L’Europe traverse actuellement une crise énergétique sans précédent, et cette dernière a un impact considérable sur notre société en général, et sur le secteur de l’eau en particulier.
Car eau et énergie sont fortement interdépendantes. L’eau est utilisée en grande quantité dans la plupart des processus industriels de fabrication de l’énergie, qu’il s’agisse de produire des combustibles, de refroidir des centrales nucléaires, ou de faire tourner des centrales hydroélectriques. Et inversement, nos réseaux ont besoin de beaucoup d’énergie pour pomper, traiter, distribuer l’eau.
Ces problématiques indissociables, appelées « nexus eau-énergie », nous obligent à penser de manière coordonnée la gestion de l’énergie et la gestion de l’eau. D’autant plus que, si l’énergie peut être renouvelable, les ressources en eau, elles, sont limitées. Et que la crise énergétique ne fait qu’ajouter un facteur accélérateur à une crise de l’eau déjà bien présente.
Les collectivités doivent faire face à une double crise eau-énergie
Si aujourd’hui, l’énergie consommée pour prélever, traiter et distribuer l’eau potable et pour collecter et traiter les eaux usées ne représente « que » 2,6 % de la consommation d’électricité de l’Union Européenne, elle représente en revanche déjà 30 à 40 % des factures d’énergie des collectivités1.
Avec la flambée des prix de l’énergie, les municipalités, qui ont en charge la gestion des réseaux d’eau sur leur territoire, devront également couvrir les coûts plus élevés de l’approvisionnement public en eau. La FNCCR s’alarmait déjà au Printemps dernier du risque lié à la hausse des prix des réactifs et de l’énergie nécessaires à la potabilisation de l’eau et à la dépollution des eaux usées2. Avec l’amplification à moyen voire long terme de la crise de l’énergie, la situation risque de devenir de plus en plus critique.
Surtout que la crise énergétique vient renforcer une situation déjà fragile, avec un réseau national de plus en plus vieillissant, et des investissements lourds à prévoir pour rénover et moderniser les 850 000 kilomètres de canalisations de notre réseau d’eau.
Le tout alors même que la ressource en eau est de plus en plus sous pression, sous les effets du changement climatique et de phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus intenses au cours des dernières années, et particulièrement cet été en France.
Dans ce contexte, il est urgent d’agir, et seule une approche croisée, pour maximiser les possibilités dans les deux systèmes, eau et énergie, peut nous permettre d’éviter les ruptures d’approvisionnement.
L’enjeu à court terme est de réussir à accroître l’efficacité énergétique dans le secteur de l’eau, tout en utilisant le système d’approvisionnement en eau pour améliorer la flexibilité du système d’électricité, et en réduisant l’empreinte hydrique des industries énergétiques.
Des solutions existent mais elles nécessitent un engagement politique
Bien sûr, les services publics se mobilisent. Sur le plan économique, le plan de relance, dans son volet écologie et biodiversité, prévoit d’affecter 220 millions d’euros vers l’eau pour « sécuriser les infrastructures de distribution d’eau potable, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales »3.
Mais ce n’est pas suffisant. Et surtout, les services publics ont entre leurs mains la possibilité d’agir sur trois pans essentiels de cette double crise.
D’une part, rendre les infrastructures moins énergivores. En modernisant les équipements de sa station d’épuration et en adoptant les technologies dites « intelligentes », comme les jumeaux numériques, pour ajuster leur fonctionnement aux besoins réels du réseau en temps réel, les collectivités pourraient facilement gagner jusqu’à 30% d’économies d’énergie dans leur réseau d’eau4.
D’autre part, éviter de dépenser de l’énergie pour produire de l’eau inutile. En France, Un litre d’eau sur cinq n’arrive pas jusqu’à l’usager, du fait de fuites sur le réseau. Pourtant, cette eau a été extraite, traitée, et en partie acheminée. Mettre en place des politiques ambitieuses de détection et de réparation des fuites permettrait donc d’éviter de produire 20% d’eau en plus que nécessaire.
Enfin, favoriser la réutilisation des eaux usées (REUT), pour passer d’un modèle linéaire de consommation de l’eau – production / consommation / rejet – à un modèle plus circulaire. La France, en raison d’une règlementation très contraignante, réutilise aujourd’hui à peine 1% de ses eaux traitées, quand d’autres pays, comme l’Espagne (14%) ou Israël (90%)5, ont depuis longtemps mis en place des systèmes de récupération permettant de diminuer la pression sur la ressource.
Sur ce sujet, une opportunité majeure s’offre aux pouvoirs publics, avec la révision en 2023 au niveau européen de l’UWWTD (Urban Waste Water Treatment Directive), d’établir, dans la continuité de la directive sur l’eau potable, une feuille de route ambitieuse et de favoriser l’accès à ces solutions innovantes et durables.
Sur l’eau comme sur l’énergie, nous sommes au pied du mur. Mais des solutions existent. Il ne tient qu’à nous, acteurs de l’eau, de nous mobiliser pour mettre en place, ensemble – pouvoirs publics, industriels, gestionnaires de réseaux d’eau – les solutions pour sauver l’eau.
Géraud de Saint-Exupéry
Vice President Europe Business Development
Xylem Europe
1.JRC Report on Water-Energy Nexus in Europe (2019): https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC115853
3 https://www.ecologie.gouv.fr/france-relance-transition-ecologique .
4.https://www.xylem.com/siteassets/campaigns/xylem-cop-whitepaper_v08.pdf