Invitée coutumière des campagnes électorales, la question de la gratuité des transports en commun occupe, une nouvelle fois, le devant de la scène. La mesure, clairement séduisante à l’échelle locale, s’imposerait pourtant avec difficulté dans toutes les grandes agglomérations si elle venait à se répandre.
« La gratuité, ce n’est pas gratuit ». Tandis que 30 collectivités françaises songent à ne plus faire payer les usagers de leurs réseaux urbains, un rapport du Gart (Groupement des autorités responsables de transport) rappelle l’évident coût financier qu’impose la gratuité des transports en commun. À Nancy, depuis le 1er mars 2022, emprunter les trams et les bus de la métropole se fait sans titre de transport pour les moins de 18 ans. Aussitôt la décision rendue publique, les Nancéiens ont interrogé le maire de la ville Mathieu Klein sur la possibilité d’étendre la mesure à tous les usagers. Question à laquelle l’élu PS a répondu : « La gratuité aux moins de 18 ans représente 630 000 à 640 000 euros en moins dans les caisses de la métropole chaque année », lors d’un live sur un réseau social.
Une telle perte de recettes tarifaires n’est pas permise dans toutes les communes. Les revenus de billetterie composent, avec l’argent des collectivités et le versement mobilité acquitté par les employeurs, les trois seules sources de financement des transports urbains. Cette dernière est une contribution locale des entreprises, perçue par l’Urssaf, l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, qui la reverse ensuite aux collectivités territoriales chargées des transports.
Sur les « 30 réseaux ayant fait le choix de la gratuité », selon l’étude du Gart — de Grenoble à Lille en passant par Nantes et Rouen — seules Dunkerque et Calais sont passées à la gratuité totale. Les villes du Nord seront bientôt rejointes par Montpellier, dont le réseau, déjà partiellement gratuit, ne requerra plus de billets d’ici fin 2023. Les autres appliquent ou songent à appliquer une mesure plus modérée.
Les particularités des réseaux partiellement ou entièrement gratuits
Dans son rapport, le Gart a réussi à identifier trois caractéristiques communes aux réseaux payants avant qu’ils deviennent en partie ou totalement gratuits : « un taux d’utilisation du réseau urbain », « un niveau de recettes tarifaires » et « une part modale des transports publics » tous les trois « faibles ». La part modale chiffre la proportion de personnes utilisant un mode de déplacement donné, en l’occurrence les transports en commun, parmi tous les types de véhicules possibles.
Plusieurs explications à ce constat : d’abord, lorsque l’enjeu financier de la billetterie est maigre, le réseau peut s’en priver. Dans ce cas de figure, ses deux autres sources de financement peuvent prendre le relais. Ce n’est cependant pas le cas de toutes les infrastructures.
Par exemple, 10 % du financement du réseau urbain de Dunkerque provenait de sa billetterie avant qu’il soit rendu gratuit. De l’autre côté, à Lyon, la pérennité des transports publics dépendent à 50 % des recettes tarifaires. Impossible dans cette situation d’envisager la gratuité totale des infrastructures lyonnaises sans risquer leur faillite. La troisième ville la plus peuplée de France a, de fait, privilégié une gratuité partielle.
🇫🇷 FLASH – Les #transports en communs du réseau #TCL seront gratuits dès le 01/01/2021 pour 130 000 individus sur justificatif :
– ceux au #RSA
– ceux avec allocation handicapé / personnes âgées
– demandeurs d'asile / titre de séjourCoût estimé : 10-12M d'€.
(Sytral) #Lyon
— Mediavenir (@Mediavenir) November 23, 2020
De plus, la part modale des transports en commun, à savoir le pourcentage de voyageurs empruntant les bus, les trams et les métros de la ville, risque de gonfler en devenant gratuit. Moins d’usagers choisiront d’utiliser leur véhicule personnel, au profit des transports publics. Les élus doivent donc s’assurer que cette part n’excède pas un certain seuil avant le passage à la gratuité du réseau urbain.
De même pour le taux d’utilisation des transports en commun. En cas d’un pourcentage d’utilisation élevé, ne plus payer les transports rendrait la demande de déplacements supérieure à la capacité du réseau. Les experts du trafic parlent dans cette situation de congestion urbaine.
Les effets du passage à la gratuité
Le pouvoir d’achat étant une priorité des Français, réduire à zéro le coût d’usage des transports publics les inciteraient à les utiliser. Le bond de fréquentation se ferait immédiatement ressentir. A Dunkerque, le taux d’utilisation des bus a augmenté de 85.5 % en un an depuis qu’ils ne sont plus payants.
#Dunkerque, 200 000 habitants, vient de rendre gratuit l'ensemble du réseau de transport en commun de l'agglomération. Ça semble bon niveau social, économique et écologique. pic.twitter.com/XcJYmI2GTL
— Alexandre Scheuer φ🔻🐢 (@AlecxJPS) September 7, 2018
Plus un réseau urbain s’engage à devenir gratuit, moins la pollution atmosphérique est présente. Dans une étude de l’Agur, L’Agence d’urbanisme et de développement de la région Flandre, « 48 % des nouveaux usagers à Dunkerque prenaient auparavant la voiture pour se déplacer ». Leurs habitudes ont changé depuis l’instauration de la gratuité du réseau. 10 % d’entre eux ont même revendu leur véhicule personnel.
Des avantages à nuancer
Ce report modal de la voiture individuelle vers les transports en commun peine à être mesurée de façon globale selon le Gart. Mis à part le rapport de l’Agur, « les seules études quantitatives faites sur ce sujet reposent sur l’application de modèles mathématiques, et non pas sur des mesures de la réalité des déplacements ». Si le taux d’utilisation des transports publics a autant augmenté à Dunkerque, c’est également parce que « l’offre de transports a été améliorée depuis sa gratuité », détaillent les auteurs du diagnostic.
Globalement, l’enquête conclut que la poursuite du « développement des réseaux urbains », à la fois en matière d’accessibilité, de renouvellement et de transition écologique, « garantit plus le dynamisme des transports publics que leur gratuité ». La gratuité des transports en commun permet donc de rendre plus attractif le réseau urbain, tout en prenant en compte les impératifs écologiques. À condition, bien sûr, que les infrastructures soient adaptées à un public élargi.
Noé Kolanek