Le Silver Eco Festival de Cannes les 12 et 13 septembre, organisé par Jérôme Pigniez et son équipe et dont Opinion Internationale est partenaire presse, s’impose comme le rendez-vous de la rentrée de la Silver Économie. Un rendez-vous qui concerne l’ensemble des acteurs de la société et de l’économie.
Évoquons d’abord les entreprises, associations et organisations que se sont mobilisées pour répondre à cette réalité démographique.
Le secteur compte une myriade d’entreprises spécialisées, de start-up créés pour répondre au défi du vieillissement, de pionniers, d’entreprises de service s’adressant aux plus âgés ou à leurs aidants.
Mais, les grandes firmes, les entreprises généralistes, les organisations qui visent le grand public, font de la silver économie sans le savoir… Elles prennent progressivement conscience de la nécessité d’investir le champ de l’avancée en âge. Certaines entreprises plus récentes, en particulier issues du secteur des technologies de la communication et du numérique, prennent le tournant de la nouvelle donne démographique.
Comment en serait-il autrement alors que les seniors, au sens large, représentent plus de 50% de la consommation totale ? Il n’y a donc pratiquement aucun secteur qui n’est pas touché par la nouvelle donne démographique. La plupart des biens de consommation intéressent les seniors, la grande majorité des services les concernent, une large part des innovations sans viser spécifiquement les seniors peuvent les concerner. A moins que ce soit l’inverse.
Bref, le vieillissement présente de fortes opportunités d’innovations, de croissance, de production, d’emplois et de profits.
La silver économie, c’est l’économie de la longévité, l’économie de l’avenir.
Le monde de la silver économie joue sur plusieurs niveaux, du plus ancien et spécifique au plus récent et généraliste. Les secteurs ne s’adressent pas tous à l’ensemble des seniors et ne concernent pas nécessairement l’ensemble d’entre eux. Le domaine d’activité le plus ancien et le plus important rassemble les organisations, qui accueillent, hébergent et soutiennent les seniors : maisons de retraite médicalisées, résidences seniors services, Services à la personne … A l’origine il s’agissait de structures associatives, étatiques ou liées aux collectivités locales et territoriales ou à des bailleurs sociaux. Puis l’Etat a fait appel au privé, en particulier pour développer l’offre de maisons de retraite médicalisées. Par la suite des promoteurs ont développées diverses offres de résidences seniors services.
A cela, il faut ajouter le secteur de la santé au sens large qui est très impacté par les problématiques liées au vieillissement de la population. Le monde des laboratoires pharmaceutiques, des pharmacies d’officine, de l’hospitalisation ou encore du soin à domicile s’est construit à partir de la prise en compte de la demande de soin et d’accompagnement des plus fragiles. Le secteur va voir son développement véritablement démarrer dès lors que le système étatique, via les mécanismes de sécurité sociale et de mutuelle, va se mettre en place. La création de l’Etat providence, à partir de 1945, sera le principal financeur de la demande et va orienter l’offre. Une offre qui progressivement va évoluer pour répondre aux effets des métamorphoses démographiques : d’abord l’accompagnement du boom des naissances, de 1945 à 1974, puis à nouveau entre 1997 et 2015 ; puis progressivement à partir des années 2005, la hausse du nombre des plus âgés.
Un autre secteur historique relève de l’écosystème de la protection sociale. Il concerne le monde des mutuelles, des institutions de prévoyances, de l’assurance… Mais aussi des institutions financières et bancaires. Il s’agit là d’entreprises le plus souvent de grandes tailles.
A l’inverse, la silver économie s’est très largement formée de petites structures, de start-up très centrées sur l’innovation technologique, d’entreprises familiales désireuses de proposer des biens ou services adaptés à la demande et aux besoins de telle ou telle catégorie de seniors.
Penser usage et non âge…
Mais la silver économie se retrouve aujourd’hui formée aussi par des entreprises classiques qui s’adressent au grand public et qui progressivement ont pris conscience que les seniors devenaient une sacrée partie de ce grand public… La France compte 68 millions d’habitants, dont une soixantaine qui peuvent être des consommateurs autonomes. Les plus de 60 ans, représentent plus de 18 millions de personnes, soit près du tiers des consommateurs. Impossible de passer à côté !
D’autant plus que les perspectives à moyen terme font état d’une croissance du nombre de seniors, et en particulier ceux de plus de 80 ans, à partir de 2026. A l’inverse, la démographie des jeunes va devenir de plus en plus étale.
L’avenir de la consommation, c’est d’abord les vieux ! Les entreprises qui s’adressent au grand public ne peuvent continuer longtemps à ne vouloir que « rajeunir » leur marque et leurs consommateurs. Ce constat vaut autant pour les entreprises orientées BtoB, que pour celles qui s’adressent directement au consommateur final. Quel que soit le marché de ces grands groupes, la probabilité que les seniors soient des consommateurs ou puissent le devenir est sacrément forte.
Finalement, 98% des entreprises peuvent être, peu ou prou, concernées par l’économie de la longévité. La mobilisation progressive de grands comptes a contribué à faire entrer le secteur dans une dimension nouvelle et bien plus importante. La silver économie est passée à l’âge adulte. Il était temps pour un secteur qui veut parler aux seniors.
Rappelons que la consommation des seniors, plus encore que pour les autres acheteurs, c’est à la fois chercher à satisfaire un besoin propre, mais aussi acheter un bien ou un service pour un proche. Y compris un jouet pour un petit-enfant, ou pour l’enfant d’un voisin.
Car la consommation des seniors ne se réduit pas à un acte égoïste mais participe aussi du lien social. Ainsi près de 80% des seniors européens contribuent occasionnellement ou régulièrement aux dépenses ou à l’épargne de leurs enfants ou petits-enfants, ou leur donnent un coup de pouce pour l’achat de la résidence principale. Pour ces groupes, qui pour la plupart sont fortement orientés à l’international, la question senior devient incontournable aussi dans cette perspective : le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait ainsi passer de 750 millions en 2025 à 2 milliards à 2050 et leur proportion dans la population mondiale doublera, en passant d’environ 11 à 22% du total. Il reste bien sûr à prendre en compte la diversité des styles de vie des seniors, de leurs attentes et usages.[1]
En fait, l’enjeu reste celui de comprendre les usages des seniors et d’y répondre et non de vouloir imposer des offres selon l’idée que l’on se fait de leurs besoins à tel ou tel âge…
Ainsi, pour une grande partie des entreprises de la grande consommation, de Danone à Legrand, de Carrefour à Orange, le vieillissement de la population implique surtout de faire évoluer l’offre pour qu’elle puisse mieux répondre aux besoins et attentes des plus âgés, tout en développant des messages mieux ciblés et une communication plus adaptée. En effet, le problème reste que les consommateurs seniors se reconnaissent rarement comme seniors. Encore moins comme silver, vieux, aînés…
Il s’agit de savoir répondre à l’évolution et à l’évolution des modes de vie et des représentations des seniors. A mesure que le nombre de plus de 65 ans s’est élevé, la diversité sociologique des seniors s’est renforcée. Ces deux éléments ont contribué à élargir l’offre pouvant intéresser les seniors.
Ainsi, faire discrètement évoluer le packaging d’une bouteille pour que son ouverture soit plus facile est une démarche qui peut s’inscrire dans la silver économie. Cette adaptation permet à des personnes commençant à avoir quelques difficultés de préhension de pouvoir sans être stigmatisées, continuer, comme avant, d’utiliser un produit qu’elles apprécient.
De ce point de vue, l’adaptation « discrète » de l‘offre émanant d’acteurs généralistes contribue aussi à l’estime de soi des seniors qui ne se sentent pas dévalorisés et oubliés et au soutien à l’autonomie de ceux qui avancent en âge.
Mais la nouvelle donne démographique a d’autres effets. Par exemple, pour une large part, le retour généralisé́ des enseignes vers le centre-ville et la multiplication des petits magasins de proximité́ vient de la prise de conscience du vieillissement de la population des villes dans les stratégies et de la quête de lien sociaux par une grande partie de la population, en particulier les plus âgés.
Le fil conducteur pour la silver économie devrait être de développer des démarches pouvant favoriser le maintien de l’autonomie des seniors, d’une bonne qualité de vie et de rester maitre de leur quotidien.
Bonne visite de Cannes !
Serge Guérin
Sociologue, professeur à l’Inseec GE, spécialiste de la santé et du grand âge, écrivain (dernier ouvrage : La société résilience, éd. Fauves), chef de rubrique oNE hEALTH d’Opinion Internationale
& Michel Taube
[1] Voir S Guérin, L’invention des Seniors, Hachette 2007. Quatre types de modes de vie pour établir une première segmentation de la sociologie des seniors.