En affirmant dimanche matin sur France Info que le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans « n’est plus négociable », Elisabeth Borne réinvente le célèbre « Je suis droit dans mes bottes » d’Alain Juppé*. Elle a été rejointe par Gérald Darmanin qui étrillait au même moment dans Le Parisien la stigmatisation du travail par la Nupes, la CGT et consorts, accusés de vouloir « bordéliser le pays ».
Prononcer ces paroles, quand bien même auraient-ils raison sur le fond, à la veille de l’ouverture de la discussion parlementaire à l’Assemblée nationale et à l’avant-veille de la deuxième grande journée de manifestations (et de grèves) du 31 janvier, c’est faire le choix de mettre de l’huile sur le feu et l’assurance de gonfler les troupes de protestataires demain. C’est privilégier le bras de fer alors même que dans un pays socialement développé, l’ouverture de la phase législative devrait sonner le vrai coup d’envoi du débat démocratique ! Apaiser les esprits aurait été préférable à ce moment de la crise.
Cette certitude gouvernementale est d’autant plus dangereuse que le vote de la loi de réforme des régimes de retraite est loin d’être assuré : comment se positionnera le groupe des 20 députés de centre gauche et régionalistes LIOT ? Combien de députés LR voire Renaissance s’abstiendront ? Certes, le gouvernement a choisi une procédure, l’article du désormais fameux 47.1 de la Constitution, par laquelle grosso modo la réforme pourrait finir par être appliquée par ordonnance en cas d’impasse parlementaire dans les 50 jours de discussion. Seule une motion de censure pourrait faire barrage au vote de la loi, voie que le Conseil constitutionnel pourrait retoquer au final.
Le gouvernement pêcherait-il par orgueil et suffisance, traits de caractère dont Emmanuel Macron s’est trop souvent fait le champion ? En attendant, ce sont les Français qui trinquent.
Michel Taube
*C’est le 6 juillet 1995 qu’Alain Juppé avait prononcé cette phrase devenue célèbre, dans l’affaire liée au loyer de son logement et de celui de son fils, mais qui était restée comme la posture du gouvernement sur sa réforme des retraites finalement abandonnée en décembre de la même année.