Article paru le 26 janvier 2023
Il nous reçoit dans sa résidence officielle de chef de l’État habitée par des paons majestueux, sur la rive droite du fleuve Congo, à l’ombre du pont du 15 août 1960, dont les haubans font la fierté de Brazzaville, et à portée de vue de Kinshasa, la grande sœur voisine.
Le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso nous accorde un long entretien. Se dégage de celui que son ami Alassane Ouattara surnommait « l’empereur » un mélange d’assurance et de sérénité forgées par un demi-siècle de combat politique.
Entretien avec un dirigeant africain à qui l’actualité la plus chaude du moment offre l’opportunité d’honorer sa solide réputation de médiateur en chef des conflits africains.
Opinion Internationale : Monsieur le Président, merci de recevoir Opinion Internationale. Quelques questions d’actualité pour commencer. L’Afrique centrale est en proie à de fortes tensions entre la RDC et le Rwanda. Craignez-vous un embrasement de la région ?
Denis Sassou Nguesso : Nous ne ménageons pas nos efforts. Nous avons notamment accueilli une importante réunion ministérielle du Comité consultatif permanent des Nations unies sur les questions de sécurité en Afrique centrale et nous appelons les parties à la retenue.
Vous êtes depuis dix ans déjà à la tête du Comité de haut niveau sur la Libye. Pensez-vous vraiment que l’on sortira un jour de ce bourbier libyen ?
Mon ministre des Affaires étrangères était récemment à Tripoli pour préparer un comité préparatoire en vue de la tenue d’une conférence inclusive de réconciliation nationale en Libye qui doit se tenir avant cet été. Si tout se passe bien.
Toutes les parties ont intérêt à trouver une issue à cette crise libyenne, que ce soit l’Europe qui veut maîtriser ses flux migratoires ou l’Afrique qui voit progresser l’islamisme radical.
Le Congo est un Etat laïc comme la France et l’article 1 de votre Constitution le stipule. Au Congo, ne souffrez-vous pas de la montée de l’islamisme radical et du djihadisme qui ensanglante de nombreux pays africains et qui, pour tout dire, dénature l’Afrique ?
Certainement mais ces manifestations n’ont pas leur place chez nous.
Quand nous observons des manifestations de djihadisme aux frontières de la RDC, de l’Ouganda, du Mozambique, dans le bassin du lac Tchad, dans le nord du Cameroun, c’est à notre porte. C’est pourquoi nous accordons une grande importance à la résolution de la crise libyenne.
La stabilité en Libye, c’est la stabilité dans toute l’Afrique.
Vous êtes parmi les dirigeants africains qui ont adopté une position neutre dans la guerre qui ravage l’Ukraine. Est-ce à dire que vous remettez au goût du jour ce mouvement des non-alignés dont vous avez été un des champions dans les années 80 ?
Pour vous dire la vérité, après la chute du mur de Berlin et l’écroulement du Pacte de Varsovie, nous avions pensé que c’en était fini des grandes alliances militaires, notamment de l’OTAN. L’Alliance atlantique est restée. On a l’impression que se recrée une ambiance de guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie.
Dans ces conditions, nous cherchons à promouvoir le dialogue et la négociation. L’Afrique pourra proposer des solutions de sortie de crise.
Monsieur le Président, en décembre, vous avez participé à Washington au Sommet Etats-Unis – Afrique. Cet événement n’illustre-t-il pas en contre-point le recul de la France en Afrique ? En effet, la France n’a plus organisé de Sommet avec les chefs d’Etats africains depuis plusieurs années. Au fond, les années Macron ne sont-elles pas celles d’un rendez-vous manqué avec l’Afrique ? Dès son discours à Ouagadougou le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron n’a-t-il pas trahi une règle de bienséance très africaine en humiliant, devant des jeunes, un ancien, de surcroît un président de la République, M. Kaboré. Finalement, ce moment fondateur de la relation d’Emmanuel Macron à l’Afrique n’annonçait-il pas la raréfaction voire l’abandon des Sommets Afrique France au niveau des chefs d’États ?
C’est votre analyse mais ces Sommets se déroulaient me semble-t-il dans l’intérêt de la France. Si la France décidait désormais d’y renoncer, c’est son choix souverain. Il ne dépend que de la France et des États africains de leur donner un réel contenu.
On ne va pas dire que Montpellier en octobre 2021 était un Sommet. C’était une rencontre, un colloque, un Forum mais c’est un excès de langage de parler de Sommet.
En attendant, – cela n’aura pas échappé, j’imagine, aux dirigeants français -, d’autres États organisent ces rencontres au plus haut niveau : la Chine, la Russie, la Turquie, le Japon, l’Inde.
Et en décembre dernier, à Washington, personne n’a donné d’ordres à personne. Joe Biden a mis 55 milliards de dollars sur la table pour le développement de l’Afrique dans les trois prochaines années et apporté son soutien à la demande de l’Afrique d’avoir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies et au G20.
La relation entre vous et la France, le Congo et la France, c’est un peu un grand « je t’aime moi non plus » ?
Notre histoire est riche et parfois tumultueuse. Je me souviens du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar [« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » y a-t-il dit notamment, NDLR], ou ce Sommet de la Francophonie à Kinshasa fin 2012 où le président Hollande est venu et a presque ignoré l’existence du président Kabila dans son propre pays.
Les poursuites sur les biens mal acquis entachent aussi cette relation ?
Elles sont le fonds de commerce de certains journaux et ONG plus qu’une affaire sérieuse.
Il est toujours utile de relire ses classiques (de Spinoza à Montesquieu) pour se rappeler que l’anarchie est l’ennemi contre lequel l’ordre politique est institué et s’efforce de se maintenir. Aujourd’hui, l’ordre, c’est la stabilité. Comment jugez-vous d’une part les coups d’État militaires qui secouent l’Afrique occidentale. Et d’autre part, la stabilité qui constitue votre principal bilan à la tête du Congo justifie-t-elle votre maintien au pouvoir depuis de si longues années ?
Je ne soutiens pas les coups d’État. Des militaires peuvent accéder au pouvoir mais démocratiquement et pas par la force. L’Afrique cherche sa voie entre une démocratie parfois anarchique et une gouvernance dans l’ordre. Si le peuple souhaite renouveler la confiance à ses dirigeants pour plusieurs mandats, c’est son droit le plus légitime.
Je le dis dans tous mes discours : nos pays en construction ont besoin de paix et de stabilité. Les pays les plus stables sont ceux qui réussissent le mieux leur développement : je citerai par exemple la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Maroc.
Quelles sont vos priorités pour les prochaines années ?
Nous devons faire oublier le pétrole ! L’accélération de la construction des infrastructures, le développement d’une agriculture souveraine et l’électrification sont notre avenir. Par exemple, les Parlements du Congo et de République Démocratique du Congo ont ratifié en 2022 les lois permettant de construire prochainement un pont routier qui reliera Brazzaville à Kinshasa. De même le déploiement de zones de libre-échange en Afrique participera à notre développement.
De même le Fonds bleu pour le bassin du Congo avance : les études ont été menées. La Banque de développement des États d’Afrique centrale a été retenue pour gérer les projets. Nous attendons le soutien de la communauté internationale.
Et la mère des batailles, bien entendu, sera la protection et la valorisation de nos forêts, deuxième poumon de l’Afrique.
L’Afrique, on ne devrait plus l’appeler l’Afrique noire mais l’Afrique verte.
L’avenir, c’est le Congo bleu et vert ?
Depuis les années 80, je lutte en ce sens et nous plantons des forêts artificielles. Nous avons réussi le bouturage et le clonage de l’eucalyptus qui permet d’en reproduire un million à partir d’un seul arbre. Une loi oblige tous les Congolais à planter un arbre tous les 6 novembre, à l’occasion de la Journée nationale de l’arbre. Avec le PRONAR ( Programme National d’Afforestation et de Reboisement), vous visons 1 million d’hectares reboisés dans les dix ans.
Vous rendrez-vous au One Forest Summit organisé finalement par la France et le Gabon à Libreville en mars ?
Le président de la commission climat du bassin du Congo que je suis se rendra à Libreville. Je vous rappelle que lors de la COP 27 à Charm-el-Cheikh en Egypte en novembre dernier, l’ai lancé l’idée d’une décennie de la reforestation et du reboisement.
La France et le Congo ont un point en commun : plus d’un tiers de la France est recouverte de forêts. Et le Congo encore plus. Les agriculteurs français, qui souffrent de plus en plus avec la sécheresse et le réchauffement climatique au point de s’interroger sur leur survie, pourraient-ils diversifier leurs revenus en venant au Congo vous aider à valoriser vos ressources vivrières et naturelles ?
Les agriculteurs français sont les bienvenus ! Nos amis brésiliens nous ont par exemple aidés à introduire des races bovines.
Mais dites-moi, Monsieur Taube, je vois que vous portez une cravate et des chaussettes orange. Est-ce un signe votre soutien à la révolution orange en Ukraine ?
Cela le pourrait mais c’est en fait le symbole du respect des femmes. ONU Femmes organise tous les ans l’Orange Day contre les violences faites aux femmes.
Connaissez-vous la loi Mouebara ?
Non, Monsieur le Président.
C’est la loi qui porte le nom de ma maman, Emilienne Mouebara, consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes en République du Congo. Nous l’avons adoptée en 2022.
Vous êtes un amoureux du football. Vous avez rencontré le roi Pelé, disparu en décembre ?
Il est venu jouer à deux reprises avec son club de Santos contre notre équipe nationale. Nous nous sommes bien défendus. Mais quel homme !
Vous êtes un aficionado du Real de Madrid. Que pensez-vous du sort qui est fait à Zinedine Zidane en France ?
Je lui conseillerais de laisser faire mais il est assez sage pour ne pas avoir besoin de nos conseils.
Propos recueillis par Michel Taube