans le Chicago d’Al Capone. Aux États-Unis, précisément, les États qui ont légalisé le cannabis ont globalement observé une stagnation de la consommation, un recul de la délinquance et d’importantes rentrées fiscales.
Nous sommes résolument our une licence IV de distribution du cannabis et des drogues, bref une nationalisation de leur commercialisation qui tuerait dans l’oeuf les trafics noirs, gris, mafieux et de plus en plus islamistes.
En effet, la vraie question n’est pas celle de la dépénalisation de l’usage, mais celle de la distribution d’un produit disponible à profusion. A ce jour, le lien de corrélation entre la législation et la consommation reste à établir. Si l’on écarte l’option du tout répressif, détruire ou même réduire significativement l’ampleur du marché noir ne peut faire l’économie d’une légalisation encadrée de la distribution, sous contrôle de l’État, voire dans certains cas de la production. La licence IV du cannabis, en somme.
À prix cassés par rapport à ceux du marché noir, les taxes seraient encore une véritable manne pour les finances publiques, manne qui pourrait notamment être affectée à donner une formation et du travail à ceux – les petits dealers – qui en auraient été privés par la légalisation, la nationalisation en somme, de la distribution. En parallèle, il faudra affecter une partie de cette manne à la construction de prisons modernes, facilitant la réinsertion des délinquants, et de centres éducatifs fermés pour les mineurs, tout en expulsant plus systématiquement les dealers étrangers. La première légitimité de la répression est l’offre d’alternatives éducatives et préventives. Ceux qui refusent la main tendue doivent en payer le prix.
Il faut cesser de s’entêter, et réfléchir aux alternatives expérimentées avec succès dans d’autres pays. Sans doute est-il difficile pour un État d’endosser le costume du dealer, mais n’est-ce pas déjà le cas au regard des quelque cinq millions d’alcooliques que compterait la France ? Si la répression n’apporte aucune avancée en termes de santé publique, les avantages économiques de la légalisation de la distribution pourront-ils encore être ignorés ? D’ailleurs, pourquoi ne pas pousser plus loin ? La production de cannabis pourrait contribuer au développement des départements d’outre-mer, au climat propice à cette culture. La France en deviendrait ainsi exportatrice pour les usages lucratifs et thérapeutiques, avec des labels de qualité ou labels bio qui pourraient faire référence.
Parmi les adeptes de la légalisation, certains suggèrent de vendre un produit moins fort et plus cher que ce que propose le marché noir. Quelle ignorance des fondements de l’économie ! Voudrait-on aider le marché noir qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Idéalement, c’est le contraire qu’il faudrait faire, le temps de casser le marché noir. Après, il sera temps de jouer sur les prix et la teneur en produits actifs, sans aller jusqu’à permettre aux dealers de retrouver leur légitimité aux yeux des consommateurs.
Bien entendu, les alcooliers feraient entendre leur voix, tout comme d’innombrables associations, politiques, policiers, magistrats et médecins… : « la drogue, c’est mauvais ! ». Certes, dans l’absolu, ils ont raison. Mais ce raisonnement est un peu court, à la lumière de tous les autres facteurs, dont certains ont été rappelés dans ces lignes. Il y a tant de drogues licites (alcool, tabac, médicaments…), de comportements addictifs (les écrans, les réseaux sociaux, la télévision…) qu’une analyse dogmatique ou fondée sur des considérations corporatistes ne peut déboucher que sur le statu quo, pour la plus grande joie des trafiquants grands et petits, et du grand banditisme, parfois du djihadisme qui s’en nourrit.
Si de nombreux critères plaident en faveur d’une légalisation de la distribution du cannabis, voire de toutes les drogues (les consommateurs sont des malades avant d’être des délinquants), on ne saurait toutefois éluder le fait que les trafiquants ne renonceraient pas si facilement à cette manne financière. Dans quoi se reconvertiraient-ils ? Mittrailleraient-ils les points de vente légaux ? Se lanceraient-ils dans le trafic d’organes, d’armes, de drogues dures ? Ces questions doivent être abordées, mais on peut douter de la capacité des politiques à y apporter une réponse pragmatique. A Paris, les dealer de crack, substance pourtant infiniment plus dangereuse que le cannabis, officient au grand jour, devant des policiers impassibles, pour ne pas dire sous la protection de la police. Comment dès lors imaginer que l’on puisse arrêter le trafic de cannabis, si on n’est pas capable d’écarter une poignée de revendeurs de crack, pour l’essentiel Sénégalais ?
Hélas, la drogue est instrumentalisée par les politiques, qui ne semblent avoir aucune véritable intention de la combattre efficacement, sans quoi ces dealers de crack auraient été arrêtés et expulsés depuis longtemps, et la légalisation de la distribution du cannabis examinée comme solution possible, et non agitée comme épouvantail par un président de la République que l’on croyait (ou qui se croyait) plus “moderne” et pragmatique, et un ministre de l’Intérieur qui semble de plus en plus dépassé par les événements.
Une récente mission parlementaire, transpartisane, avec Caroline Janvier, Robin Reda, Jean-Baptiste Moreau et Ludovic Mendes, a récemment tenté d’ouvrir le débat sur le cannabis. Seule une Convention citoyenne apaisée permettrait de dépasser les postures et de trouver les meilleurs solutions à ces fléaux que sont les drogues. Mais une chose est sûre : l’Etat doit s’emparer et contrôler lui-même des substances et des trafics qui tuent nos enfants à petits voire grands feux.
Michel Taube