L’agression de l’Ukraine le 24 février 2022 par la Russie a conduit plusieurs Etats, individuellement ou conjointement (dans le cadre de l’Union européenne) à adopter des mesures de sanctions visant le régime et l’économie russe.
La mesure la plus dissuasive pour les différents gouvernants européens est le gel des avoirs des oligarques russes. Le nombre de personnes liées au régime russe dont les avoirs ont été gelés est particulièrement impressionnant à savoir : 877 personnes physiques et 53 personnes morales, (accompagné du gel effectif des avoirs détenus à l’étranger par la banque centrale de Russie et certaines banques commerciales russes.
Ce type de mesures peut être pris par l’Union Européenne, y compris à l’encontre d’une personne disposant d’une nationalité d’un Etat membre, et ceci, conformément aux articles 75 et 215 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne se référant aux mesures restrictives à l’encontre « des personnes physiques ou morales » sans condition de nationalité. Ipso facto, parmi les personnes physiques visés par les mesures de l’Union Européenne, nous pouvons donc bien évidemment trouver Vladimir Poutine et Sergey Lavrov, représentants ex officio de la Fédération de Russie, mais aussi des personnes proches du gouvernement, à l’instar de l’ancien chancelier du SPD, Gerhard Schröder qui a refusé à renoncer à ses activités en Russie.
Dans le cadre de l’agression de l’Ukraine, le but des gels des avoirs est de faire pression sur les oligarques russes qui disposent de nombreux avoirs à l’étranger afin d’obtenir une cessation de cette opération militaire.
Ce n’est que la deuxième fois de l’histoire que ce type de mesures a été mise en place. La première fois fut en Irak avec la résolution 1483 (2003) adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU dans le cadre du conflit en Iraq et de la chute du régime de Saddam Hussein. Cette résolution obligeait les Etats membres de l’ONU à procéder à un gel des avoirs appartenant non seulement à l’Etat iraquien mais aussi aux personnes privées liées au régime iraquien.
Le militant des libertés publiques et ancien avocat anti-corruption, Alexeï Navalny, nous faisait part que le président de la Fédération de Russie, a l’habitude d’utiliser des prête-noms (appellation juridique caractérisant la situation d’un mandataire qui, en exécution d’un accord secret conclu avec son mandant, passe des actes comme s’il s’engageait pour lui-même) ou des montages financiers particulièrement complexe (schéma de détention complexe, impliquant plusieurs sociétés ou structures juridiques en cascades ou plusieurs juridictions juridiques, société dont le capital est détenu par des nominee shareholders et pour laquelle aucun Trust Declaration du Nominee n’a été transmise aux entités financières) en vue de ne « pas apparaitre sur les radars des autorités étrangères ». Le travail d’Alexei Navalny a permis de relier un yacht Schéhérazade construit en 2020 en Allemagne et actuellement dans le port de Marina di Carrara, au président russe. D’après les sources du Kremlin, Vladimir Poutine ne détient quasiment aucun patrimoine en son nom propre, alors qu’il est considéré comme l’homme le plus riche du monde.
La difficulté d’identifier le bénéficiaire effectif (BE)
Le problème a été identifié de longue date, dès 1989, au moment de la création du GAFI, le Groupe d’action financière ou Financial Action Task Force, organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Mais la réponse des États à l’échelle internationale et européenne reposant sur l’identification du bénéficiaire effectif n’a jamais permis d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux.
L’identification du bénéficiaire effectif vise à permettre d’accéder à des informations exactes, actuelles et adéquates sur les bénéficiaires réels de manière à pouvoir identifier les auteurs de comportements prohibés et éviter que les fraudeurs masquent leur identité derrière l’opacité qu’offrent des structures juridiques dédiées.
Cependant, elle est depuis toujours et demeurera encore longtemps, malheureusement, la pierre d’achoppement de la lutte contre la fraude fiscale mais également le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Pour tenter une nouvelle fois d’y remédier à la suite de la révélation de plusieurs affaires de blanchiment de capitaux mettant en cause des établissements de crédit de l’Union européenne, la Commission européenne a proposé de refondre le cadre général de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ainsi, la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (COM(2021) 420 final) y consacre pas moins de douze considérants ainsi que huit articles, ce qui témoigne à la fois de l’importance de cette question sensible mais aussi de la difficulté de concilier le besoin de transparence avec la volonté des États de continuer à permettre l’utilisation de sociétés écrans.
Il y a fort à parier que cette nouvelle tentative ne dissuadera pas plus que par le passé les utilisateurs de ces masques d’en faire usage à des fins illicites. En effet, non seulement le recours à des actionnaires et dirigeants prête-noms sera toujours possible mais, en outre, la question de la collecte et de la disponibilité des informations dans les différents registres reste du domaine de la directive et n’est pas régie par le règlement. On peut craindre que les divergences de transposition fassent une nouvelle fois obstacle à la transparence des bénéficiaires effectifs, pourtant si indispensable à l’efficacité de la prévention et de la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme, la corruption et les fraudes d’une manière générale, spécialement fiscale.
Il existerait pourtant une solution technique simple, consistant à imposer, à l’échelle européenne, la transparence des sociétés et des constructions juridiques de manière à neutraliser l’utilisation de ces entités, y compris celles constituées dans des États tiers. Mais là, les obstacles d’ordre politique semblent pour l’heure infranchissables.
Ces mesures spectaculaires suffiront-elles donc à frapper vraiment le pouvoir russe au portefeuille ?