Article paru le 18 janvier 2023
Le 30 novembre 2021, je déposai une question écrite au gouvernement sur mes inquiétudes concernant le futur guichet unique dédié aux formalités d’entreprise. Je souhaitais obtenir des réponses aux différentes problématiques qui remontaient des échanges que je pouvais avoir eu à la fois avec des interlocuteurs au sein de l’INPI, opérateur désigné par le Gouvernement, et avec des spécialistes en architecture digitale.
Les interrogations ne manquaient pas : quel partage des responsabilités entre la CCI et l’INPI, en l’absence d’un accord entre les deux parties quant au mode de fonctionnement ? Quid d’un stress test pour contrôler si cet outil était en mesure de supporter la charge de travail, sachant qu’il n’y avait eu que trois dépôts de dossiers depuis avril 2021, ce qui ne pouvait constituer un test probant ? La DINUM avait-elle procédé à un audit ? Silence radio. Je tentai aussi de faire prendre conscience des enjeux encourus par nos entreprises, en cas d’échec du dispositif, et de faire remonter mes inquiétudes. Déni total. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pendant un an, je me fais Cassandre et ne rate pas une occasion d’alerter ceux qui peuvent agir et ceux qui vont subir.
Début décembre dernier, nouvelle question écrite, à un peu moins d’un mois de l’obligation pour les entreprises d’utiliser le guichet unique, et après le lancement en catastrophe en octobre d’un appel d’offres de 5,2 millions d’euros pour suppléer à des carences. J’ai été informé que ne sont toujours pas publiés des textes réglementaires cruciaux, comme les modalités pour effectuer des formalités en cas de défaillance du guichet, ou la définition du pilotage opérationnel à mettre en place de tous les acteurs concernés (INPI, INSEE, URSSAF, chambres consulaires, greffiers).
Le délai restant ne permettant pas de finaliser l’organisation et les procédures nécessaires au bon fonctionnement de ce dispositif, je demande donc au ministre s’il envisage de repousser la date d’entrée en fonctionnement de ce guichet unique ou, à défaut, quelles mesures il compte prendre afin d’en pallier les défaillances. Nouveau silence, nouveau déni.
1er janvier 2023, l’heure de vérité pour formalites.entreprises.gouv.fr ! Le crash test ! La situation est plutôt bien résumée dans le propos de François Hurel, président de l’Union des auto-entrepreneurs (UAE), cité par L’USINE DIGITALE : « On pensait que le Covid allait tuer la création d’entreprises en France. Eh bien non, c’est l’administration elle-même qui s’en charge ! ». On pourrait formuler ce paradoxe autrement : comment la DGE, censée soutenir nos entreprises, réussit-elle à leur pourrir la vie ?
Les réseaux sociaux grouillent de commentaires excédés et acides, et listent les actions impossibles à mener à terme. Un site spécialisé dans les formalités légales énumère les démarches que, dix jours après l’ouverture du guichet unique, il est impossible de réaliser : radiation d’une personne morale, déclaration de bénéficiaires effectifs, modification de dirigeant avec personne morale étrangère, modification de capital social avec centimes, formalités de passage d’une SARL à EURL, et de SAS à SASU (cette liste n’est malheureusement pas exhaustive). D’autre part, pour un dépôt d’acte isolé, la réalisation se fait uniquement… par voie papier auprès des Greffes, alors que cette procédure était déjà dématérialisée avant l’ouverture du guichet.
Le site est victime, le 3 janvier, d’une attaque informatique majeure, « malgré de nombreux tests de sécurité », dixit le ministère. 100 000 fausses requêtes sont alors envoyées chaque seconde par le bot, rendant l’interface inutilisable. C’est la faute à pas de chance ? Bercy a depuis résolu le problème, mais, preuve que l’attaque est loin d’être la source de tous les maux, les dysfonctionnements persistent, au grand dam des utilisateurs, dont le guichet avait pour finalité de simplifier la vie…
Afin que les mêmes erreurs ne se répètent pas, il serait sain – et urgent- d’analyser les causes de ces échecs, d’autant que certaines des expériences de digitalisation de notre administration ont tourné au fiasco, au point pour certaines d’entre elles, d’être supprimées. Je n’en rappellerai pas la longue liste, si pénalisante pour nos deniers publics.
Dans le cas qui nous intéresse, était-il judicieux de confier une opération d’une telle envergure à un organisme sur lequel la Cour des Comptes écrivait dans son référé de 2019 : « Chacun des contrôles organiques diligentés par la Cour, au long des trente dernières années, a donné lieu au constat de nombreux dysfonctionnements, conduit à des conclusions sévères dont certaines ont justifié des suites juridictionnelles ou contentieuses. » Et poursuivait ainsi : « Il en est de même de ce dernier contrôle, à l’issue duquel la Cour constate la persistance de dysfonctionnements, plus particulièrement en ce qui concerne les achats, les ventes immobilières, les primes et rémunérations des dirigeants, et la gestion dématérialisée des brevets » ? Finalement, on a confié à un organisme une mission nouvelle, alors qu’il avait déjà du mal à assurer ce qui était son cœur de métier…
Selon les propos du Directeur général délégué de l’INPI, l’institut avait candidaté pour s’occuper du Registre National des Entreprises, qui aurait été une évolution du système informatique Data INPI. Lors de cette candidature, le chargé de la mission interministérielle aurait donné son accord à condition que l’INPI prenne en charge le guichet unique. A aucun moment cependant, le conseil d’administration n’a donné de mandat à la direction générale de l’institut pour candidater, ce n’est qu’après que l’institut a été sélectionné qu’une « information » a été faite au Conseil.
Mais au-delà de cette genèse propre au guichet unique des formalités d’entreprises, il me paraît essentiel de revoir ce qui dysfonctionne à chaque fois, dans l’approche et le modus operandi de la digitalisation de notre administration. La première erreur, celle qui entache le processus ab initio, c’est de considérer que les ressources humaines internes sont en mesure d’assurer la gestion de tels projets. Il s’agit en effet d’un véritable métier, de compétences bien spécifiques qui ne s’improvisent pas. Sinon, c’est la porte ouverte aux bugs et autres dysfonctionnements, et aux innombrables tentatives de bricolage qui en découlent et alourdissent les coûts.
Il ne suffit pas d’avoir fait une école prestigieuse pour mener efficacement de tels chantiers. Cela s’apprend et les compétences existent dans notre pays, même s’il faut aller les chercher dans le privé. Ce n’est pas iconoclaste. Pourquoi se prive-t-on de l’expertise de Cap Gemini, Atos, Onepoint, ou d’autres entreprises françaises spécialisées dans ce domaine transformation numérique des entreprises et organisations, mondialement renommées.
Au-delà d’un usage raisonné et raisonnable des deniers publics, s’il est un grand oublié des parcours administratifs, c’est l’usager. Quand ça ne fonctionne pas, il en est la première victime, alors que, fondamentalement, il doit être l’objet de toutes les attentions. La moindre des préoccupations doit être la satisfaction de celui qui accomplit des démarches, la plupart du temps par obligation et pour se conformer aux lois en vigueur.
Or, pratiquant l’entre-soi, les services administratifs n’ont toujours pas intégré cette dimension. Un site marchand dépensera des trésors d’ingéniosité pour la satisfaction de ses clients s’il veut les conserver. L’usager d’une administration est par nature captif. Si celle-ci n’assume pas son rôle de « service », elle devient clairement maltraitante et contre-productive, un non-sens absolu quant à sa raison d’être. Dématérialiser ne doit pas déshumaniser.
Enfin, la sécurisation des systèmes, le recours à une sauvegarde systématique des données collectées constituent un prérequis non négociable. La cyberattaque du 3 janvier tend à prouver que, là aussi, le dispositif a failli. Autant de défaillances, ce n’est pas la faute à pas d’chance !
Philippe Latombe
Député de Vendée, membre de la commission des lois, commissaire à la CNIL, rapporteur de la mission parlementaire sur la souveraineté numérique
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