Emmanuel Macron s’adressera aux Français ce soir comme le président de la République adresse ses vœux le 31 décembre : il commencera par apaiser le climat ambiant, espérant tourner la page de ces trois mois de guéguerre civile, et il brossera surtout un tour d’horizons des grands défis qui menacent notre pays. Certainement trouvera-t-il les mots pour crier victoire sans humilier ses adversaires. Mais pour l’essentiel, il ne pourra rien annoncer de concret. Comme toute veille de la Nouvelle Année. Car c’est bien comme si une nouvelle année – bien pâle – commençait mais celle-ci risque de durer quatre ans…
Et pour cause : le chef de l’Etat n’a plus les moyens d’entamer de grands chantiers de réformes car il n’a plus de majorité parlementaire au Palais Bourbon. La grande leçon de l’affaire des retraites, c’est que les députés LR ne sont pas assez nombreux pour apporter l’appoint qui permettrait à la macronie d’obtenir une majorité absolue en cas de vote d’une loi sur des dossiers chauds ou des chantiers brûlants.
Plus que jamais l’Assemblée nationale est ingouvernable. Et au vu du décrochage d’Emmanuel Macron dans l’opinion publique, la danse du ventre annoncée en direction des sénateurs LR risque de se solder par un beau « rateau ».
Depuis dix jours, Elisabeth Borne était chargée de rencontrer les dirigeants des partis politiques, les leaders syndicaux et les organisations de collectivités locales pour proposer une feuille de route pour les prochains mois. Mais la vraie question qu’a dû se poser l’exécutif est plutôt celle-ci : quelles réformes pourraient donc rencontrer suffisamment de consensus pour être adoptées sur des votes à la majorité relative ?
Depuis un mois par exemple, à l’ombre de la querelle sur les retraites, comme le rappelle Lola Scandella pour France Télévision, cinq projets ou propositions de lois sont sur le point d’être votés ou l’ont été malgré cette impasse politique : l’inscription de l’IVG dans la Constitution avance, la loi sur les énergies renouvelables a été promulguée le 10 mars, la proposition de loi de régulation du secteur des influenceurs a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée, celle contre les squats approuvée en deuxième lecture au Palais Bourbon.
Enfin, la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques a été votée mercredi, malgré des clauses sensibles comme l’usage de la vidéoprotection intelligente, les scanners corporels à l’entrée des stades, l’ouverture des magasins le dimanche (tiens une bonne idée pour toute l’année !).
Bref seuls des projets techniques pourront être éventuellement votés dans les prochaines années (ou jusqu’à une suicidaire dissolution de l’Assemblée).
Mais des dossiers beaucoup plus politiques comme le projet de loi sur l’immigration sont déjà écartés. Qu’en sera-t-il de la réforme des institutions, autre arlésienne macronienne depuis le premier quinquennat ?
Rappelons que hors projets de loi d’ordre financier ou budgétaire, seule une loi sur chaque session parlementaire peut être votée en force par le recours au fameux 49.3 mais le psychodrame provoqué par le vote de la loi sur les retraites risque de faire réfléchir à deux fois l’exécutif avant de l’employer à nouveau.
Certes c’est dans son tempérament, le chef de l’Etat a déjà eu la tentation de contourner le Parlement. Par exemple, que devient donc le Conseil National de la Refondation ? Emmanuel Macron en reparlera peut-être ce soir, tentant de le relancer comme un nouveau Grand Débat de sortie de crise ?
Penserait-il à gouverner par ordonnances ? Sur quels dossiers ? Le travail ? Le nucléaire ? Le cadre en est strictement limité par l’article 38 de la Constitution et là aussi la houle soufflerait au Parlement comme dans tout le pays en cas de recours à cet instrument d’autorité. Pire, les lois d’habilitation de ces dites ordonnances comme leur ratification (« elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse » selon l’article 38) ne trouveraient pas aujourd’hui leur majorité au Palais Bourbon. On reste dans l’impasse.
Bref bien que le malade France ait besoin d’ordonnances de cheval pour se réformer en profondeur, la France politique est dans une impasse que quatre trop trop longues années d’ici 2027 risquent d’aggraver.
Emmanuel Macron risque de cohabiter avec lui-même et de s’ennuyer bien vite dans les prochains mois pendant que la France continue à décrocher.
Michel Taube