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03H13 - jeudi 28 juillet 2022

Entretien avec Michel Sapin : « Ce quinquennat va être marqué par le retour à la réalité budgétaire »

 

L’ancien ministre de l’Économie et des Finances puis du travail et de l’emploi sous le quinquennat de François Hollande, ancien président de la Région Centre, répond à Opinion Internationale sur l’ouverture des travaux parlementaires sur la loi sur le pouvoir d’achat, dont l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, va certainement donner lieu à quelques ajustements au Sénat dans les jours qui viennent, avant une adoption définitive prévue le 8 août.

  

Monsieur Michel Sapin, le second quinquennat d’Emmanuel Macron commence avec le vote d’une loi sur le pouvoir d’achat. A quelles conditions, si vous étiez encore député, vous voteriez cette loi ?

À condition que ce ne soit ni une loi d’affichage ni le résultat d’une surenchère démagogique : toutes les mesures devraient aider celles et ceux qui sont les plus en difficulté. Je ne serais pas d’accord avec des mesures généralisées de baisse des taxes, notamment de la TVA, qui profiteraient à ceux qui consomment le plus.

Diminuer le coût de l’essence pour celles et ceux qui ont le plus besoin d’utiliser leur véhicule pourrait être une priorité. Imaginons peut-être un niveau de taxation plus faible pour les premiers litres plutôt que de baisser la taxation sur l’intégralité des litres de carburants consommés. Prendre en compte les besoins réels des ménages français les plus fragilisés ou dépendants de certains postes de coûts vitaux pour accéder à leur travail devrait inspirer le législateur.

Soyons donc plus intelligents que la distribution de chèques. Cette mesure est certes facile à mettre en place, mais elle pourrait créer des rancœurs dans l’ensemble de la société française, sur le mode « pourquoi mon voisin et pas moi-même en bénéficierait-il ? ».

Il faudra enfin que cette réforme soit menée en responsabilité. Après le Covid et avec la guerre en Ukraine, on ne peut continuer à vivre éternellement avec le « quoi qu’il en coûte ». Objectivement, ce quinquennat va être marqué par le retour à la dure réalité budgétaire.

 

Comment évaluez-vous la crise actuelle ? Est-ce une crise passagère, une crise d’ajustement ou ne serait-ce pas le début d’une crise mondiale durable ?

Si une chose est complexe à prévoir, ce sont bien les crises économiques, leur nature et leur durée !

En fait, on redécouvre que l’argent a une valeur, que l’on ne peut éternellement emprunter, comme l’ont fait les États pendant des années, à des taux négatifs. Cette longue période pendant laquelle les banques centrales ont créé massivement des liquidités tout en  abaissant les taux d’intérêts, ne pouvait durer éternellement.

D’une certaine manière donc, certes dans la douleur, nous vivons un retour à la normale.

Quant à l’inflation, que nous n’avions plus connue depuis les années 70/80 (des économistes avaient même théorisé la fin définitive de l’inflation), elle crée bien entendu des tensions fortes sur le pouvoir d’achat mais il ne pourra longtemps y être fait face à coup de subventions budgétaires.

Y a-t-il une crise systémique ? Nous vivons certes des mutations profondes, comme ce passage de la mondialisation heureuse et générale à un retour au besoin de souveraineté économique. Les relocalisations en cours ou à venir en France et en Europe devraient engendrer de nouveaux investissements et une croissance nouvelle dans nos pays tout en contribuant paradoxalement à l’inflation car c’en est fini en partie de cette course effrénée aux produits à bas prix venus de Chine ou d’ailleurs.

  

La crise actuelle ne risque-t-elle pas d’engendrer une incitation encore plus importante à l’optimisation fiscale ou à la fraude fiscale de la part d’acteurs économiques dont les marges et les bénéfices sont impactés par la crise ? Faudrait-il une loi Sapin III* ?

C’est souvent dans les périodes de crises que les fraudes sont les plus massives. Par exemple, pendant la période du Covid, ont été suspendues ou allégées un certain nombre d’obligations de transparence dans l’attribution de marchés, dans un souci d’efficacité pour faire face à l’urgence. Les dispositifs de chômage partiel ont pu inciter aussi au détournement des règles dans des conditions qui s’apparentent à des systèmes mafieux.

Mais en même temps le droit a été fortement renforcé pour prévenir l’optimisation fiscale agressive ou le dumping fiscal, avec des dispositifs européens voire internationaux comme l’impôt minimal sur les sociétés adopté par le G20, qui commencent sérieusement à porter leurs fruits. C’est ainsi que McDonald’s qui ne payait presque aucun impôt en France par le biais de montages fiscaux complexes a été contraint le mois dernier à accepter de payer plus d’un milliard d’euros d’amende fiscale et a renoncé à d’interminables procédures judiciaires. Facebook et Google aussi ont été rattrapés par le fisc français. 

Je ne vois pas l’utilité d’une loi Sapin III dans le domaine de la lutte contre la corruption. L’enjeu est avant tout de persévérer dans la lutte contre la corruption, avec les outils et les moyens mis en place comme la lutte contre l’optimisation fiscale agressive, le parquet national financier ou l’agence française anti-corruption.

  

Revenons à l’actualité. Emmanuel Macron prétend que les impôts continueront à baisser malgré le gouffre des déficits et de la dette. Cela vous paraît-il crédible ? Et si, demain, il fallait coûte que coûte augmenter un impôt, lequel serait-il ?

Il y a un impôt que je crois nécessaire de rétablir, en le faisant de manière intelligente, c’est l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), non pas que cela règle la question budgétaire, mais le symbole me semble important. On peut le faire sans pour autant pénaliser les investissements nouveaux ni les start-ups. Nous avions d’ailleurs, durant le quinquennat de François Hollande, amoindri les effets négatifs de cet impôt. Certaines fortunes sont cependant héritées et gérées de manière très peu risquée, et leur imposition pourrait contribuer à la solidarité.

L’augmentation de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) est aujourd’hui discrètement envisagée par Bercy puisque c’est la seule solution pour répondre au déficit actuel. La dernière fois que nous l’avons fait, c’était en période de déflation, donc cette augmentation a été assez indolore pour les ménages. Alors, certes, une augmentation de la TVA en période d’inflation aura un effet plus néfaste sur le pouvoir d’achat des ménages. Le moment est assez mal venu, mais je ne vois pas comment ce gouvernement peut éviter d’avoir recours à l’augmentation de la TVA tant les déficits publics deviennent abyssaux.

La question n’est pas de savoir si la TVA augmentera mais combien de temps le pouvoir en retardera-t-il l’échéance.

 

Propos recueillis par Michel Taube

 

*Michel Sapin est à l’origine de la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques du 29 janvier 1993 puis de la loi sur la transparence, l’action contre la corruption et la modernisation de la vie économique, également appelée « Sapin II » adoptée le 8 novembre 2016.

Directeur de la publication

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