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18H16 - jeudi 24 novembre 2022

On n’oblige pas un Homme à aller dans l’arène. Tribune de Romane Berthier Binckly pour l’abolition de la corrida

 

Préambule :

Article 521-1 du code pénal :

  • Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende
  • Lorsque les faits ont entraîné la mort de l’animal, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

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Il y a 25 ans, Jacques Chirac révoquait le service militaire.

Jugeant le maintien de son imposition sévère et pensant que ce dernier renvoyait nos temps modernes à une image plus arriérée qu’ils ne l’étaient. Près de 200 ans après sa création, le chef d’État décidait donc du sort de ce dernier, et il le fit, sans même garder l’idée d’un service civil.

Le Président de la République pensait-il alors la civilité comme une chose déjà acquise par l’Homme ad vitam aeternam ? Ou bien, était-il civilisé au point d’abolir une tradition vieille de 2 siècles parce qu’on n’oblige pas un Homme à aller dans l’arène ?

Ce que je vise ici n’est pas une hiérarchisation entre l’Homme et l’animal, ne souhaitant pas risquer de prêter à l’un les qualités de l’innocence et de la fidélité, et ne considérant pas ma nature comme décideuse du sort de l’autre.

Ce que je voudrais cibler, c’est notre capacité à accepter l’inacceptable, encore, et à conscientiser qu’il y ait des degrés d’inacceptable.

« La corrida : ni un art, ni une culture, mais la torture d’une victime désignée » – Emile Zola.

Aujourd’hui, dans le monde, 8 États pratiquent encore la corrida et notre hexagone fait partie de ce tableau de la honte à la faveur de 3 régions : Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans lesquelles chaque année, près de 1000 taureaux sont abattus au sein des arènes.

Certains d’entre nous comparerons ce nombre à celui des abattoirs bovins et déplacerons le débat sur un faux dilemme – rejeter sur une action la culpabilité d’une autre. Mais là où la culpabilité de la corrida détient son authenticité, c’est qu’elle représente le mensonge de la mise à mort déguisée en spectacle. La magie du sang prônée dans un combat déloyal habillant la conscience collective d’œillères, refusant de voir qu’il n’existe pour l’animal aucune échappatoire.

Pourtant, si l’on en croit l’article 521-1 du code pénal cité dans le préambule ci-dessus, la corrida ne devrait plus être. Dans un dernier sondage de l’IFOP (Institut français d’opinion publique) 74% des Français sont favorables à l’interdiction de la corrida. Pourtant, plus de 200 combats ont encore lieu chaque année sur notre sol.

À raison légale ? La mention tissée à l’article 521-1 : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».

Voici la loi lorsqu’elle s’incline face à l’étendard des traditions.

 

À cet instant, j’accuse notre sophisme et notre aptitude à faire entrer au plus profond de nous, et à n’en jamais plus faire sortir, l’idée que le temps est étroitement lié à la raison. Que le la légitimité des choses se mesure à leur longévité.

Comprendrons-nous un jour que ce qui se perpétue n’est pas forcément tradition et que tradition ne rime pas toujours avec le bien-fondé ?

Si j’écris ces mots c’est parce que je crois à la résilience et à ce qu’elle pourrait amener avec elle : l’existence d’un « nous » qui trouverait, dans un vote, la solution, pour qu’aucun animal n’ait à subir une mort lente, douloureuse et surtout, surtout, une mort décidée et voulue par l’Homme.

L’office du Tourisme estime à 450 000 le nombre d’aficionados venus assister aux évènements de l’année 2022, pour un chiffre d’affaires dépassant les 40 millions d’euros. Mais loin de moi l’idée d’associer ces bénéfices à une raison valable du maintien de la corrida, j’ose espérer naïvement que l’impact économique que pourra entraîner l’abolition de la corrida perdra le combat face à l’intégrité des consciences.  

« Torturer un taureau pour le plaisir, pour l’amusement, c’est beaucoup plus que torturer un animal, c’est torturer une conscience »  clamait Victor Hugo

 

Dans ces arènes, certains assistent à cette mise à mort, entrent par la grande porte, persuadés de faire face à l’Histoire, celle qui s’écrit avec un grand H – dans ces lieux où cette même Histoire a vu, autrefois, d’un simple mouvement de pouce, la foule envoyer passer à trépas celui qu’elle avait acclamé à son entrée.

Mais cette fois, la foule n’a pas à choisir sa victime, elle se contente d’applaudir les danses des toreros comme l’Histoire a, elle aussi, souvent, célébré les faux héros.

 

Alvaro Munera a été un temps l’un d’eux. Ce Colombien de Medellin autrefois torero, est devenu paraplégique à la suite d’un combat dans l’arène en 1984. Blessé à 18 ans par l’animal, c’est pourtant lui qu’il défend aujourd’hui en étant une figure emblématique de la lutte pour l’abolition de la corrida. Dans un entretien accordé à Vice en 2008, il dévoile la cruauté à laquelle il a pris part : « Un jour, j’ai tué une génisse pleine et j’ai vu comment le fœtus était extrait de ses entrailles (…) J’ai voulu tout arrêter à ce moment-là mais mon manager m’a donné une tape dans le dos en disant (…) que des scènes comme celles-ci étaient banales dans la profession ». (Interview entière https://www.vice.com/fr/article/exedpw/bullfighter-152-v2n11)

 

Je n’ai pas la prétention de dicter la pensée des autres, mais si ces mots ont su attraper le cœur d’au moins l’un d’entre vous, tout cela n’aura pas été vain.

Pour ceux envers qui les mots, les images ne suffiront jamais, il faut que vous sachiez que   les costumes des toreros ne rendent pas moins tranchante la lame de l’épée – que vos cris n’atténueront jamais la douleur de l’animal – et que le rouge de votre foulard affiché fièrement dans l’arène et puis laissé à l’oubli à l’arrière de votre voiture, ce foulard-là, ne bandera jamais votre honte.

À chaque goutte de sang versée, c’est l’humanité qu’on tue un peu plus.

Incontestablement, ces mots viennent mettre au jour deux pendants de l’Humanité :

Ceux à qui, lorsqu’on parle de mémoire, ne regardent qu’en arrière, ayant peur qu’on touche à leur héritage.

Et puis il y a ceux qui craignent, eux, le regard de leurs enfants quand il faudra leur expliquer un jour, qu’on n’a pas su convaincre que la tradition peut nuire à la transmission.

Le combat pour l’abolition triomphera, parce que c’est ce qui est juste.

On n’oblige pas un Homme à aller dans l’arène.

 

Romane Berthier Binckly

 

PS : Mesdames, Messieurs les députés,

qui auriez dû débattre de ce sujet

dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale,

permettez-moi ces derniers mots :

 la corrida n’est ni un sujet de parti,

ni même un sujet politique,

c’est une question d’éthique.

 

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