Article paru le 23 janvier 2023 à 19h
Dimanche 22 janvier Paris a accueilli hier un Sommet franco-allemand pour célébrer les 60 ans du traité de l’Élysée. Grands discours à la Sorbonne, conseil des ministres franco-allemand à la Présidence de la République… La journée s’est terminée de façon émouvante sous l’Arc de triomphe avec le ravivage de la flamme du Soldat inconnu en présence de nombreuses personnalités allemandes, de l’association du Souvenir français, du Centre mondial de la paix de Verdun, de nombreux parlementaires et élus locaux comme la Mairie de Sceaux.
Malheureusement l’illusion entretenue tous les ans par la commémoration du Traité de l’Élysée comme lors de la première visite réservée à son voisin rhénan par le chef d’État sorti des urnes ne trompent plus personne.
Bien sûr que l’amitié franco-allemande est un bien précieux qu’il faut entretenir. Ce n’est pas l’Alsacien qui écrit ces lignes qui pensera le contraire. Mais le couple franco-allemand ne peut plus être le moteur principal, et encore moins le seul, de la construction européenne.
Pour des raisons de fond autant que de circonstances : tout d’abord les échanges culturels entre nos pays n’ont finalement jamais tourné à l’histoire d’amour. Les Français sont des latins qui préfèrent l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Méditerranée que les rives de l’Europe centrale voire du nord. Ce ne sont pas les centaines de milliers de visites au musée Unterlinden de Colmar ou les 60.000 billets de train offerts gratuitement aux jeunes allemands et français pour les 60 ans du traité de l’Élysée qui y changeront grand-chose.
Depuis la chute du mur de Berlin et la réunification allemande, le centre de gravité de l’Europe s’est déplacé en son centre géographique. Paris n’est plus la capitale des influences politiques en Europe. Pire, le décrochage économique, budgétaire, industriel, linguistique sociétal (les violences urbaines nuisent gravement à notre rayonnement international) de la France est tel que les excès de flamboyance et de charme communicationnel d’Emmanuel Macron séduisent de moins en moins ses homologues européens. Pire, ces derniers s’agacent de plus en plus des envolées européistes parfois totalement déconnectées des réalités européennes d’Emmanuel Macron.
La guerre menée par la Russie en Ukraine (rappelons que le drapeau européanisé de l’Ukraine, croqué par le dessinateur Hector est en tête de notre site Internet depuis bientôt un an) change aussi la donne : la capitale de l’Europe est presque désormais à Washington et nul ne pourra empêcher tous les pays de l’Est de l’Europe, de la Finlande à la Grèce, de s’abriter sous le parapluie militaire de l’OTAN. Ah elle est bien loin la mort cérébrale de notre Alliance militaire.
Enfin, les Allemands qui assument pleinement d’être des concurrents économiques nous assènent trop d’humiliations depuis dix ans, en passant des contrats militaires avec les Etats-Unis, en menant des programmes de recherche sans la France, en refusant une politique énergétique commune, en ouvrant les vannes migratoires de l’Europe en 2015 sans consulter Paris (merci Angela Merkel !). Et la liste pourrait être plus longue.
Le couple franco-allemand a perdu trop d’occasions d’assurer un vrai leadership européen : si la France et l’Allemagne avaient su financer une task force industrielle pour inventer un vaccin européen ou franco-allemand contre le Covid, l’Europe de la santé aurait pu espérer prospérer.
Si la France et l’Allemagne mutualisaient leurs livraisons d’armes à l’Ukraine pour faire front commun contre Poutine (le chancelier Scholz et Emmanuel Macron auraient pu ensemble annoncer depuis Paris la livraison de chars lourds à Kiev), alors oui le couple franco-allemand aurait de beaux jours devant lui comme moteur du pilier européen de l’OTAN. On en est loin comme l’atteste la colère du premier ministre polonais devant les tergiversations d’Olaf Scholz sur la livraison urgentissime de chars Leopard à Kiev.
Le couple franco-allemand pourra continuer sa valse à deux temps ! L’héritage de l’histoire nous l’impose. Mais le moteur de l’Europe, lui, doit d’urgence être réinventé….
Quelle Europe pour la France ? Quelle Europe pour les Européens ?
Il faut profondément refonder l’Europe. Sinon les populismes finiront par la balayer dans les années à venir. Et ce séisme, après le Brexit, pourrait bien se déclencher de France en 2027…
Il nous faut construire une nouvelle Europe politique et stratégique sur une nouvelle Alliance d’une douzaine de pays, dont la France et l’Allemagne bien sûr mais pas forcément comme seuls capitaines, qui redonnerait au Vieux Continent son plein leadership. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Roumanie, le Benelux, la Pologne ? Appel aux volontaires !
Les institutions européennes sont devenues trop complexes, bureaucratiques, perverties par des lobbyistes de tous poils (le Qatar Gate nous en donne un avant-goût). Ce machin européen doit être simplifié, clarifié, relégitimé démocratiquement ou il disparaîtra de ses blocages incessants.
Abandonnons les sirènes d’une Europe de la défense tant que des pays ne seront pas disposés à mobiliser des centaines voire des milliers de femmes et d’hommes prêts à mourir sous bannière européenne dans des opérations extérieures.
Cessons aussi de faire croire à une Europe de la santé (la mutuellisation des achats de vaccins n’y suffit pas) alors que chaque pays gère à sa façon la crise Covid et que l’Europe n’a pas été capable de concevoir un vaccin européen qui lui aurait donné tout son sens. L’Europe de la santé est mort-née.
Et concentrons-nous sur quelques chantiers stratégiques pour l’Europe :
- consolider l’euro et le droit européen (incluant une Cour Européenne des Droits de l’Homme qui doit néanmoins se soumettre davantage au droit régalien des Etats membres sur les questions les plus stratégiques) qui irriguent l’ensemble de nos sociétés et de nos économies,
- Investir massivement dans une Europe du numérique, seule à même de rivaliser avec la Chine et les Etats-Unis,
- Lancer une Europe de la Méditerranée pour apaiser nos relations avec l’Afrique et le Moyen-Orient tout en contenant mieux la pression migratoire et en luttant massivement contre la poussée de l’islamisme radical qui nous vient d’un Orient et de nos quartiers secoués entre modernité et retour au Moyen-Âge.
Enfin il y a belle lurette que l’Europe politique est morte (c’est un Français d’ailleurs qui l’a enterrée, Pierre Mendès France, en 1954). Et Emmanuel Macron en a gâché l’idée en osant organiser un Sommet d’une soi-disante Communauté Politique Européenne avec 44 Etats dont la Turquie d’Erdogan (quelle honte !) à Prague le 6 octobre 2022.
L’Europe n’est plus une valse à deux temps. Elle doit être refondée pour devenir une vraie valse à mille temps.
Michel Taube