La chronique d'Anne Bassi
05H18 - jeudi 8 décembre 2022

Liens. La chronique littéraire d’Anne Bassi

 

Certains auteurs choisissent des héros principaux qui éclairent de façon inattendue leur ouvrage.

C’est le cas pour La Revanche du prépuce (1), roman de cette rentrée, ainsi que pour deux autres livres réédités en poche, Sa femme (2) (prix Médicis 1993) et Là où chantent les écrevisses (3). Ce dernier roman raconte les aventures de Kya, une jeune fille qui grandit à Barkley Cove, en Caroline du Nord, dans les années 1960. Abandonnée par sa famille, Kya noue une relation vitale et intime avec son environnement : le marais, cet « espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel ». Séparée du marais, Kya dépérit. Pour ne plus être atteinte par la méchanceté des hommes, elle se réfugie « aussi loin qu’elle peut dans la nature, là où les animaux sont encore sauvages (…) Tout là-bas, où on entend le chant des écrevisses. » Le marais, personnage principal du livre écrit par Delia Owens, diplômée en zoologie et biologie, éblouit le lecteur à chaque page.

C’est un personnage principal d’un autre genre qu’Emmanuèle Bernheim présente dans Sa femme. Claire entame une histoire d’amour avec Thomas, mais celui-ci lui annonce qu’il est marié. Progressivement, cette épouse dont Claire ne connaît rien prend de plus en plus de place : Claire imagine la maison du couple, les dîners entre amis, la routine familière avec les enfants. Cette épouse si absente devient le centre de sa vie et le cœur de l’histoire.

Au début du roman de Philippe Grimbert, le prépuce de Paul est omniprésent. Alors que son père, Simon, vient de mourir, Paul se remémore son enfance, « des heures [consacrées] à maudire seul dans sa chambre cet inutile paravent, cette ombrelle ridicule, que Simon qualifiait, lui, d’armure, de cotte de mailles ou de laissez-passer selon son inspiration du moment. Une protection ultime au cas où ils reviendraient… ». Est-ce que Paul aurait eu une vie moins torturée, moins « en pointillé » s’il avait été, comme son père, circoncis ? Cette question passe peu à peu au second plan pour laisser la place à une ode au lien entre le père et son fils.

Cette réflexion sur le lien traverse également les romans de Delia Owens et Emmanuèle Bernheim. Pour Claire, il semble que la relation avec Thomas ne peut exister que par la présence -imaginaire et fantasmée – de l’épouse de ce dernier. Kya, quant à elle, lutte toute sa vie contre le sentiment d’abandon qui la torture. Elle parviendra à donner sa confiance, d’abord à un père et une mère de substitution, puis à un homme, mais à tout jamais incapable de quitter le marais.

Qu’elle se joue avec un père, un lieu, ou même un personnage imaginé ; ces trois romans nous offrent une réflexion sur le lien.

Anne Bassi

fondatrice de l’agence Sachinka. Auteure du roman « Le silence des Matriochkas » publié aux éditions Berangel

Retrouvez les chroniques littéraires d’Anne Bassi : https://www.opinion-internationale.com/rubrique/la-chronique-danne-bassi

 

Présidente de Sachinka, chroniqueuse littéraire

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