Outre-Mer
13H48 - jeudi 31 mars 2022

Lettre d’un Français d’Outre-mer au prochain Président de la République

 

Emmanuel de Reynal

Madame la future présidente de la République,

Monsieur le futur président de la République,

 

C’est un citoyen français de Martinique qui vous écrit aujourd’hui afin de partager avec vous quelques réflexions pour nourrir votre projet présidentiel. Je vous écris depuis cette terre de France que la géographie éloigne du cœur parisien, mais qu’elle rapproche du vaste monde.

La campagne électorale se déroule aujourd’hui dans le vacarme assourdissant des crises mondiales. Ces crises rendent hélas vos propositions peu audibles, notamment pour ce qui concerne la France d’Outre-mer.

Cette France qui est l’une des toutes premières zone maritimes mondiales, qui représente 97% de la zone exclusive nationale, cette France qui concentre 80% de notre biodiversité, 10% des récifs coralliens mondiaux, cette France riche de 1000 cultures, de 1000 histoires singulières au carrefour de toutes les civilisations du monde, cette France de près de 3 millions d’âmes, de 53 langues régionales… Cette France présente sur les trois océans, aux avant-postes de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Australie. Cette France porte-étendard naturel de l’Europe sur le reste du monde. Cette France qui dispose de tant d’atouts, mais qui est corsetée dans ses handicaps structurels. Cette France qui serait si forte si on la libérait de ses contraintes sociales, normatives, règlementaires… Cette France que les Français connaissent si peu.

Je voudrais très humblement vous dire ce qu’il me semble urgent de décider pour que la France d’Outre-mer se réveille enfin et participe pleinement à l’ambition nationale que vous portez. Je voudrais insister en particulier sur les Antilles françaises, la Martinique et la Guadeloupe, qui doivent mobiliser toutes les énergies sur une seule grande bataille. La mère de toutes leurs batailles :

 

Combattre l’effondrement démographique et rétablir l’attractivité de leur territoire.

Depuis 2009, la démographie des Antilles françaises s’effondre. En 2050, selon l’Insee, la Martinique ne comptera plus que 293.000 habitants, contre 400.000 en 2008. Elle aura donc perdu un quart de sa population en 40 ans ! La moitié des martiniquais aura alors plus de 60 ans !

Un tel cataclysme démographique n’a jamais été observé ailleurs dans le monde par temps de paix. Il entraine son terrible cortège de malheurs dans un cycle constant d’amplification : toujours plus de chômage, toujours plus de pauvres, toujours plus de désespoir, de tensions, de violence…

Le moment est venu de casser ce mauvais cycle, de rompre le déclin. En tant que candidat aux plus hautes fonctions de l’État, vous devez apporter une réponse forte au grand défi de l’attractivité. Il faut une mesure ambitieuse qui donne à l’Outre-mer les moyens de jouer sa partition dans le concert national, plutôt qu’un chapelet de mesurettes locales qui se dilueront dans la soupe électoraliste.

 

La Zone Franche Sociale, la grande mesure pour relancer la France d’Outre-mer :

Je vous suggère, une fois élu, d’oser la Zone Franche Sociale. Cette idée n’est pas la mienne. Elle provient des socioprofessionnels antillais, engagés dans la recherche de solutions durables pour revitaliser leur territoire. En osant la Zone Franche Sociale, vous redonnerez de l’oxygène aux entreprises afin qu’elles retrouvent le chemin de la rentabilité, qu’elles investissent et qu’elles créent des emplois. Vous redonnerez du pouvoir d’achat à l’ensemble de leurs salariés. Vous vaincrez le chômage, vous vaincrez l’inflation. Vous offrirez enfin aux Antilles Françaises une perspective de développement vertueux.

La Zone Franche Sociale consiste à exonérer totalement les salaires relevant du secteur privé, sans distinction de revenus, de toutes leurs charges patronales et salariales. Elle combine naturellement les effets positifs d’une politique de l’offre et d’une politique de la demande.

En s’attaquant radicalement au coût du travail tout en boostant le pouvoir d’achat des salariés, la Zone Franche Sociale est la réponse immédiate au triple défi du chômage, du coût de la vie et de l’attractivité. La seule vraie bonne réponse en vérité.

Le prix de cette mesure sera compensé par la baisse des coûts sociaux liés au traitement du chômage d’une part, et par les rentrées fiscales liées à la relance économique qu’elle favorisera d’autre part. Elle aura donc un effet vertueux pour les entreprises, pour les citoyens et pour les comptes publics.

La Zone Franche Sociale doit s’appliquer en priorité aux territoires marqués par l’effondrement démographique, c’est-à-dire la Martinique et la Guadeloupe. Pour tous les autres territoires, il convient, en lien avec les acteurs locaux, d’imaginer des projets spécifiques de développement concurrentiel reposant sur les atouts de chacun : tourisme, filière énergétiques, biodiversité, filières structurées…

 

Parallèlement, renforcer la cohésion sociale de notre population :

Sur ce dernier point – la cohésion sociale – le diagnostic est simple : depuis la fin du service militaire, tous les instruments de brassage se sont éteints les uns après les autres. Depuis 30 ans, les différentes composantes des sociétés locales se referment entre elles et cultivent l’esprit de communautarisme. Chacun mène sa vie dans son coin, et les « zones de partage » sont de plus en plus rares.

Une fois élu, vous devrez rétablir des instruments de brassage pour permettre aux jeunes ultramarins de se côtoyer davantage dans des expériences de vie commune : établissement d’un service civique obligatoire de 3 mois au sein du RSMA (les Trois Mois Solidaires), établissement de la cantine obligatoire dans les écoles, création d’internats dans les lycées, revitalisation des associations et des clubs sportifs… 

 

Les Trois Mois Solidaires, la deuxième grande mesure pour renforcer la cohésion citoyenne :

Je vous suggère aussi d’oser les « Trois Mois Solidaires », proposition portée par le monde associatif martiniquais. Vous pourrez commencer par la Martinique dans un premier temps, puis étendre le dispositif le cas échéant sur les autres territoires ultra-marins. Cette mission pourrait être confiée au RSMA, ce qui suppose de renforcer les moyens budgétaires affectés à cette institution, en remplacement notamment du dispositif de la Garantie Jeunes.

L’objectif des « Trois Mois Solidaires » est de donner à toute une classe d’âge l’opportunité de vivre ensemble et de partager des expériences communes au service de l’intérêt général, ceci pendant une période obligatoire de trois mois minimums.

Il s’agit concrètement d’apporter à chaque jeune une expérience formatrice et valorisante en proposant un choix parmi une dizaine de formations-socle (les « briques d’apprentissage ») et de nombreuses missions, dans des domaines très divers au sein des associations et organismes locaux.

Ce dispositif apportera donc une réponse concrète à chaque jeune ultramarin, en lui offrant une expérience intense de vie partagée et d’engagement citoyen, tout en redonnant de l’oxygène au monde associatif local. Il permettra d’abattre les cloisons entre communautés, de redonner de la fierté aux « laissés pour compte » et de réveiller l’esprit de solidarité, de partage et de fraternité.

En résumé donc, deux grandes idées pour réveiller la France d’Outre-mer, et en particulier les Antilles Française :

Voilà, chère future présidente, cher futur président, deux idées structurantes empruntées à la société civile ultramarine qui seraient de nature à réveiller enfin les territoires d’Outre-mer pour en faire une grande force française.

Voilà deux lignes claires. Puissent-elles vous inspirer.

Je vous prie d’agréer, Madame la future présidente, Monsieur le futur président, l’expression de mon profond respect.

 

Emmanuel de Reynal

Chef d’entreprise et citoyen martiniquais

 

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