La chronique de Jacques Soppelsa
14H59 - mardi 13 décembre 2022

Boko Haram, ou l’internationalisation du terrorisme islamiste en Afrique. La chronique de Jacques Soppelsa

 

Depuis bientôt un demi siècle, le groupe terroriste Boko Haram  (officiellement dénommé depuis 2015 « Etat Islamique de l’Afrique de l’Ouest ») » occupe (au-delà de ses difficultés actuelles) l’un de tous premiers rangs des préoccupations de la communauté  internationale, en multipliant les attentats et les massacres  de civils dans les régions septentrionales du Nigeria et, depuis  quelques années, au nord du Cameroun, voire sur les rives du Lac Tchad.

L’ Organisation des Nations Unies, après avoir affiché « ses plus vives préoccupations à l’égard des agissements du mouvement » (sic)a fini par reconnaitre officiellement  Boko Haram comme une organisation terroriste, le 22 Mai 2014, reconnaissance confirmée la  semaine suivante par l’Union Européenne.

Une reconnaissance qui semble être la moindre des choses quand on rappelle que ledit groupe islamiste armé a revendiqué plus de  deux cents attentas et plus de 5800 morts au cours de la dernière décennie !

Mais phénomène relativement récent, les exactions commises par Boko Haram, longtemps confinées au sein de l’Etat nigérian, ont franchi les  frontières. Avec les dramatiques conséquences que l’on imagine  pour les populations locales, notamment dans la partie septentrionale du Cameroun et sur les régions méridionales du Tchad et du Niger.

Mais, tout d’abord, rappelons, et ce n’est pas neutre, d’où vient le nom de « Boko Haram ».

Certes, le nom officiel du mouvement, depuis 2009, était « Grouoe sunnite pour la prédication et le  jihad » (Jama’atu ahlis Sunna lidda’Awati Wal-Juhad ») Et  ,le 7 Mars 2015, prêtant  allégeance  à « l’Etat isaiqiue » ,il avait abandonné ce patronyme en devenant  « la Province de l’Afrique de l’Ouest de l’Etat islamique » ( Wialyat-al-Sudbnal Gharbi.) Mais il a conservé de facto jusqu’à ce jour  son nom de Boko Haram. Il semblerait, même si cela est parfois contesté, que « boko » serait dérivé  de l’anglais « book », le livre, « haram » signifiant interdit en arabe. Boko Haram serait tout simplement un slogan affirmant la condamnation sans réserve de de tout enseignement et de toute référence au monde occidental, « pollueur de l’Islam ».

Ce rejet du monde occidental s’accompagnait d’une lecture littérale du Coran, lecture qui faisait dire à son chef des années quatre  vingt, Mohamed Yusuf, « que la terre est plate et que la pluie n provint pas d’un phénomène d’évaporation mais d’une décision d’Allah ».

Boko Haram, au cours des années quatre vingt et quatre vingt dix, sous la houlette de Yusuf puis de son successeur, Abubakar Shekau, va recruter essentiellement ses partisans et ses membres actifs dans les régions les plus déshéritées de l’Etat nigérian.

Mieux pire  le fossé préexistant au plan économique entre les provinces méridionales du Nigeria  et les contrées du Nord va se  creuser au cours des  derniers lustres. En 2016, par exemple, dans la province de Borno, 50% des enfants n’étaient pas scolarisés et plus de 80% des jeunes de moins de 18 ans quasiment illettrés. Ces oubliés de la croissance vont constituer les gros bataillons de Boko Haram, aux côtés du noyau dur des fidèles, très minoritaires, mais éduqués, cultivés, et fanatisés par Yusuf puis par Shekau…

 Autre tendance lourde (bien que parfois contestée) : l’éventuelle collusion entre Boko Haram et certaines personnalités locales, civiles ou militaires. Témoin, les nombreuses confidences recueillies par exemple, par les responsables du Bataillon  d’Intervention  Rapide de Yaoudé (cf.infra), soulignant «qu’il y  a  de très fortes chances de collusion entre la secte et de nombreux décideurs locaux dans les régions septentrionales du pays.

Nous touchons ici du doigt un  aspect certes  controversé mais  difficilement incontournable quant à l’évocation, au moins jusqu’à ces deux dernières années, de la « force de frappe » de Boko Haram.

 

L’internationalisation du phénomène

Depuis deux décennies, les séides de Boko Haram sévissent aussi désormais hors des frontières de l’Etat nigérian, dans les régions septentrionales du Cameroun et, plus récemment, sur les marges méridionales du Niger et du Tchad.

.Naguère, ces régions servaient essentiellement de zones de repli, voire de refuge temporaire pour les groupes islamistes au lendemain d’attentats commis au Nigéria. La donne a singulièrement changé avec :

-l’essor des activités « commerciales » illicites pratiquées par les militants de Boko Haram, du trafic de drogue au trafic d’armes ;

-la multiplication des raids meurtriers sur les rives du lac du Tchad, à Zipaguez, Hi Halifa ou Kolofata.

Trois facteurs se sont conjugués pour rendre compte de ce phénomène d’exportation des exactions de Boko Haram :

– la proximité  géographique, avec des frontières étirées sur près de 2000 kilomètres, particulièrement poreuses et difficilement contrôlables par les forces  de police  (des frontières artificielles, héritées de la colonisation, soit près de  85% des frontières du continent).

 

-l’état endémique de sous développement : Comme le soulignait notre collègue universitaire Manassé Ndong en 2018, «  Boko Haram n’a aucun mal à trouver des volontaires. Ces jeunes  étaient, vendeurs de carburant ou chauffeurs de moto taxis, dans les meilleurs des cas. Ils gagnaient en moyenne l’équivalent de 2 euros par jour. Avec les enlèvements et les rançons, ils peuvent toucher 1500 euros par mois et devenir de surcroît propriétaires de leur moto ».

-troisième facteur : la passivité ou, au mieux, l’impuissance, jusqu’à ces dernières années, des autorités locales  et des forces  de police.

 

La réaction des Etats face à ce fléau

L’Etat nigérian, après  de multiples atermoiements, voire d’éventuelles complicités, a été logiquement le premier à réagir face aux crimes de Boko Haram,  longtemps considérés par la communauté internationale comme émargeant au seul chapitre de la géopolitique interne du pays. Avec les résultats mitigés que l’on  sait. A fortiori à partir de 2015 et l’élection à la tête de l’Etat  de Muhamad Buhari face au Président sortant Goodluck Jonathan. Un Buhari dont l’attitude à l’égard de Boko Haram était généralement  jugée  comme ambigüe. Au point que les leaders de la secte  considéraient à l’époque que le nouveau Président « était l’une des rares personnalités avec qui il était possible  et même souhaitable de coopérer ».

Tout va changer avec le kidnapping des lycéenne de Chibok et le retentissement international de l’évènement.

Parallèlement, depuis quatre ou cinq ans, le Cameroun, le Niger et le Tchad  ont également pris des initiatives, parfois communes,  pour réagir face à Boko Haram.

Dans ce combat, Yaoundé figure aux premières loges. Le Président Paul Biya a mis sur pied un « Bataillon d’Intervention Rapide » posté le long de la frontière, avec des premiers résultats encourageants ; au même titre que la mise en place par le Tchad et le Niger, d‘une « Force multinationale mixte ».

Ceci étant, l’éradication complète de Boko Haram semblait jusqu’ à ces  deux dernières années, confiner au vœu pieux. D’autant que les relations entre le Nigéria et le Cameroun sont loin d’être au depuis l’émergence du contentieux, puis du conflit lié à la revendication, de part et d‘autre, de l’ile de Bakassi. Et que certaines forces fédérales, entre 2016 e t2019, ont manifestement bafoué les codes  de bonne conduite à l’ égard des populations civiles (un millier de morts par exemple à Maduguri lors de la disparition de Yusuf) incitant un nombre non négligeable de civils à rejoindre…Boko Haram par vengeance ou pour se défendre.

Sauf que la secte, depuis deux ans, vient de subir de sérieux revers de la part de l’Etat Islamique lui-même ! Contentieux internes ? En mai 2021,  les forces de ce dernier infligent une véritable déroute à Boko Harm dans la forêt de Sambisa, .Combat fratricide qui voit  Abubaka Shekau se suicider. Les survivants de la  secte, désormais sous la conduite d’Ibrahim Bakoura Budumy, ont dû se replier sur les rives du lac Tchad..

Champ du cygne pour Boko Haram ?

 

Jacques Soppelsa

Président honoraire de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, Doyen de l’École Supérieure des Métiers du Droit, Conseiller éditorial d’Opinion Internationale

Jacques Soppelsa et Alexandre del Valle, « La Mondialisation dangereuse », éd. L’Artilleur, 2021.

 

 

 

 

 

 

 

Jacques Soppelsa : l’épineuse question du Haut Karabakh

Dès la disparition de l’Union Soviétique, en 1991, un conflit ouvert éclate entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à propos du Haut Karabakh. De fait, il n’est que la dramatique poursuite des relations singulièrement…
Jacques Soppelsa