Le 27 septembre, Jérôme Powell et la Fed n’y ont pas été par quatre chemin : ils ont augmenté encore drastiquement les taux directeurs de 75 points de base pour les porter à 3%-3,25%, plus haut niveau depuis 2008. Pire, ils ont annoncé que la hausse allait se poursuivre. Les taux directeurs devraient augmenter d’encore 1,25% pour la fin 2022, et toucher 4,6% en 2023…
Jérôme Powell le dit clairement : il préfère lutter contre l’inflation quitte à augmenter le chômage et faire trébucher l’économie américaine, et, avec elle, une bonne partie de l’économie mondiale. Récession et chômage ne lui font pas peur, en tout cas moins que l’inflation.
Ce comportement, qui devrait être imité par les autres banques centrales, BCE y compris, a de quoi interroger. En tout cas les Bourses mondiales, les actions, les obligations, les devises, vacillent sérieusement… Il nous fait amèrement regretter Alan Greenspan et sa phrase célèbre : « si on m’a bien compris, c’est que je me suis s’est mal exprimé ». On aurait aimé mal comprendre Powell…
Tout d’abord, nous ne sommes pas dans la situation des années 1980-90, où une politique monétaire restrictive pouvait en effet agir sur l’inflation d’alors, une inflation provenant avant tout de la demande forte et de la spirale prix/salaire. L’inflation d’aujourd’hui est avant tout due à une offre insuffisante et non à une demande exubérante ou à une hausse des salaires.
Cette inflation n’est pas due qu’à la Russie et à l’Ukraine. La pandémie puis la sortie du Covid et des confinements ont créé une situation de détérioration forte de la production industrielle mondiale. Toutes les économies ont calé puis redémarré au même moment et, paradoxe étonnant, la demande mondiale a retrouvé son niveau d’avant crise quand l’offre, elle, n’a pas su suivre. Entre la hausse des matières premières (après des années de baisse aussi, ne n’oublions pas) et les difficultés d’approvisionnement, le choc sur l’offre ne pouvait qu’être massif. Sans parler des fournisseurs ou des spécialistes de l’acheminement qui ont profité d’un effet d’aubaine, après quelques semaines de fermeture mondiale des échanges économiques.
Le conflit en Ukraine, les sanctions et contre-sanctions, ont été la goutte qui a fait déborder le vase, mais le vase était plein, et les banquiers centraux n’agissaient pas pour autant. Lors du Covid, on se plaignait que tout était fabriqué en Chine. Ne disons pas aujourd’hui que tout vient d’Ukraine et de Russie !
Nos États ont aussi une large part de responsabilité, sinon tout le poids de cette responsabilité.
En effet quelles ont été leurs mesures prises pour améliorer les acheminements, la fameuse supply chain ? Quelles ont été leurs mesures prises pour améliorer l’exploration des énergies fossiles qui vont tant nous manquer cet hiver ? Exploration, mais aussi forage, exploitation, transport, raffinage… Quelles ont été leurs mesures pour améliorer la production d’énergie nucléaire en France, pour maintenir nos centrales en bon état ? Rien, trois fois rien ! Et je n’évoque même pas la fermeture de Fessenheim pour raison dogmatique tout en rouvrant une centrale à charbon, la centrale Emile Huchet de Saint-Avold, ce mois d’octobre ! Il n’y a pas que les Allemands à polluer notre air par ces centrales à charbon !
Quelle est la réponse de nos banquiers centraux, depuis leur tour d’ivoire : la hausse des taux, quitte à mettre des centaines de milliers de personnes au chômage ! Bravo !
Il va falloir qu’ils nous expliquent comment ces hausses de taux vont améliorer notre approvisionnement en gaz et en électricité, comment ces hausses de taux vont faciliter l’acheminement de nos conteneurs, de nos fournitures et de nos produits ! Comment ces hausses de taux vont réduire les délais d’attente pour une nouvelle voiture comme pour un lave-vaisselle ou un objet connecté ! Cette pénurie de l’offre génère l’inflation, alors même qu’il n’y a pas de hausse de la demande ou de consommation effrénée !
D’autant que l’inflation des coûts de l’énergie va directement, déjà, freiner la croissance économique en diminuant les marges des entreprises et la capacité, comme la volonté, de consommation des ménages !
Depuis un fauteuil bien confortable à Francfort ou Washington, il est aisé de tenir un discours privilégiant la lutte contre l’inflation au chômage. « Nous préférons que l’inflation repasse sous la barre des 2%, quitte à ce que le chômage passe de 7 à 9% », facile. Mais ces 2% de chômage en plus, ce sont des centaines de milliers d’employés qui, eux, vont mettre un temps certain à retrouver un emploi ! Ce qui est vrai en France, l’est aussi bien sûr en Italie, en Espagne, en Angleterre, aux Etats-Unis…
Pourtant, il serait temps de s’interroger réellement sur les critères scrutés par les banquiers centraux, sur leur mandat. Pourquoi viser une inflation à 2% et pas 4% par exemple, quand, dans le même temps, on incite entreprises et citoyens à s’engager dans la transformation énergétique, à dépenser pour isoler plus, pour changer de voiture, pour produire durable, pour utiliser de nouvelles sources d’énergie plus coûteuses ? Pourquoi ne pas assumer une hausse de l’inflation cible quand on incite nos entreprises à produire en France, à relocaliser une grande partie de leur production, en sachant que cela leur coutera plus également ? Nous changeons d’économie, il nous faut aussi changer les mandats des banques centrales, comme tous les critères de Maastricht d’ailleurs. Il nous faut upgrader nos logiciels !
Les Français comme les Européens apprécient certainement les efforts et les milliards de leurs gouvernements respectifs pour protéger leur facture énergétique, mais je doute très fortement qu’ils apprécient la hausse du chômage, la hausse de la précarité, et la baisse du pouvoir d’achat. L’argent mis sur la facture énergétique ne serait-il pas mieux utilisé dans la hausse des salaires réels, depuis si longtemps attendue, par une baisse des charges portant sur les salaires par exemple, dans l’amélioration de l’employabilité des salariés de plus de 45 ans, dans la modernisation de notre économie, dans la refondation de notre système de santé, de notre système éducatif, de notre police et notre justice ? Tout en faisant valider par les bureaucrates de Bruxelles que le prix de l’électricité en France, essentiellement à partir du nucléaire, n’a plus à être indexé sur le prix du gaz. Tant pis si les Verts allemands, le SPD tout comme Merkel ont préféré fermer leurs centrales nucléaires pour ouvrir des centrales à gaz et au charbon. Nos citoyens n’ont plus à payer le prix des erreurs de Francfort ou de Bruxelles !
Il est encore temps de changer de trajectoire, de privilégier l’emploi et le pouvoir d’achat réel sur l’inflation. Sinon, comme en Italie, les discours simples, un peu simplistes, et donc totalement erronés, s’imposeront dans les urnes avec des lendemains qui déchantent ! En faisant le choix de la lutte contre l’inflation quitte à casser la croissance économique, augmenter le chômage, les Banquiers Centraux font monter le populisme.
Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers