Le 5 septembre dernier, Opinion Internationale revenait sur le climat de peur qu’entretient en Guinée le colonel Mamadi Doumbouya, auteur un an plus tôt d’un coup d’Etat déposant Alpha Condé. Les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth défendent de nombreuses victimes des agissements du nouvel homme fort de Guinée et viennent d’introduire plusieurs plaintes en France et devant les juridictions internationales.
William Bourdon a bien voulu répondre à Eric Bazin, chroniqueur « Afriques demain » d’Opinion Internationale et expert sur les questions de gouvernance stratégique sur le continent africain.
Entretien.
Eric Bazin : « Vous avez été saisi par le mouvement citoyen FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution) et les familles guinéennes endeuillées par la violente répression des manifestations cet été à Conakry. Quelles vont être vos premières actions en justice ? »
William Bourdon : Mon associé, Vincent Brengarth, et moi-même, avons saisi de nombreuses institutions internationales pour dénoncer la violation des droits humains en Guinée, dont le Procureur de la Cour pénale internationale, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association… La plainte déposée en France des chefs de complicité d’homicides volontaires ainsi que de tortures, contre le colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte militaire en Guinée, constitue une nouvelle initiative qui s’inscrit donc dans le prolongement de précédentes alertes. Nous poursuivrons encore les initiatives dans les mois à venir.
Quels sont les recours possibles à votre disposition ? Sur quels textes de lois ou articles du code pénal allez-vous baser votre procédure ?
Il est bien évidemment irréaliste d’imaginer que les juridictions guinéennes poursuivent des investigations contre la junte militaire. Il nous faut par conséquent nous tourner vers les juridictions internationales compétentes et faire preuve d’inventivité pour que cesse l’impunité de la junte. Cette plainte en France fait notamment suite aux décès, tortures, blessures et arrestations survenus à l’occasion des manifestations des jeudi 28 et vendredi 29 juillet et mercredi 17 août 2022.
Or, en tant que Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) et président de la Transition, les soussignés considèrent, en l’état des éléments transmis par le FNDC, les victimes et les familles de victimes qu’ils représentent, qu’il ne fait aucun doute que le colonel Mamadi Doumbouya a occupé un rôle central dans la répression actuellement à l’œuvre en Guinée contre le FNDC et ses alliés mais aussi les citoyens prodémocratie.
Selon les éléments en notre possession, le colonel Mamadi Doumbouya aurait la nationalité française, nationalité susceptible d’entraîner la compétence des juridictions françaises pour connaître d’éventuelles poursuites pénales. En tout état de cause, ces mêmes juridictions peuvent être compétentes en vertu du principe de compétence universelle, compte tenu de la régularité des venues en France du colonel Mamadi Doumbouya.
Sur quels témoignages vous appuyez-vous ?
Nous disposons, outre les rapports d’organisations internationales, des témoignages des familles et du travail réalisé de collecte d’éléments effectué par le FNDC.
Quelles étaient jusqu’à présent vos relations avec la Guinée ?
Nous entretenons, depuis plusieurs années, des liens d’amitié extrêmement forts et continus avec la société civile et en particulier avec le FNDC. Nous sommes allés en Guinée à plusieurs reprises. Même si cela représente une mobilisation significative, il était naturel pour notre cabinet de mettre son expertise en droit pénal international à leur profit et de les accompagner dans leur combat pour la démocratie. Il est impossible de rester insensible à la gravité de la dérive autoritaire à l’œuvre qui s’abat contre tous les militants qui luttent pour la démocratie.
Comment qualifieriez-vous la gouvernance de Mamadou Doumbouya depuis sa prise de pouvoir le 5 septembre 20121 ?
La gouvernance de Mamadou Doumbouya a pu susciter, lors des premières semaines, une forme d’espoir, après des années de conservation du pouvoir par Alpha Condé. L’épreuve du temps a cependant eu raison de ces espoirs et on assiste à des mécaniques comparables à celles qui étaient à l’œuvre sous le régime d’Alpha Condé. Le régime au pouvoir ne donne aucune indication précise sur le calendrier de transition. Il est enfermé dans une dérive despotique.
Que pensez-vous du colonel Mamadi Doumbouya et que risque-t-il dans cette procédure ?
Nous pensons qu’il est un rouage décisif dans la répression à l’œuvre. Il risque gros. Et il est déjà indispensable que des investigations indépendantes puissent avoir lieu.
Quels étaient vos rapports avec l’ancien président de la République de Guinée, le professeur Alpha Condé ?
En avril 2020, nous avions, entre autres initiatives, introduit devant la Cour Pénale Internationale un signalement de faits susceptibles de revêtir la qualification de crimes contre l’humanité au sujet des violences commises sous le régime d’Alpha Condé. Après le coup d’Etat, nous nous étions tournés vers les juridictions guinéennes. Cette initiative a abouti à l’annonce, par le procureur général de Conakry, de poursuites contre l’ex-président Alpha Condé et une trentaine d’anciens hauts responsables sous sa présidence, notamment pour assassinats, actes de torture et enlèvements.
Propos recueillis par Eric BAZIN
Le LAB pour Opinion Internationale