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11H53 - jeudi 24 mars 2022

Les enseignants, pierre angulaire de l’éducation en Asie 

 

Prépondérants dans de nombreux domaines, le Japon, Singapour et la Corée du Sud ne sont pas en reste dans le domaine de l’éducation. La Corée et le Japon sont respectivement les second et troisième du classement international de l’enseignement des mathématiques et des sciences, alors que la France y figure avant-dernière. Dans les matières littéraires, la France grimpe à la 23ème place, mais reste loin derrière les trois autres pays asiatiques. Comment de tels écarts dans l’éducation existent-ils et pourquoi les pays cités sont-ils plus performants que le nôtre ?

Valorisation salariale et formation continue pour mots d’ordre

Contrairement aux enseignants français, les professeurs japonais, sud-coréens et singapouriens sont bien mieux valorisés et bénéficient d’une meilleure formation. De nombreuses disparités persistent entre nos pays sélectionnés et la France, conduisant irrémédiablement à des écarts de résultats. 

Jose Weinstein et Macarena Hernández, deux universitaires, ont rédigé en 2015 un ouvrage intitulé « l’Amérique latine et les succès des politiques éducatives des tigres asiatiques », et ont recensé trois points fondamentaux d’une éducation réussie. Premièrement, une « reconnaissance salariale compétitive et comparable à d’autres métiers » permet aux éducateurs de se sentir valorisés. Ils sont également assujettis à des “programmes formels de formation continue pour les instructeurs novices”, permettant de tirer le meilleur de leurs compétences. Ainsi, près de 90 % des instituteurs asiatiques ont participé à des formations alors qu’ils occupaient leur premier poste. 

Enfin, “l’offre d’opportunités variées de développement et d’apprentissage professionnel continu à l’intérieur et hors des écoles” leur permet de s’adapter aux capacités d’apprentissage des élèves. Les trois points sont tous intégrés aux politiques éducatives de Singapour, Corée du Sud et du Japon : des “rencontres de chercheurs, des observations et visites d’autres écoles, la participation à des réseaux ou l’appui de tuteurs” sont des ateliers largement répandus parmi les enseignants. De même, les Asiatiques ont plus de perspectives que les Français, et sont très peu engagés en temps partiel (10 % au Japon, 6 % à Singapour, 5 % en Corée du Sud contre 15 % en France). Si les instructeurs français préfèrent le temps partiel pour ne pas se voir imposer des heures supplémentaires, le suivi des élèves demeure plus difficile à établir lorsque les professeurs ne sont pas réguliers.

La stabilité des maîtres est notamment assurée par une pratique généralisée du CDI avec augmentation des salaires. En moyenne, un professeur de lycée en Corée du Sud débute avec 26 000 euros par an, qui peuvent monter à 44 000 en fonction de l’expérience, et jusqu’à 53 000 euros pour un Japonais. Grand avantage des Japonais, les « mois de bonus », qui peuvent correspondre à quatre salaires de plus par an. Pour les Français, le salaire moyen varie de 26 000 à 34 000 euros, en fonction de l’ancienneté et la discipline. Résultat, moins de 9 % des professeurs français estiment que leur travail est valorisé dans la société, à l’inverse des Sud-Coréens et des Singapouriens (70 %). Et pourquoi donner de l’importance à son travail lorsque la société le refuse ?

 

L’école a un devoir d’éducation inaliénable

Le Youtubeur Louis-san vit la moitié de l’année au Japon, et relate toutes les semaines des faits de société japonaise pour le plus grand plaisir de son audience. En novembre 2021, il publie une vidéo centrée sur les instituteurs japonais et leur relation avec les élèves. Au pays du Soleil-Levant, ils sont formés pour devenir « de véritables couteaux suisses », afin d’être capables de prendre en charge une classe dans toutes les situations. Toutes les matières scolaires sont étudiées durant leur formation et ils sont supervisés durant trois ans (après obtention de leur diplôme) par des professeurs plus expérimentés. Très impliqués, ils consacrent en moyenne huit heures extrascolaires à leurs classes par semaine, contre une heure pour les enseignants français. Ils deviennent alors la seconde famille des élèves, une figure d’autorité qui prévaut parfois sur les parents d’élèves. « L’école a un devoir d’éducation, et forme les citoyens capables de s’intégrer à la société japonaise », explique Louis-San. En conséquence, il revient à l’école et non aux parents de planifier l’enseignement des enfants. Une réalité que la France n’a toujours pas acquise, et encore moins nos parents d’élèves.

Soutenir les professeurs pour mieux accompagner les élèves

Le TALIS, Teaching and Learning International Survey, interroge les instituteurs des collèges et lycées du monde entier pour mesurer l’impact des politiques de chaque pays sous la direction de l’OCDE. Tous les cinq ans, nos trois pays asiatiques fanfaronnent en tête du classement. La dernière étude publiée remonte à 2018, et la prochaine sortira en 2023. Mais selon le dernier rapport, la France n’arrive pas à fournir un soutien pérenne à ses instructeurs : 17 % d’entre eux ont eu un tuteur en début de carrière, contre 40 % au Japon et plus d’un prof sur deux à Singapour. Si “la quasi-totalité des enseignants asiatiques ont achevé un programme de formation continue (94,5 % pour les trois pays)”, à peine 60 % de nos éducateurs du secondaire en bénéficient, sur moins de 3 jours par an. Seulement un tiers des Français ont reçu des commentaires sur leur travail au minimum par 4 acteurs de l’éducation, face à 75 % pour les Sud-Coréens et 78 % pour les Singapouriens. Les Français se retrouvent plus facilement seuls face à leurs classes et établissements, de quoi en décourager plus d’un.

Le respect octroyé à la parole et aux conseils des maîtres d’école reste également primordial dans les sociétés asiatiques. Ainsi, environ 50 % des enseignants de Singapour considèrent avoir un poids dans les politiques éducatives de leur établissement, mais la France peine à atteindre les 10 %. Néanmoins, toujours selon TALIS, tout n’est pas tout rose pour les professionnels de l’éducation de l’autre côté de la planète. Une forte pression s’exerce sur eux et leurs élèves, pression qui se ressent durablement : 35 % de Sud-Coréens changeraient d’établissement si c’était possible, et 16 % se disent “très stressés” par leur profession. Pire, un Coréen sur 10 estime que son travail a “un fort impact sur sa santé mentale.”  

En réponse, la Corée du Sud a mis en place des “centres de soutien psychosocial » pour les enseignants sur tout le territoire. Ils ont “pour mission d’aider les professionnels de l’éducation victimes de harcèlement ou d’intimidation et de prévenir toute atteinte à leurs activités pour protéger leurs droits.” La France demeure pour l’instant incapable de protéger ses professeurs, qui ne peuvent effectuer leur mission dans la paix et le respect.

Sous-payés, peu soutenus, mal accompagnés, pas écoutés… Les obstacles s’enchaînent pour les enseignants français, et les conséquences se ressentent durablement sur le niveau du système éducatif du pays. De nombreux exemples sont pourtant à suivre et offriraient une meilleure place à l’éducation dans notre société. Ils seraient temps d’écouter un peu plus ceux qui nous apprennent à vivre en société pour la voir perdurer.

Maud Baheng Daizey