Emmanuel Macron a été formel devant les Français, dans son allocution de ce lundi 17 avril : « Il faut des résultats concrets et à court terme : d’ici la fin de cette année, 600 000 patients atteints de maladies chroniques qui n’ont pas de médecin traitant en disposeront et d’ici la fin de l’année prochaine nous devrons avoir désengorgé tous nos services d’urgence. »
Qu’il nous soit permis d’en douter car, ce n’est une surprise pour personne, chaque année un peu plus, le système de santé français continue de se fragiliser.
Manque de professionnels de santé, inégalités d’accès aux soins, conditions de travail difficiles… La liste est longue et ne se raccourcit pas. Malgré le projet pluriannuel « Ma Santé 2022 » annoncé par Emmanuel Macron au début de son premier quinquennat en septembre 2018, force est de constater que presque 5 ans plus tard, la médecine de ville n’est toujours pas mieux organisée, les pratiques de modernisation n’ont pas eu les effets escomptés, les Français demeurent inégaux dans l’accès aux soins et l’Hôpital s’enfonce dans une phase de résilience… sans fin.
Le 30 juin 2021, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM), a expliqué lors d’un colloque qu’au 30 juin 2021, « 11% des patients de 17 ans et plus n’avaient pas de médecin traitant » : en tout, « 5.959.000 patients ».
À titre de comparaison, ce pourcentage était de 9,6 points en 2017 : la situation empire donc. Aussi, ce chiffre monte à environ 20 % de personnes sans médecin traitant pour les 17-30 ans.
Par ailleurs, d’après Nicolas Revel, Directeur de la CNAM, « plus de la moitié de nos concitoyens sans médecin traitant sont en recherche réelle d’un praticien attitré, faute souvent d’avoir pu en retrouver un au moment du départ à la retraite de leur généraliste ».
De surcroît, dans un rapport du Sénat du 29 mars 2022, nous apprenons que 30,2% de la population française vit dans un désert médical (dont 62,4% en Île-de-France), soulignant de facto la nécessité de rétablir rapidement l’équité territoriale en matière d’accès aux soins.
Parallèlement, il est intéressant de constater que depuis 2009, la Consommation de Soins et de Biens Médicaux (CSBM) progresse à un rythme d’environ 3 % par an (+0,4 % en 2020, en raison principalement de l’arrêt de l’activité de soins hors-Covid tant en ville qu’à l’Hôpital).
Ces statistiques sont inquiétantes car elles témoignent de l’érosion progressive du système, avec des repères en perdition – le médecin traitant, si cher aux yeux des Français, et si décisif pour un parcours de soins efficace et pertinent – et une CSBM dans le même temps en augmentation constante, phénomène dont la corrélation avec le premier point nécessite d’être interrogée, dans un contexte d’accès aux soins difficile et une tendance parallèle de renoncement volontaire aux soins par les Français, compte tenu du coût de la vie.
D’après l’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV) de l’Insee, ils étaient déjà 1,6 millions au début du quinquennat Macron en 2017. Par ailleurs, dans un sondage de 2019 réalisé par l’Institut Opinionway pour le journal Les Échos et Harmonie Mutuelle, 59% des personnes interrogées affirmaient avoir renoncé à des soins médicaux au cours des douze mois précédant l’enquête, dont 29% pour des raisons financières.
Assurément, sans médecin traitant, synonyme de référent dans le parcours de soins, le patient se retrouve de plus en plus livré à lui-même : qui aller voir ? Pourquoi ? Où ? Quand ? Comment ? Ce manque de point central ne vient que mettre en exergue les diverses problématiques déjà sus-citées, mais aussi et surtout entraîner la nouvelle déviance du système : l’uberisation du système de santé.
En effet, depuis ces derniers mois, les pratiques – devenues réflexes – ne sont plus les mêmes. À ce jour, les patients sont progressivement plongés dans une solitude qui les fragilise pour trouver preneur à leur demande, et sont par conséquent contraints d’utiliser les nouveaux outils du système. Pour ne pas la citer, l’application Doctolib. Si cette solution détient plusieurs avantages non négligeables, elle ne peut, à elle seule, compenser la carence de médecins traitants partout sur notre territoire, et peut même à cet effet accentuer la deuxième problématique citée en préambule, à savoir la hausse de Consommation de Soins et de Bien Médicaux, par répétition de consultations médicales et paramédicales pas toujours opportunes.
Voici donc la principale modernisation du système de santé sous le premier quinquennat Macron : le patient sans médecin traitant, livré à lui-même face à Doctolib, à la recherche du bon praticien, disponible, accessible, dans la mesure du possible pas trop cher, au risque de devoir renoncer. En cas de parcours peu concluant (et s’il en a les moyens), le patient s’essaye à d’autres rendez-vous, avec d’autres praticiens, et ainsi de suite… sans toujours atterrir sur un résultat concluant. Dans ce contexte de solitude, le parcours patient devient presque de la consommation de prestations individuelles, une forme de marché ouvert n’ayant rien à envier aux prestations de service conventionnelles. Que reste-t-il du rôle de l’Etat dans cette mission hautement régalienne qu’est la santé, laissant offreurs et demandeurs œuvrer de manière isolée, sans perspective de régulation ?
Par ailleurs, nous pouvons observer le même phénomène pour le personnel soignant. En se plaçant dans la peau des établissements de santé, ces derniers ont de plus en plus de mal à recruter et stabiliser leurs équipes. S’il est indéniable de reconnaître là aussi un manque de personnel en quantité suffisante sur le marché, l’uberisation tend bel et bien à devenir la nouvelle norme de recrutement. Des applications comme Hublo jouent l’interface entre employeurs et soignants. Le concept ? D’un côté la recherche par publication d’une durée de travail journalière, de l’autre, des profils soignants candidatant à l’annonce. Un concept rapprochant de facto les soignants plus à des profils d’autoentrepreneurs de la santé que de professionnels impliqués et rassemblés quotidiennement au sein d’une même équipe. D’un point de vue stricto sensu, les applications Hublo et Uber fonctionnent de la même manière, si ce n’est la note du soignant, que l’on ne serait pas surpris de voir apparaître à l’avenir. Enfin, l’intérim, encadré sans aucun quota par l’Etat, a également encouragé une logique mercenaire dans le secteur de la santé, secteur rappelons-le régalien, peu à peu transformé par une logique néolibérale dérégulatrice.
Face à l’incapacité de solutionner le manque de professionnels de santé et leur répartition sur le territoire (déserts médicaux) et l’échec dans l’équilibrage d’un système en tension, des solutions digitales ont tenté d’être apportées, mais sont venues en réalité dénaturer le lien entre offreurs et demandeurs de soins.
Résultats : plus de consommation de soins, moins d’efficience, qualité bafouée… Quid des ALD (Affection Longue Durée) dans ce virage glissant d’émancipation forcée ?
Bien entendu, cette digitalisation ne présente pas que des inconvénients, loin s’en faut, où la prise de rendez-vous en ligne peut notamment avoir du sens pour les consultations spécialisées. Mais à travers ce virage numérique, pourquoi ne pas avoir plutôt mis l’accent sur la télémédecine, en équipant les cabinets, les mairies et les pharmacies afin de favoriser le lien Ville – Hôpital visant à lutter activement contre les déserts médicaux et l’accès aux soins ?
Pourquoi ne pas remanier les effectifs d’étudiants en médecine, en réfléchissant sous quelles modalités incitatives des solutions pouvaient être apportées pour lutter contre ces déserts médicaux, où les médecins manquent cruellement ?
Enfin, Emmanuel Macron a également abandonné l’hôpital public dans l’attractivité des parcours de carrière, ne poussant par conséquent pas les soignants à s’inscrire dans des projets institutionnels, comme la formation interne, levier à l’équilibre et à la progression d’un système, ces derniers privilégiant par conséquent une gestion solitaire de leur parcours de carrière.
Mathis VIGUIER
Directeur d’hôpital et Responsable des jeunes républicains de l’Aveyron