« Non, un homme ça s’empêche. » C’est à cette phrase d’Albert Camus qu’on pense lorsqu’on observe la bataille pathétique autour du rapatriement en Guinée de la dépouille de l’épouse de l’ancien président Alpha Condé, décédée à Paris, le 8 avril dernier. Seulement cinq mots, d’une rare pertinence, qui invalident tous les arguments avancés par la junte au pouvoir à Conakry pour justifier son désir de tenir à l’écart le prédécesseur de Mamadi Doumbouya.
Lui et sa suite qui se sont bien gardés de mentionner le nom d’Alpha Condé dans leur communiqué, publié le jour du décès de l’ex-première dame, suscitant l’étonnement de tous. Une attitude prouvant que les membres du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) considèrent la dépouille de Djénè Kaba Condé comme un butin de guerre ou un trophée politique permettant de ripoliner leur image auprès de l’opinion publique nationale.
Pourtant, si l’ancien président n’était pas une figure majeure de la scène politique guinéenne, il ne serait jamais venu à l’idée des actuels dirigeants du pays de mettre en scène leur mansuétude à l’égard de la famille de son épouse ou encore de tenter une récupération politique de ses obsèques. En d’autres termes, la dépouille de Djénè Kaba Condé n’a de la valeur pour la junte que parce que c’est l’épouse du professeur Alpha Condé. La vérité, c’est que de nombreuses valeureuses guinéennes succombent chaque jour des conséquences de la gestion désastreuse du pays par la junte sans entrainer une telle mobilisation des autorités et sans que celles-ci se proposent de prendre en charge les obsèques sur le budget de l’État.
Dans ces conditions, l’insistance de la junte à s’impliquer dans l’organisation des funérailles de l’ex-première dame et la volonté de ses membres de marginaliser Alpha Condé n’est pas qu’une faute politique ; surtout que l’ancien président a fait savoir à l’ambassadeur de Guinée en France son souhait de ne pas associer les autorités guinéennes aux funérailles de son épouse. Il s’agit en réalité d’une faute morale et d’une grave atteinte aux principes du mariage et aux recommandations du saint Coran : la dépouille d’une défunte appartient prioritairement à son époux. Il ne s’agit pas que d’humilier un homme éprouvé par la disparition de son épouse mais d’un terrible signal, un de plus, montrant que cette junte ne reculera devant rien, même le pire, pour réduire en silence ou éliminer opposants et adversaires.
C’est la preuve que sous le régime du CNRD, la Guinée a renoué avec les vieux démons de la haine et de la division. En manipulant certains membres de la famille de Djénè Kaba Condé pour aller à l’encontre des préconisations de son mari, la junte démontre qu’elle reste une menace pour l’ensemble des droits et des libertés civiques.
Faute d’une vision claire et d’une réelle volonté d’apaisement, le chef du CNRD s’est laissé entrainer dans un bras de fer qui risque d’écorner davantage son image, puisque son attitude à l’égard du président Alpha Condé, auquel il doit son ascension, est considérée par beaucoup comme un désir de parricide, lequel est très mal vu en Afrique.
Les exemples sont légion sur le continent où les familles rejettent souvent, pour une raison ou une autre, l’implication des autorités dans l’organisation des obsèques de leurs proches décédés. Il était donc dans l’intérêt de Mamadi Doumbouya d’éviter d’imposer à l’ancien président une épreuve supplémentaire. Le président de la transition n’avait rien à perdre en laissant Alpha Condé organiser les funérailles de son épouse à sa guise. Il n’était pas nécessaire d’empêcher le transfert de la dépouille à Istanbul où habite le mari éploré, avant un retour à Kankan, même par la route via Bamako, comme ce dernier le souhaitait. Il aurait même dû s’empresser d’accorder l’autorisation d’entrée sur le territoire guinéen à la dépouille. Cela n’aurait nullement affecté son autorité ou être considéré comme une faiblesse. Bien au contraire, ç’aurait été une grande marque d’humanisme.
Voilà pourquoi les dernières disputes sont clairement une occasion manquée pour apaiser les tensions entre le président de la transition et son prédécesseur. Alors que les obsèques de Djénè Kaba Condé devaient être un moment de bascule permettant de dépasser les ressentiments et de réconcilier les Guinéens. Hélas, là encore, les tenants du pouvoir à Conakry n’ont pas été à la hauteur.
Adrien Poussou et Eric Bazin