L’art du compromis, qui guide aujourd’hui la définition de la politique sociale des entreprises au service de son intérêt social, va, demain, façonner le fonctionnement de nos institutions. Est ainsi offerte, en s’inspirant des pratiques sociales de l’entreprise, l’occasion non seulement de renouer avec la démocratie sociale, mais encore de redonner du souffle à la démocratie représentative.
Gageons que nos députés sauront, comme les partenaires sociaux, quitter le confort des postures dogmatiques pour se saisir des responsabilités qui leur sont confiées.
La capacité d’action pour modeler des solutions adaptées aux ruptures technologiques et environnementales est un enjeu fondamental de l’entreprise.Or, voilà également la charge qui a été confiée à l’Assemblée nationale et au gouvernement pour cette nouvelle législature.
S’agissant de l’entreprise, l’élaboration de la norme sociale ayant été dévolue – à cette fin – à la négociation collective, les partenaires sociaux ont dû se réinventer. La négociation collective d’entreprise est aujourd’hui le niveau premier de régulation sociale, au regard des contraintes et des enjeux de l’activité de l’entreprise.
Elle est l’outil de création de normes et de stratégie de l’entreprise.
La négociation collective est ainsi la règle pour la définition d’une politique sociale efficace, adaptée aux enjeux de l’entreprise, de son intérêt social. Ce faisant, les partenaires sociaux, et leurs compromis, sont l’épicentre de la gouvernance sociale de l’entreprise. Distributive, la négociation est ainsi devenue constructive, destinée à des solutions de progrès.
Une telle importance donnée au dialogue social a imposé aux partenaires sociaux à œuvrer de concert, en renonçant au plaisir des postures dogmatiques, en dépassant l’addition d’intérêts individuels cloisonnés voire antagonistes, et inaudibles, pour se saisir de l’intérêt social de l’entreprise et contribuer ainsi au progrès social.
Et pour cause, le jeu de la construction de majorités a également vocation à se déployer, en fonction de l’objet des accords à négocier, la validité de l’accord d’entreprise étant subordonnée à sa signature par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles.
A défaut de majorité, le référendum peut du reste être mobilisé, pour donner une légitimité à l’accord conclu.
Loin d’être à l’arrêt, la politique sociale vit de beaux jours, dès lors que les partenaires sociaux se saisissent de cette nouvelle gouvernance, fondée sur la négociation, en vue de la conclusion d’accords répondant aux enjeux réels de l’intérêt social de l’entreprise.
Selon le rapport du Comité de suivi des Ordonnances Travail, une augmentation significative du nombre d’accords collectifs conclus sur des sujets variés a été observée : rémunération, temps de travail, conditions de travail notamment sur les sujets de télétravail ou de droit à la déconnexion.
La réforme a ainsi réussi à remettre la négociation collective au cœur de la prise de décision. L’intérêt social de l’entreprise, et le progrès social qu’il porte, étant en jeu, la culture de l’affrontement n’a plus lieu d’être. La négociation collective s’exerce, et des accords sont conclus. Voilà une source d’inspiration pour le palais Bourbon.
Par ailleurs, cette exigence d’utilité, d’impact réel, vers laquelle est tournée tout entière cette nouvelle gouvernance sociale, est également une source d’espoir, lorsque l’on sait que l’abstention est notamment l’expression d’une crise de l’influence concrète, réelle des politiques mises en œuvre. Peut-être une occasion de la résoudre ?
Bien sûr cette gouvernance sociale de l’entreprise n’est pas exempte d’écueils. Mais des mesures d’ajustement, de nouvelles méthodes, sont d’ores et déjà à l’œuvre. D’abord en sortant de l’urgence et en structurant un nouveau rythme basé sur la temporalité nécessairement longue de la concertation, puis en organisation un droit de suite sur les mesures convenues. Ensuite en acceptant d’ouvrir le processus de négociation à d’autres acteurs, pour l’alimenter, par la création – en amont et en aval – de collèges de salariés en fonction des thèmes à négocier.
Autant de pratiques qui renvoient à la démocratie sociale, dans laquelle les acteurs de la Société civile viennent compléter et réguler la démocratie politique, qui a du reste inspiré la loi du 25 mars 1919 sur les conventions collectives.
Le grand chambardement institutionnel annoncé n’a donc pas nécessairement vocation à se réduire à l’impuissance. Le péril démocratique prévu n’est certainement pas si dangereux pour reprendre l’adage populaire. Le chemin de l’action collective, concertée, existe. Les entreprises et leurs partenaires sociaux montrent la voie.
La chambre basse devra s’en inspirer pour que son action s’en trouve grandie.
Alexandre Lamy
Avocat associé chez Arsis Avocats