Edito
12H52 - mercredi 22 juin 2022

Casting gouvernemental : Macron doit frapper fort pour reprendre la main. L’édito de Michel Taube

 

Trop de ministres et de députés issus de la vague LREM et du premier quinquennat d’Emmanuel Macron auront été ou sont des égarés en politique. Si la politique n’est pas un métier, elle exige à la fois des qualités de leadership, de vision, d’empathie pour son prochain, et d’autre part des compétences certaines sur des dossiers stratégiques devenus d’une complexité effarante. Ces deux faces d’un Janus politique, trop de bébés Macron n’ont pas su en faire preuve depuis 2017.

Mais restons sur le présent et l’avenir, enfin… les mois qui viennent : Emmanuel Macron ose évoquer avec les ténors des partis politiques qu’il reçoit à l’Élysée depuis hier l’idée d’un gouvernement d’union nationale. C’est feindre d’ignorer combien RN et Nupes veulent en découdre avec la macronie.

Non, la France a besoin d’être gouvernée et d’avancer sur des dossiers stratégiques qui ne souffriront pas d’une année, voire d’un quinquennat entier, de querelles idéologiques, d’empoignades politiciennes et de blocage de la tête de l’État.

Non, la seule porte de sortie serait de nommer un gouvernement de femmes et d’hommes à la fois très politiques (anciens ou actuels élus du peuple, maires, présidents de conseils régionaux ou départementaux ou parlementaires par exemple) et très compétents sur leurs dossiers de prédilection.

Un gouvernement macronien composé de ministres costauds mais qui sachent faire preuve d’esprit transpartisan sur des sujets où l’on peut trouver un consensus, des ministres qui ont déjà prouvé qu’ils ont des convictions et des connections, qui se sont déjà retrouvés sur des amendements ou des projets communs avec des opposants politiques, pourrait tenter de survivre à cette Assemblée impossible. Une équipe resserrée de politiques compétents sur les dossiers clés suffirait à tenter de faire vivre l’exécutif pendant quelques mois ou – courtes années, face au chaudron de l’Assemblée nationale.

Mais avant de parler casting, une dernière remarque : Emmanuel Macron doit cesser de prendre des ministres godillots dont on a l’impression parfois que le seul critère a été qu’ils ne lui fissent pas d’ombre (à part quelques rares exceptions). Non, face à l’Assemblée sortie des urnes, il faut des politiques purs et durs, capables à la fois de chercher des compromis sur tous les bancs de l’Assemblée nationale sur la base de leurs compétences et de leur légitimité techniques, mais en même temps de pousser des coups de gueule quand un député insoumis ou un lepéniste dépassera les bornes.

 

Quelques idées de casting donc…

Tout d’abord le ministre des relations avec le Parlement va nécessairement devenir le numéro 2 du gouvernement, tant il aura fort à faire pour chercher des majorités d’action, ces fameux 44 députés d’appoint qui permettront aux groupes parlementaires Renaissance, Modem, Horizons qui composent la majorité minoritaire d’Ensemble (où là aussi les négociations, le jeu de l’élastique tout en serrant les rangs sera parfois rock’n’roll). Ce ministre-là doit être un roublard de la République ou doté de plein de talent : la macronie l’a-t-elle seulement dans les rangs ? Olivier Veran, au vu de sa pratique fort contestée du Parlement pendant qu’il était ministre, ne pourra faire l’affaire. Un Gabriel Attal, certes jeune, pourrait tenter sa chance.

Le ministère du sport et des JO de Paris 2024 (sans oublier la coupe du monde de rugby l’année prochaine) sera un autre poste stratégique au vu des défis sécuritaires, organisationnels, citoyens que cet événement annonce déjà. Une chose est sûre : il ne faut pas une technicienne du sport à ce poste stratégique ! Il faut un politique de haut vol rompu aux arcanes du sport et de la politique. Jean Castex, qui avait été pendant trois ans à partir de 2017 délégué interministériel aux JO de Paris, puis aux grands événements sportifs, puis président de l’Agence nationale du sport, accepterait-il de revenir aux affaires ?

La souveraineté numérique et les innovations, notamment portées par les PME et les chercheurs français, sont un défi majeur des prochains mois et de la décennie. Un Cédric O, dans le premier quinquennat Macron, a commis des erreurs stratégiques qui coûtent cher à la France en termes d’indépendance.

Non, il faut un politique qui connaît ses dossiers. Philippe Latombe, brillamment réélu député dans la circonscription de Vendée, rapporteur en 2021 de la Mission d’information « Souveraineté numérique nationale et européenne »(il faut bien que ces travaux servent à quelque chose), apprécié des professionnels et des ténors de la French Tech, vice-président du groupe sortant d’amitié France-Israël (les deux start-up nations, l’une depuis longtemps, l’autre espérons-le pour bientôt), qui de 2017 à 2022 a trouvé des alliés jusque chez les Insoumis sur des projets d’amendements, ferait un excellent ministre de la souveraineté numérique et des innovations.

A la politique de la ville, mieux, à l’escalier social (l’ascenseur, c’est pour les paresseux),Karl Olive, maire de Poissy, qui sait parler aux jeunes et serait un excellent entraîneur, un vrai « susciteur » de vocations, ferait plus en une année qu’une Nadia Hai en deux ans (saviez-vous qu’elle a été ministre de la ville ?), elle qui, malheureusement avec la bénédiction de l’Elysée, a brandi son origine de Trappes comme un label, pour ne rien faire par la suite. Petite remarque en passant : des leaders de la BEURgeoisie sur-compétents, républicains et laïcs, et positivement ambitieux, auraient pu sous le premier quinquennat Macron ou pourraient briller au prochain gouvernement. Ilam Khadri, brillante franco-marocaine à la tête du groupe chimiste belge et mondial Solvay, ferait ainsi une excellente ministre de l’Industrie et du Commerce extérieur.

David Lisnard, président de l’Association des Maires de France, maire de Cannes, accepterait-il de privilégier la nécessité de porter une grande loi de décentralisation à ses ambitions à la tête de LR ?

Quant à la mer, enjeu géopolitique, urbanistique, agricole, économique et culturel majeur, un grand ministère de la mer irait bien à Sophie Panonacle, réélue confortablement dans la 8ème circonscription de Gironde, qui s’est imposée comme Madame maritime à l’Assemblée Nationale sous le premier quinquennat Macron. La députée organise la Fête de le mer dont la prochaine édition a lieu du 7 au 10 juillet 2022.

Enfin, nous ne voyons pas qui d’autre dans la macronie que Pascal Canfin, ancien ministre, ancien dirigeant du WWF, député européen, remplirait les conditions de compétence, de crédibilité (en l’espèce la défaite dimanche d’Amélie de Montchalin est un bonne nouvelle pour l’écologie), tout en ayant la capacité de tenir tête aux gauchistes pastèques, plus rouges que verts, qui feront trembler l’Assemblée à la moindre discussion sur l’avenir de la planète. Pascal Canfin vient en quelque sorte d’achever un cycle européen en obtenant hier, à la tête de la puissante Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement Européen, le vote d’une directive instaurant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une première mondiale. Il pourrait désormais revenir à Paris la tête haute !

Reste la question du Premier ministre… Elisabeth Borne est l’incarnation à ses dépens des multiples erreurs de casting commises par Emmanuel Macron : parcours exemplaire, compétences techniques comme ancienne directrice de cabinet de ministres ou de présidente de Région, haut-fonctionnaire, ancienne ministre technicienne du travail, ces qualités certaines de la nouvelle élue du peuple (qui a tout de même oublié dimanche soir de remercier ses électeurs) sont étrangères à la fonction politique, au magistère de chef d’un gouvernement et d’une majorité parlementaire qu’Elisabeth Borne serait incapable de tenir et encore moins d’incarner ! Imaginez un débat télévisé Borne – Le Pen – Mélenchon…

Si madame la Première ministre a voulu démissionner lundi 20 juin, c’est parce qu’elle ne veut pas aller au casse-pipe face aux enragés pour les uns et aux ténors pour les autres du Palais Bourbon…

Non, Emmanuel Macron doit frapper fort et tenter, la tâche sera rude, de reprendre la main. Un François Bayrou est trop détesté à droite. L’heure de Gérald Darmanin n’est pas encore venue. Edouard Philippe se réserve pour 2027.

Nous ne voyons pas qui d’autre que Bruno Le Maire, à la fois très politique, très compétent, pourrait gouverner au côté du chef de l’Etat, tenir sa majorité, chercher des compromis, répondre à une Sandrine Rousseau qui a déjà annoncé qu’elle humilierait Damien Abad à la première occasion ou à une Marine Le Pen qui ne manquera pas de prendre l’hémicycle pour un prétoire.

Emmanuel Macron doit sortir de sa torpeur et de sa suffisance jupitérienne qui lui ont coûté une majorité absolue aux élections législatives pour nommer un gouvernement resserré, efficace autour d’un premier ministre au dos très large.

 

Michel Taube

Michel Taube

Directeur de la publication