oNEhEALTH
11H35 - jeudi 25 août 2022

Véronique Suissa : « dans la polémique Doctolib – médecines complémentaires, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! »

 

Doctolib est au cœur de la tourmente : une plateforme socialement reconnue pour ses services et son utilité fait la promotion de pratiques non reconnues et parfois considérées comme charlatanesques. On lui reproche plus précisément de donner accès à la naturopathie, une pratique très prisée par les français mais qui n’est encadrée par aucune norme. Or, une plateforme dédiée à la prise de rendez-vous médicaux ne peut en aucun cas être mise sur le même plan que les plateformes « bien-être » car Doctolib intègre principalement des professionnels d’ordre médical/paramédical (médecins, dentistes, kinésithérapeutes…) et autres professionnels juridiquement reconnus (psychologues, diététiciens…).

Cela étant, la polémique est disproportionnée car dans le champ des médecines complémentaires, son offre est particulièrement minime et concerne, rappelons-le, essentiellement des pratiques réglementées par la loi telles que l’ostéopathie, l’acupuncture et l’homéopathie. Là où de nombreuses plateformes « bien-être » proposent principalement des pratiques dénuées de normes telles que du magnétisme, du reiki, du coaching en tout genre ou encore de l’hypnose spirituelle.

Un autre point de distinction crucial concerne la formation des praticiens. Ainsi, sur les « plateformes médicales » telles que Doctolib, les acupuncteurs ou les homéopathes seront nécessairement médecins ou sages-femmes, à l’instar de ce qu’impose la loi. A l’inverse, les acupuncteurs ou homéopathes intégrés aux « plateformes bien-être » sont rarement médecins, ouvrant ainsi la voie vers un exercice illégal de la médecine.

Autrement dit, en termes d’accès « aux médecines complémentaires », Doctolib est actuellement bien plus adaptée et sécurisée que les plateformes dites « spécialisées » dans le domaine !

 

La naturopathie sur Doctolib :  un acte certes très maladroit mais un acte révélateur !

La naturopathie, parce qu’elle n’est encadrée par aucune norme, n’a a priori rien à faire au sein d’une « plateforme médicale ». La polémique peut s’entendre car au-delà du risque de confusion pour les citoyens, intégrer une pratique « hors des clous » facilite inévitablement l’ouverture de la boîte de pandore.

La naturopathie aujourd’hui et le magnétisme ou la « guérison par les pierres » demain ? « Liberté des soins » diront certains ? Oui, mais pas en opposition au « devoir de sécurité ». En bref, pas n’importe quoi, n’importe où et n’importe comment. Le numérique a les limites de ses atouts : informations réduites, accès « à la carte », impossibilité de contrôle…

Mais cela ne veut pas dire que toutes les médecines complémentaires sont à bannir des plateformes médicales. Au contraire ! Certaines sont encadrées par la loi et/ou justement réservées à des médecins ou professionnels de santé. Dans ce cadre, l’accès numérique « médical » peut tout à fait avoir du sens. De plus, rappelons que bon nombre de médecines complémentaires sont déjà intégrées dans l’écosystème de santé (hôpitaux, cliniques, EHPAD…). En oncologie, de nombreuses pratiques se démocratisent dans le cadre des soins de supports (socio-esthétique, sophrologie…). Elles sont également très bien accueillies par les résidents d’EHPAD (ex. art-thérapies, musicothérapie…), tout comme elles se déploient favorablement en psychiatrie (méditation, thérapie par l’écriture…) ou dans les services de douleurs (hypnose médicale, relaxation…).  Bref, elles ne sont en rien marginales dans le monde du soin !  

De plus, certaines répondent à des normes de formations reconnues par l’État et/ou l’Université. Autrement dit, bon nombre d’art-thérapeutes, de sophrologues, de réflexologues, d’ostéopathes, de chiropracteurs, d’acupuncteurs, etc., ont toute légitimité pour intervenir dès lors qu’ils sont dûment formés. Dans ce cas, les proposer au sein de Doctolib ou apparenté peut tout à fait être fondé.

Cette nouvelle polémique révèle en fait une demande sociétale à laquelle il n’est pas simple de répondre, du moins pas de façon binaire. La prévention, le bien-être et la qualité de vie ont toute leur place au sein de la médecine et correspondent à la définition globale que donne l’OMS de la santé. ll est donc naturel de questionner ce qui peut, doit ou non s’y intégrer. Cela étant, les réalités normatives dans le domaine sont complexes et ne rendent pas la tâche aisée. La boîte de Pandore recouvre un amas de pratiques et de praticiens aux compétences disparates, ce qui n’est évidemment pas sans risques pour les usagers.

 

Le danger des plateformes de services dans le domaine du « bien-être »

En novembre 2021, une déferlante médiatique dénonçait déjà – et à raison – certaines plateformes « bien-être » dédiées à la promotion et à l’accès des « médecines douces ». Un reportage en caméra cachée montrait alors un praticien en pleine séance, en train de déconseiller à son client, simulant des douleurs, de se rendre chez le médecin…  Il est évident que ce type d’attitude présente des risques pour les usagers, parfois très confiants à l’égard de ces praticiens et/ou désireux de guérir sans médecine ni médicaments.

Malheureusement, les plateformes « bien-être » ont tout intérêt à démultiplier les praticiens, quel que soit « leur sérieux », dans la mesure où leur modèle économique repose justement sur ces dits praticiens. En effet, pour intégrer ces plateformes, les praticiens doivent en général s’acquitter d’un abonnement et reverser, pour chaque séance, un pourcentage auprès de la plateforme. Pour compléter ce modèle, certaines d’entre-elles proposent aux praticiens des « formations commerciales » visant à étayer leurs postures et leurs discours face au client… Ainsi, plus le praticien est « commercialement rodé », plus il a de chances de dispenser une séance, et plus la plateforme est économiquement gagnante…

 

Un engouement qui impose d’agir de façon raisonnée et raisonnable.

Les médecines complémentaires sont utilisées par près d’un Français sur deux. Les raisons de cet engouement sont nombreuses et plutôt bien identifiées : culture du bien-être, retour à la nature, attrait pour la spiritualité, volonté d’être acteur des soins, méfiance envers l’institution médicale, rejet du « tout médicamenteux », etc.

Depuis des années, ce phénomène de société génère de nombreux débats (sociétaux, médicaux, scientifiques…) sans pour autant mener à des actions concrètes. Certains rejettent ces pratiques – parfois par principe  –  sous couvert de « sécurité » tandis que d’autres prônent un accès diversifié – parfois irraisonné – au nom de la « liberté ». La nuance est peu présente dans le domaine, sans doute parce que l’on se plaît à opposer les mondes en permanence (médecine dure vs. douce ; science vs. croyance ; santé vs. maladie…).

Certains exigent « des preuves » tandis qu’aucun moyen n’est alloué à la recherche. D’ici là, et faute « de preuves », doit-on interdire à l’hôpital, la socio-esthétique aux femmes atteintes de cancer ou le soutien spirituel que réclament de nombreux patients en soins palliatifs ?

Si la bien-pensance remplace peu à peu le bon sens, les actes manquent cruellement à l’appel. Incontestablement, les décideurs politiques ont une responsabilité et un devoir d’action. Peut-être le vote un jour de la proposition de Résolution invitant à créer une agence gouvernementale d’évaluation des approches complémentaires adaptées et de contrôle des dérives thérapeutiques et des pratiques alternatives, déposée en Mars 2021 à l’initiative de l’ancienne députée et actuelle Ministre Agnès Firmin Le Bodo ?  

Quoi qu’il en soit, face à la demande sociétale et au manque de repères, face aux risques de dérives, et à l’essor des charlatans en santé, il devient plus que nécessaire d’agir et de faire le tri. Répertorier plus clairement les pratiques réglementées, informer et agir autour des normes de formations, établir des critères d’inclusion/d’exclusion, évaluer les méthodes, etc., bref, structurer ce mouvement impose des actions à la fois au niveau sociétal, médical et scientifique.

Il importe de ne plus tout mélanger, de raisonner le débat, d’apporter de la nuance, de sortir de la bien-pensance, d’oser agir et surtout de revenir à l’essence et d’intégrer plus intelligemment le « prendre soin » (care) dans le «soin » (cure).

 

Véronique SUISSA

Docteur en psychologie et Directrice Générale de l’Agence des Médecines Complémentaires et Alternatives (A-MCA)

 

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Opinion Internationale lance la rubrique oNEhEALTH sous la direction de Serge Guérin, auteur, sociologue, professeur à l’Inseec GE, spécialiste de la santé et du grand âge.

 

 

 

 

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