Le dimanche 30 octobre, Lula a été élu pour la troisième fois à la tête du Brésil. Une revanche pour le Parti des Travailleurs qui avait vu son candidat privé d’élection en 2018 à la suite de sa condamnation pour corruption. Une nouvelle page s’écrit désormais avec de nombreux défis. Quels sont les enjeux pour les prochaines années ?
« Démocratie » c’est le mot qu’on pouvait lire sur les réseaux sociaux de Luiz Inacio Lula Da Silva le soir de sa victoire à l’élection présidentielle au Brésil. Lula est le premier politique brésilien à avoir été réélu pour la troisième fois. C’est un « nouveau » président âgé qui va tenter d’effacer son image de personnalité corrompue et de rassembler toutes les strates de la société brésilienne.
Q’un président emprisonné qui revienne comme un sauveur du peuple tient presque lieu du « miracle ».
Cette élection dont la campagne s’est déroulée dans une grande violence physique et verbale illustre avec force le manque d’alternative dans la vie politique brésilienne qui s’est enfermée dans une sorte de « binarisme » entre nationalisme et socialisme. Les résultats de cette élection montrent à quel point la société est divisée et qu’aucune figure forte ne prend un considérable avantage.
Le prochain mandat sera difficile pour Lula car il ne dispose pas d’une majorité parmi les gouverneurs. 14 des 27 gouverneurs élus ce dimanche appartiennent au camp de JairBolsonaro. Comme aux États-Unis, les gouverneurs agissent comme un contre-pouvoir. Ils peuvent prendre leurs propres décisions en matière d’éducation, de santé mais aussi de justice.
Lula devra aussi composer avec un Parlement à droite, le Parti libéral (PL) de Jair Bolsonaroétant devenu la première formation à la Chambre des députés comme au Sénat. La politique de Lula devra donc se réaliser avec Bolsonaro. L’actuel président nationaliste, qui n’a pas formellement contesté les résultats, va s’appuyer sur une base d’élus mais aussi d’électeurs pour que sa voix compte dans le politique.
Renouer avec un Brésil divisé
Les débats houleux du second tour sont le reflet de la violence qui existe dans la société brésilienne. Une violence qui s’est accentuée ces dernières années poussant parfois les Brésiliens à se faire justice eux-mêmes. La circulation des armes à feu est de plus en plus importante au Brésil, de la politique à la société civile.
Après son investiture le 1er janvier 2023, Lula devra donc essayer de créer une union nationale qui a disparu ces 15 dernières années tant la société est polarisée depuis le retour à la démocratie en 1985. « Restaurer la paix et l’unité » pour paraphraser son discours après sa victoire, sera l’un des principaux enjeux pour que la politique interne fonctionne. Il faut dire que beaucoup de politiques et personnalités du pays sont accusées de corruption ou de ne pas respecter les institutions. Il est important de rétablir un lien de confiance avec la politique et offrir un nouveau contrat social.
Au Brésil, il faut gouverner avec toutes les sensibilités politiques et parfois les plus radicales. Dans ce sens, le prochain mandat de Lula devrait être une continuité de ce qu’on peut observer au Brésil car les mentalités ne vont pas changer du jour au lendemain. La violence sociétale est endémique. C’est aussi une violence institutionnelle dénoncée par certaines ONG envers les peuples autochtones. La route sera donc longue avant de noter un véritable changement.
Du côté des coopérations, les négociations concernant l’accord UE-Mercosur conclu en 2019, qui avait été mis sous cloche sur fond de vifs débats environnementaux et agricoles, devrait pouvoir reprendre l’année prochaine. Globalement, c’est un signal positif concernant la place de Brésil à l’international qui s’était isolé ces dernières années.
Ce retour de Lula à la tête du Brésil, qui s’inscrit dans une dynamique d’un retour de la gauche au pouvoir dans beaucoup d’Etats latino-américains (Gabriel Boric au Chili, Alberto Fernandez en Argentine, Pedro Castillo au Pérou, Luis Arce en Bolivie ou encore Gustavo Petro en Colombie), va permettre de relancer une cohésion régionale notamment concernant la protection de l’Amazonie.
La question de l’Amazonie au centre du débat
Entre 2019, année où Jair Bolsonaro a pris ses fonctions, et le mois d’août 2022, plus de 41.000 km² de forêt sont partis en fumée, d’après l’INPE (Institut national de recherche spatiale). Avec 13.038 km² perdus en 2021, un tel taux de déforestation n’avait pas été atteint depuis 2008 (12.911 km²). C’était un sujet de campagne très important qui a mobilisé une partie de la population brésilienne soucieuse de préserver sa faune et sa flore.
Certains pays comme la Norvège avait même décidé de geler leur aide financière contre la déforestation de l’Amazonie au Brésil sous la présidence de Jair Bolsonaro. Des aides qui vont redémarrer après la victoire de Lula. C’est ce qu’a affirmé le ministre norvégien de l’Environnement en début de semaine. En aout 2019, à la suite des incendies touchant l’Amazonie, le Président de la République française avait cherché à mobiliser la communauté internationale lors du G7 de Biarritz, afin d’aider les Etats touchés. Le Brésil avait refusé l’aide de la France et du G7, considérant qu’elle mettait en doute sa souveraineté sur son territoire amazonien
On ne s’étonnera donc pas que dès sa réelection, Emmanuel Macron a appelé Lula pour le féliciter.
Conectando-se com o Brasil.
Connexion avec le Brésil. pic.twitter.com/cpYEf7dvGE— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 31, 2022
Relancer un « partenariat stratégique avec la France »
La relation entre la France et le Brésil ne peut que changer positivement à partir de 2023. On se souvient des relations compliquées entre la France et le Brésil avec Bolsonaro. L’un de ses ministres s’en était même pris à la première dame Brigitte Macron. Lors de ses félicitations à Lula, Emmanuel Macron a affirmé « attendre ce moment avec impatience » et insiste sur le fait qu’il souhaite « relancer un partenariat stratégique à la hauteur » de l’histoire entre la France et Brésil.
Premier débouché de la France en Amérique latine depuis plus de dix ans, le Brésil occupait le deuxième rang en 2021, avec 29% des ventes à destination de la zone, juste derrière le Mexique (29,2%). Près de 900 filiales d’entreprises françaises sont implantées au Brésil (dont la majorité des entreprises du CAC 40), où elles génèrent environ 500 000 emplois. La France reste l’un des premiers investisseurs au Brésil ces dernières années. Le pays a été très impacté économiquement par la pandémie de la COVID19 sous le mandat de Bolsonaro, critiqué pour sa gestion et ses prises de positions. On compte pas moins de 34 millions de cas détectés et près de 700 000 décès. Pour le moment, certaines entreprises françaises ont encore des appréhensions sur l’investissement au Brésil compte tenu de la conjoncture mondiale actuelle. L’élection de Lula, c’est une nouvelle donne qui pourrait favoriser une relance des investissements entre la France et le Brésil.
L’importance du Brésil pour la France est de premier plan car son territoire (Etat de Amapá) est voisin de la Guyane. C’est la plus grande frontière française avec un pays. Souvenons-nous du partenariat stratégique en mai 2006 par les Présidents Lula et Chirac : un engagement historique sur le partage de savoir-faire et d’expertise par des initiatives conjointes, s’appuyant sur la mise en commun de ressources matérielles, technologiques, humaines ou naturelles. Ce partenariat a pu connaître des succès sur plusieurs aspects, par exemple, la coopération scientifique.
Des changements sont donc à opérer pour relancer une relation dynamique et solide entre la France et le Brésil notamment au niveau diplomatique.