En février dernier, le président français Emmanuel Macron annonçait le retrait définitif du Mali des forces militaires Barkhane et Takuba. Il en profitait, dans une allocution, pour nommer clairement, auprès des autorités maliennes, l’entité qui était responsable de la crise sécuritaire : les groupes militaires privés russes, et plus particulièrement Wagner. Difficile devant les faits de donner tort au chef de l’Etat français.
« Ils arrivent au Mali avec des finalités prédatrices (…) parce que la junte, qui est au pouvoir après deux coups d’État, considère que ce sont les meilleurs partenaires qu’ils peuvent trouver pour protéger leur propre pouvoir, pas pour lutter contre le terrorisme » explique le chef de l’Etat hexagonal mettant en garde contre le danger d’une telle situation y compris pour les populations civiles qui pourraient en attendre un regain d’ordre : « Ces mercenaires sont présents depuis des années en Libye pour prélever des ressources et ce qui doit revenir au peuple libyen (…). Ils sont présents depuis plusieurs années en République centrafricaine avec des exactions terribles contre les populations civiles » dénonçait-il notamment. A ce moment, les services de renseignement français estimaient à 800 le nombre de combattants appartenant à la milice privée présents dans le pays. Dans la presse internationale, et notamment dans les média pro-Kremlin, on feint toujours de ne voir aucun lien entre le groupe Wagner et l’influence russe dans la bande sahélienne. Le secret n’en est pourtant plus un depuis longtemps : non seulement l’un des fondateurs de Wagner, Evgueni Prigojine, est un proche du premier cercle de Vladimir Poutine mais les zones d’intervention du groupe sont systématiquement celles où Moscou essaie de faire jouer son influence (Syrie, Libye, Centrafrique, Sahel…) et où fleurissent les drapeaux russes parmi les manifestants dénonçant les régimes ou la présence française.
Les défenseurs de la présence russe voudraient trouver des arguments pour réfuter cette thèse, ils n’y parviennent pas. L’Afrique souffre en premier lieu de son instabilité, frein à son développement économique. Et pour cause : outre les risques inhérents à l’économie mondiale, l’investissement en Afrique subit l’incertitude supplémentaire de la situation sécuritaire. Un repoussoir quand des intérêts privés doivent investir dans lourdes infrastructures pour profiter pleinement du potentiel de ces Etats jeunes, en croissance, et dont le potentiel fait l’unanimité chez les économistes. En posant la question avec cynisme, la stabilité qu’apporterait Wagner et ses méthodes expéditives pourrait-elle enclencher un cercle vertueux ? Le croire serait oublier que le groupe, outre ses prestations purement militaires a aussi développé une activité économique. Or, celle-ci se fait souvent loin de la légalité en étant par conséquent facteur d’insécurité juridique et un repoussoir pour des investissements sains d’acteurs économiques. L’Union européenne avait d’ailleurs pris des sanctions en décembre 2021 contre des sociétés accusées d’être en lien avec le groupe paramilitaire, mettant en lumière les investissements de l’organisation, via des entreprises partenaires, dans l’économie des pays où elle intervenait quelques semaines auparavant. Libye, Mozambique, Centrafrique ou même Mali, Wagner s’implante notamment dans le domaine de l’extraction minière, mélangeant ainsi business et maintien de l’ordre armé dans une dangereuse confusion. Ce dont ne bénéficieront pas in fine les populations locales qui n’auront pas plus d’intérêt à des concessions obtenues par la force que par les tractations économiques plus feutrées entre grands groupes occidentaux et autorités locales. Une situation précisément dénoncée ce mois d’octobre par les Etats-Unis devant l’ONU : Linda Thomas-Greenfield, représentante américaine aux Nations unies a ainsi déclaré que le groupe Wagner « exploitait les ressources naturelles de Centrafrique, du Mali et du Soudan » pour « alimenter la machine de guerre de Moscou en Afrique, au Moyen-Orient et en Ukraine ».
De plus, sur le moyen terme, le recul permet de constater que la présence des paramilitaires russes sur leurs champs d’action « historiques », si elle a enrichi les intérêts de Moscou, n’a pas réduit le niveau de violence et la volonté de certaines forces vives de ces pays de prendre la route de la migration en direction de l’Europe, volonté qui s’accentue à mesure que la violence et le terrorisme gagnent du terrain. Le tout couplé à une dégradation de la situation économique et du coût de la vie -triste ironie du sort- générée par les conséquences de la guerre en Ukraine.
Une situation sécuritaire précarisée
D’autant que la tension sécuritaire apportée par Wagner ne devrait pas s’arranger. Plusieurs informations indiquaient en effet que le groupe Wagner, miné par des pertes humaines, commençait à recruter dans les prisons. Mi-septembre, une vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux : on y voit un homme -certains ont reconnu Evgueni Prigojine- proposer à des détenus russes de s’engager, assurant que contre six mois de service en première ligne en Ukraine, ces hommes condamnés pour des actes violents seraient amnistiés. Outre le fait que cette vidéo rend évident la collusion avec le Kremlin -une organisation réellement indépendante ne pourrait pas proposer un tel arrangement à des détenus- elle montre que le profil des futurs mercenaires va évoluer. Dans un premier temps, Wagner recrutait en effet des anciens soldats russes d’unités d’élite, avec une vraie connaissance des environnements de combat et un casier judiciaire sans doute vierge (puisqu’ils ont pu faire partie des meilleures troupes russes). Le signal envoyé par cette vidéo est inquiétant : des délinquants ou des criminels aguerris vont bientôt garnir les rangs de l’organisation. Dans un premier tmps en Ukraine certes, mais après ? Wagner est présent sur de plus en plus de champs d’action et le vivier des vétérans aguerris semble maintenant tari.
Autre élément de déstabilisation à venir dans la zone : le départ français. Même si, par bien des aspects, le bilan des opérations françaises qui se sont succédées dans la bande sahélienne est sujet à des critiques, il ne faut pas comparer la capacité de mobilisation de la septième puissance militaire mondiale (classement Globalfirepower 2022) et celle d’un groupe privé paramilitaire, servant de paravent à des intérêts étatiques. La présence de Wagner au Mali ne s’est d’ailleurs pas caractérisée par une baisse notable de l’activité terroriste dans le nord du pays. Les médias internationaux ne manquent d’ailleurs pas de relever les pertes civiles occasionnées par des opérations menées avec l’appui de supplétifs russes qui génèrent plus d’insécurité qu’elles n’apportent de résultats. Du moins pas plus que les forces françaises qui, elles, agissaient dans un cadre légal et qui vont maintenant concentrer leurs forces ailleurs. « Des éléments européens seront repositionnés aux côtés des forces armées nigériennes dans la région frontalière du Mali », a ainsi confirmé le président Macron le 17 février dernier, précisant que « le cœur de cette action ne sera plus au Mali, mais sera au Niger ». Niamey présente d’ailleurs l’avantage d’une meilleure stabilité de son exécutif, permettant une plus grande sérénité dans la coopération militaire, d’autant que le pays se retrouve moins touché par le terrorisme que son voisin malien. De quoi renforcer la légitimité de transition démocratique, tout en rendant le pays encore hermétique aux actions du groupe Wagner.
Wagner, faux-nez de Moscou pour sa géopolitique africaine. Wagner, porte d’entrée sur le sol africain pour son propre business dans l’extractions des ressources naturelles. Mais Wagner joue aussi un troisième rôle : celui de « représentant » pour le complexe militaro-industriel russe en recherche de débouchés.
Les déboires russes sur le sol ukrainien sont en effet particulièrement préjudiciables aux ventes d’armes « made in Russia ». Si les troupes russes ont connu des avancées rapides dès le 24 février, le recul progressif des forces russes à l’Est, et même les défaites militaires récentes notamment à Lyman mettent les projecteurs sur la faiblesse de son potentiel militaire. Dès que les forces ukrainiennes ont pu compter sur les livraisons de matériel occidental, la tendance de la fin de l’hiver s’est inversée. Or l’accroissement de la présence de Wagner, notamment au Mali, correspond au moment où le marché de l’armement russe conquiert des marchés sur place dans une période où elle le conflit ukrainien lui fait une mauvaise publicité. En août dernier, le gouvernement malien confirmait les fournitures russes arrivant sur le territoire : « Nous consolidons notre capacité de reconnaissance et d’attaque avec des avions de chasse L39 et Sukhoi 25, qui s’ajoutent au Super Tucano et d’autres appareils déjà en dotation. Ainsi que les hélicoptères d’attaque de type Mi24P, qui s’ajoutent au Mi35 et au Mi24 déjà livrés » déclarait ainsi Sadio Camara, le ministre de la Défense.
Une nouvelle inattendue pour le marché de l’armement russe qui ne parvient même plus à fournir les éléments nécessaires pour son propre terrain d’opération, signe de sa décrépitude. Début septembre, le quotidien américain le New York Times annonçait que Moscou devait acheter des obus et des roquettes à la Corée du Nord. A défaut de pouvoir rivaliser sur le marché mondial -là ou d’autres fournisseurs profitent à plein de la démonstration de force sur le sol ukrainien- l’industrie de l’armement russe essaie de jouer la carte de l’influence par la force auprès de ses nouveaux débouchés africains. Une situation qui ne profitera pas, à terme, à la capacité de défense des Etats de la bande sahélienne.