Si les sondages se trompent souvent, il n’y a qu’en 2002 que les noms des deux finalistes n’ont pas été annoncés à moins de deux semaines du premier tour. Toutefois, le terrain électoral n’a jamais été aussi mouvant, à l’image de la conjoncture. Au-delà des sondages, qui n’a pas rencontré un électeur hésitant, indécis…? On peut aussi être dubitatif devant la dégringolade d’Éric Zemmour, pour le moment stabilisé autour de 10 %, alors qu’on entend souvent des Français excédés le préférer à Marine Le Pen. D’autres Français jurent par le vote utile, ce qui explique, outre les bons scores de la candidate RN, la montée de Jean-Luc Mélenchon, alors qu’on peine à croire que 15 % des Français puissent être tentés par son islamo-marxisme. Mais les surenchères au blocage des prix pourraient séduire quelques naïfs…
Mais c’est un autre fait qui agite désormais le landernau politico-médiatique : l’effritement de l’avance d’Emmanuel Macron, en particulier s’agissant des intentions de vote au second tour. Le dernier sondage Elabe pour BFMTV, L’Express et SFR le donne à 52,5% des intentions de vote, contre 47,5% pour Marine Le Pen. Avec la marge d’erreur, c’est suspense annonncé dans un mouchoir de poche.
Ce que l’on appelle la dynamique des sondages est en faveur de la candidate RN. Et cela inquiète le camp du sortant, obligé de remobiliser ses troupes et peut-être de descendre dans l’arène, alors qu’il se pensait protégé par sa posture de chef de l’État et de chef de guerre, cherchant à convaincre Vladimir Poutine de mettre fin à celle qui ravage l’Ukraine. Le chef de guerre est devenu candidat presque ordinaire, un schéma imprévu il y a quelques semaines. Il risque fort samedi, dans son seul meeting de campagne, d’en appeler au Front républicain.
Mais pendant ce temps la crise et le contexte ambiant fragilisent le président – candidat : la flambée des prix de l’énergie qui en annonce d’autres, le retour dans l’actualité des problèmes d’insécurité, la situation en Corse ou l’affaire des cabinets de conseil (notamment McKinsey) fragilisent la position de favori d’Emmanuel Macron. Le sortant n’a jamais su convaincre de sa capacité, voire de sa détermination à traiter à leur juste mesure des problématiques régaliennes comme la délinquance, l’insécurité, l’immigration ou l’islam politique, les actes n’ayant jamais été à la hauteur des discours. Sur le terrain social, la mise sous perfusion de l’économie par le « quoi qu’il en coûte » ne parvient guère à masquer l’état déplorable des services publics, celui de l’hôpital en particulier qui préoccupe tant les Français, lesquels ne sont pas d’humeur à accepter le report de l’âge de la retraite à 65 ans, pourtant indispensable sous certaines conditions. Sur le terrain du wokisme, une idéologie qui illustre ce que la tyrannie des minorités peut apporter de pire, Élisabeth Moreno, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, s’est illustrée par quelques prises de position plus proches du néo-féministe de Sandrine Rousseau que de la pensée de l’immense majorité des Français. On peut en dire autant des déclarations de la ministre des Sports Roxana Maracineanu à propos du port du voile en compétition. La ministre a-t-elle reçu l’arbitre violenté dimanche dernier dans un match de foot amateur à Melun ?
Revenons à l’arithmétique électorale, notamment s’agissant des estimations des réserves de voix des deux favoris. Emmanuel Macron suscite rejet et parfois détestation chez des Français de tous bords, à tel point que même un nombre significatif d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon lui préfèreraient Marine Le Pen au second tour. Il en va de même de ceux de Fabien Roussel, à bien des égards plus proches de la cheffe du RN que du président sortant, notamment en ce qui concerne l’immigration qui n’est pas, selon les communistes depuis toujours, l’amie de la classe ouvrière. Et que dire des électeurs d’Éric Zemmour et d’une bonne partie de ceux de Valérie Pécresse (la tendance Wauquiez-Ciotti).
Il ne reste plus qu’à Emmanuel Macron à espérer un nouveau coup de pouce du destin, tels que ceux lui ont permis de devenir Président en 2017, puis favori de l’élection de 2022.
Le destin ? La baraka ? Exemple : que Jean-Luc Mélenchon coiffe sur le poteau Marine Le Pen le 10 avril prochain.
Il est dramatique que la seule alternative au sortant soit un candidat extrémiste. L’extrême gauche l’est au moins autant que la droite nationaliste, même si la bienpensance de gauche et la macronie s’évertuent à faire croire le contraire. Mais on aurait tort d’oublier que les ravalements de la maison FN devenue RN ne sont que de façade, et que, derrière sa tenancière rendue présentable par les excès d’Éric Zemmour, se cache une idéologie où le racisme et l’antisémitisme sont encore prégnants : « on est chez nous ! ». Le Pen au pouvoir, ce serait la préférence ethnique pratiquée spontanément par de petits chefaillons dans les services publics et peut-être même dans les entreprises.
Le nationalisme au pouvoir, cela n’a jamais annoncé des lendemains qui chantent.
Pour l’heure, qui du « tous sauf Le Pen » (le Front républicain survivra-t-il ?) ou du « tous sauf Macron » l’emportera à la présidentielle ? Les scores des deux favoris au premier tour le 10 avril sera déterminant et nous ne serions pas étonnés qu’ils soient plus bas que prévu par les sondages.
Michel Taube