Les comptes sont mauvais :
Un interne a un niveau bac +7 jusqu’à bac +12, est payé 5 à 6 € de l’heure, soit moitié moins qu’un(e) Baby Sitter (tarif horaire de 10 à 12 €) alors que nous avons des vies entre nos mains.
Un interne, c’est en moyenne 58h de travail par semaine avec un minimum de 48h et un maximum de 120h. Et je ne compte pas les travaux facultaires ou la formation qui arrivent en supplément(s) sur les weekends ou les soirées.
Un interne de garde, c’est souvent plus de 24h de travail d’affilé, si ce n’est plus : la légalité n’est pas toujours respectée.
Les internes ont 3 fois plus de chances de se suicider que les autres étudiants et plus des 3/4 d’entre nous ont développé des troubles d’anxiété.
25% des étudiants qui commencent des études de médecine ne seront jamais médecins car ils arrêtent en cours de cursus.
Un interne, c’est une fin d’étude vers 30 ans, comptée sans redoublement, avec une vie sociale pauvre et isolée.
Les études de médecine, c’est 121 215€ à 175 929€ d’économie pour l’Etat, d’après de nombreux calculs accessibles sur internet dont des sites médicaux.
Personnellement, autour de moi, les statistiques sont inquiétantes:
1 ami / 3 a déjà pris des anxiolytiques ou des anti-dépresseurs ;
1 ami / 3 est déjà allé consulter un psychologue ou un psychiatre ;
1 ami / 7 a déjà été arrêté pour « burn out » ;
100% ont déjà pensé à tout arrêter et à se reconvertir ;
1 ami / 5 ne sort plus en dehors de son travail ;
1 ami / 5 a vu son couple détruit ;
100% ont déjà fait une attaque de panique ;
1 ami / 7 envisage de partir exercer sa profession à l’étranger dans le futur ;
1 ami / 7 n’est pas sûr qu’il recommencerait des études de médecine si c’était à refaire ;
1 ami / 5 ne recommanderait pas ce choix professionnel dans les perspectives actuelles.
Alors on tient et beaucoup nous dise que « ça ira mieux après », pouvons-nous encore y croire?
En médecine, de manière générale, la retraite est atteinte vers 70 ans, si ce n’est plus.
Les jeunes chefs hospitaliers touchent moins de 4500 € brut/mois avec des horaires qui restent supérieurs à 48h/semaine ; je parle des spécialités médicales hospitalières, ce constat ne s’adressant pas au secteur libéral et à celui de la chirurgie.
Ca y est, on a 30 ans, on a (enfin) terminé nos études, on arrive déjà épuisés, voire certains ont arrêté en cours de route, d’autres n’y arrivent pas (une pensée aux internes qui ont disparus : 1 interne se suicide tous les 18 jours).
On essaye de faire un peu d’intérims pour combler les trous, essayer de se familiariser avec cette majoration des responsabilités car il n’y a plus personne derrière vous.
A 30 ans, on se cherche, on essaye d’élaborer un projet de vie après avoir sacrifié tant d’années (la plupart de mes autres amis trentenaires sont mariés, propriétaires et pour certains ont des enfants).
Doit-on attendre de la personne qui partage notre vie ou de notre famille de nous suivre encore durant ces 3 ans dans des déserts non seulement médicaux mais des déserts tout court. De tout abandonner pour nous alors qu’ils sont les piliers de nos vies, qu’ils nous aident à aller jusqu’au bout de tout ça et qui, eux aussi, subissent les conséquences à cause de ce choix de vie.
On se dit qu’on va pouvoir fonder une vie de famille et profiter un peu plus de la vie. Mais tout ça laisse des marques profondes.
« Et maintenant on va où ? »
Vous voulez supprimer l’intérim, alors que celui-ci concerne les hôpitaux et les cabinets médicaux dans un pourcentage non négligeable. Il s’agit de la survie de ces structures qui est assurée en partie par l’intérim.
Vous voulez supprimer la liberté d’installation, envoyer des médecins dans les déserts médicaux, mais toutes les zones en France sont sous-dotées en médecins, prendre un pion pour le mettre à une autre place comblera un trou mais va générer un autre manque.
Vous voulez interdire la reconversion professionnelle pour ne pas « gâcher des médecins une fois les études commencées » et pointer du doigts les personnes qui ont choisi de quitter cette voie, comme des lépreux. Qu’elle est la cause de ce mal ?
Vous voulez obliger les internes, en fin de cursus à aller 3 ans dans des lieux sous-dotés dont vous avez fait la liste, peu importe la situation, abandonnant maris/femmes/enfants ou familles, sans compensation financière, malgré les déménagements et frais que cela implique.
Vous voulez faire passer une 4ème année de médecine générale pour vous servir de ces internes en fin de formation, les envoyer au front, sans supervision (laquelle est déjà quasi inexistante lors du stage en cabinet de 3ème année) pour combler les trous, sans s’inquiéter de la qualité de leurs formations qui est assez variable selon les facultés.
Je pense qu’au lieu de se poser la question « Comment? » Il faudrait se poser la question du « Pourquoi? ». Connaissez-vous le principe de l’immigration médicale ? Aujourd’hui il existe beaucoup de médecins étrangers qui travaillent en France et viennent s’y installer quitte à repasser certains concours et recommencer leurs internats. Vous savez Pourquoi ? Parce qu’ils fuient. Ils partent de leurs pays où les conditions d’exercice ne correspondent plus à leurs convictions, où la rentabilité surpasse la qualité des soins, où les moyens sont trop faibles pour répondre à la demande. Ils partent parce qu’on les oblige à exercer dans tel ou tel lieux, et qu’à la fin de leurs internats ils sont obligés de rester un certain temps à l’hôpital en contrepartie de leurs études. Ils partent parce qu’après autant années d’études, de temps passé à sacrifier leurs vies, les horaires à rallonge, le gouvernement les sous-estime et le salaire ne suit pas leurs responsabilités. J’ai le regret de constater que le système français se rapproche petit à petit et dangereusement de ces conditions, et que même les médecins/internes étrangers commencent à se poser des questions sur le bien-fondé de venir exercer en France.
Ce que le gouvernement va gagner c’est une immigration médicale vers d’autres pays que la France. Les jeunes vont arrêter de choisir ce cursus, parce qu’à 18 ans quand on décrit cette situation cela ne fait rêver personne. Les internes déjà engagés dans leurs études vont partir, car ils préfèrent refaire 2 ans ou 3 d’internat dans un autre pays plus accueillant, avec à la clef une meilleure qualité de vie, un meilleur salaire et un statut, ce sera toujours mieux que de sacrifier encore 3 ans de sa vie pour des perspectives d’avenir qui semblent incertaines.
On fait parait-il « le plus beau métier du monde » mais soigner les autres rime chaque jour un peu plus avec se sacrifier soi-même. Nous sommes des humains avant d’être des médecins. La médecine, c’est notre métier mais nous avons le droit d’avoir une vie à côté.
Nous avons tout donné pendant la crise sanitaire, on nous a applaudis tous les soirs car quand le pays s’est arrêté, nous nous avons continué. Toujours présents sur le front. On nous avait promis monts et merveilles, mais tout cela n’était de la poudre aux yeux. On nous a encouragés et encensés et maintenant au lieu de nous remercier on se fait encore une fois exploiter. Toujours plus !
Aimeriez-vous changer de travail tous les 6 mois, vous voir déménager tous les 6 mois ? Ne pas pouvoir choisir la ville ou la filière que vous souhaitez parce que vous n’avez pas eu le bon classement à 0.00005 points près? Devoir toujours choisir votre travail au dépend de votre vie sociale? Être envoyé 3 ans loin de votre famille sans en avoir le choix? Ne pas pouvoir vous reconvertir si vous le souhaitez? Cela devient un cauchemar.
Je pense vous avoir tout dit.
Malheureusement nous avons moins de poids que les raffineurs de l’industrie du pétrole ou que les agents de la RATP, mais une conscience professionnelle pour ne pas bloquer le pays et mettre des vies en jeu.
Il est temps de se poser la question du pourquoi et du pour qui ? Parce que c’est aussi pour vous et vos proches, votre santé que l’on se bat. Un étudiant mal formé est un étudiant qui peut vous mettre en danger, un étudiant au bord du précipice est un étudiant qui peut vous porter préjudice. Un étudiant épuisé est un étudiant qui risque de se tromper. Nous connaissons nos responsabilités, les assumons et faisons de notre mieux.
Aidez-nous à mieux vous prendre en charge, c’est aussi le combat pour votre santé et votre avenir.
Les promesses nous en avons assez, désormais nous voulons des actes !