Il n’y aura pas de cristallisation du vote des Français, ce moment où les intentions de vote se figent, quelques semaines d’habitude, quelques jours parfois, avant le vote. Jusqu’à dimanche 10 avril 20h, de nombreux Français hésiteront donc à aller voter et, pour celles et ceux qui ne voteront pas blanc, ne choisiront leur bulletin final qu’à la dernière minute voire dans le secret de l’isoloir.
Les indécis, soit au moins un tiers des électeurs à quelques jours du premier tour, peuvent donc déjouer tous les pronostics, mais nombre d’entre eux se laisseront entraîner par les courants dominants, celui du vote utile en particulier. Néanmoins, la volatilité de l’électorat est aussi le reflet d’une société de l’immédiateté, où un événement peut infléchir l’opinion. C’est ce qu’espèrent Éric Zemmour et Marine Le Pen avec l’agression ayant conduit à la mort de Jérémy Cohen, renversé par un tramway à Bobigny, une affaire dont il est vrai qu’elle interroge sur le fonctionnement du couple police-justice. Le procureur de la République affirmait hier que rien ne permet de retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme. Et pour cause, comment voulez-vous un mois et demi après, un mois et demi trop tard, vérifier si la victime portait une kippa au moment des faits ?
Si cette tendance à se laisser influencer par les événements a servi Emmanuel Macron, notamment avec l’invasion de l’Ukraine, le vent a aujourd’hui tourné. La dynamique des sondages laisse envisager un croisement des courbes, si bien que Marine Le Pen pourrait finir en tête au premier tour.
Ce resserrement à quelques jours du scrutin démontre aussi que le vote utile ne profite guère à Emmanuel Macron, dont le réservoir de voix est moins important que celui de sa rivale nationaliste. Avec une Valérie Pécresse à moins de 10 % et les multiples ralliements de cadres de LR (en attendant Nicolas Sarkozy), Emmanuel Macron semble avoir fait le plein pour ce premier tour. Et s’il était devancé par Marine Le Pen ou tout autre candidat, sa situation deviendrait périlleuse, même si le réflexe d’union républicaine peut encore jouer, le RN restant un parti nationaliste populiste, avec tous les travers que cela comporte.
Nous l’avons déjà dit : le « tout sauf Macron » pourrait prendre le pas sur le « tout sauf Le Pen » ! Emmanuel Macron agace. Son autocongratulation lors de son meeting de la Défense est mal perçue, car son bilan est au moins mitigé sur de nombreux sujets, comme la santé, la justice, la sécurité, l’immigration… Son refus de débattre, au motif que ses prédécesseurs sortants ne l’ont pas fait, était largement admis au début de la crise ukrainienne. Le Président-chef de guerre et faiseur de paix, le confident de Vladimir Poutine, avait d’autres priorités que de discutailler avec Anne Hidalgo ou Nicolas Dupont-Aignan de fiscalité immobilière ou de salaire des fonctionnaires. Depuis, on a compris que Poutine n’avait que faire des suggestions de son homologue, président temporaire de l’Union européenne, et que l’on se dirigeait vers une partition de l’Ukraine.
Emmanuel Macron devrait donc avoir l’esprit un peu plus dégagé pour débattre. Pourtant, non seulement il s’y refuse, mais il décline la plupart des invitations des médias à venir répondre aux questions des journalistes. France 2 en a encore fait les frais hier. La stratégie, payante hier, devient risquée. Il est désormais trop tard pour l’infléchir. Entre indécision de l’électorat, irritation de nombreux Français devant un comportement qu’ils jugent méprisant, et risque de forte abstention, la perspective d’une réélection d’Emmanuel Macron dans un fauteuil s’éloigne. Si on y ajoute la Corse en ébullition, la polémique sur McKinsey et autres cabinets de consultants, l’affaire Jérémy Cohen, symptomatique d’autres maux profonds et insuffisamment traités sous ce quinquennat, la barque commence à tanguer dangereusement.
Le gros temps est annoncé pour dimanche, et quinze jours plus tard, c’est un ouragan qui pourrait emporter Emmanuel Macron et avec lui, le paysage politique français et peut-être européen.
Michel Taube