Incontestablement la France est en crise. Non pas cette fois une crise financière comme en 2008 avec l’importation de l’éclatement de la bulle des subprimes américains, non pas par une crise de financement des Etats comme avec la crise grecque. Non cette fois la crise est franco-française et politique. Car, par « chance », par bon sens de Bercy, ou surtout par afflux de liquidités depuis des années, l’économie se porte bien. Le chômage a baissé ; on peut espérer le « plein emploi » ; les entreprises dégagent d’importants profits et tout cela malgré une inflation des matières premières, une inflation des coûts et une hausse, à mon sens bien plus forte que de raison, des taux d’emprunt.
Mais le cirque organisé par les extrêmes lors de l’examen de la Réforme des Retraites, et même bien avant, et la difficulté du gouvernement à faire voter un texte qui est très loin de révolutionner nos vies témoignent de cette crise profonde.
Qu’est-ce d’ailleurs qu’une crise ? Pour les latinistes, c’est la phase décisive d’une maladie, le moment critique. Pour les rares encore amateurs de grec ancien, krisis signifie décision, jugement et nécessite discernement dans l’analyse comme dans le choix des actions à mener. En Chine enfin, le mot crise est weiji, regroupement de wei, danger, et ji, opportunité. Moment critique, discernement, danger, opportunité.
Nous en sommes exactement là et il convient, collectivement, de faire preuve de discernement, de se prémunir contre les dangers et de saisir les opportunités.
Est-il utile d’énumérer les dangers auxquels nous sommes confrontés ? Danger des extrêmes bien sûr, danger d’une France ingouvernable, surtout en cas de dissolution, danger d’explosion sociale, danger de guerre civile. Danger de guerre tout court car n’oublions pas la guerre en Ukraine, la guerre au Sahel, la possible prochaine bombe atomique chez les Ayatollahs. Poutine, islamistes et gardiens de la « révolution » se frottent les mains et espèrent notre affaiblissement. On ne peut que souligner, d’ailleurs, les proximités, ne serait-ce qu’intellectuelles, entre les extrêmes et ces ennemis de nos Valeurs…
Mais le vote de la motion de censure LIOT peut aussi être vu comme une opportunité. Car, quoiqu’on en dise, la motion de censure a été rejetée. Que ce soit par 3 voix comme du temps de Bérégovoy ou par 200 comme celles lancées par l’extrême droite, ce que l’histoire retient est que le gouvernement n’est pas tombé et que la loi est passée ! Bien sûr, certains à droite ont joué à faire peur en déposant cette motion comme en la votant, tout en sachant pertinemment qu’elle ne passerait pas. Certes ils ont joué avec le feu et ont failli nous entraîner dans le chaos, mais leur message est aussi passé. Le Président Macron doit entendre ce message à présent.
Quel est ce message ? quelle est l’opportunité sous-jacente ? Comment retrouver la raison, le discernement ? Comment l’ordre peut-il à présent sortir du chaos ?
Le vote autour de cette motion de censure nous montre certainement la voie, à savoir un contrat de gouvernement clair au centre droit, là où se situe le centre de gravité de l’Assemblée Nationale en fait, avec une ligne politique soutenue à la fois par la Majorité Présidentielle et par une grande partie des Républicains !
Cette ligne politique est assez facile à tracer : plus de régalien, plus de liberté économique, plus de justice sociale, plus de Laïcité. Moins de déficit, moins « d’accommodements raisonnables ». Mieux d’Etat. La République en somme, équilibre subtil entre Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité. Cette ligne claire permet aussi d’adresser les défis auxquels notre pays est confronté dans le bon sens : d’abord la réforme du Travail avant la réforme des retraites, d’abord la remise sur pied de notre Education Nationale, de notre politique familiale, de notre politique sur l’immigration, d’abord la modernisation de notre système de santé et de nos hôpitaux avant de choisir le curseur sur l’âge de la retraite, le nombre de trimestres de cotisation ou un vote sur le suicide assisté.
Elisabeth Borne pourrait incarner pleinement cette ligne politique, car ce n’est pas elle qui a démérité, loin de là. Il faut cependant, voire certainement, trouver une autre incarnation, avec des personnes disposant d’une histoire politique plus forte, plus solide, autour d’un nouveau Premier Ministre qui porte en lui ces Valeurs hautement Républicaines, avec une pensée proche de la Pensée Radicale, c’est-à-dire Radicalement Républicaine, avec une expérience forte de la négociation avec les syndicats comme avec les corps intermédiaires, avec un ancrage territorial puissant, idéalement un président de région…
Monsieur le Président, à vous de faire preuve de discernement, de nous prémunir des dangers et de profiter de cette opportunité. A votre téléphone…
Patrick Pilcer
Conseil et expert sur les marchés financiers, président de Pilcer & Associés,
Chroniqueur Opinion Internationale