Opinion Eco & Entrepreneurs
10H37 - mercredi 19 avril 2023

Pacte de la vie au travail : les discours de la méthode. Tribune d’Alexandre Lamy

 

A rebours du fracas de la rue, à bas bruit – si bas que peu l’ont entendu – la Président a, dans son allocution, posé une nouvelle méthode, en appelant à la responsabilité des partenaires sociaux, en renvoyant à la négociation nationale interprofessionnelle avant la loi.

Pour construire le nouveau « pacte de la vie au travail », la simple concertation – préalable obligatoire à toute réforme sociale sauf urgence – est ici écartée pour ouvrir une série de « négociations sans limites ». Ce pacte résultera des « accords concrets que les partenaires sociaux sauront trouver ».

Cette nouvelle méthode trouve un écho dans celle que les syndicats réformistes appellent de leurs vœux, pragmatique, tenant à la définition d’un calendrier, d’un objet.

Gageons que ces deux approches méthodologiques sauront se rencontrer.

Au-delà de l’enjeu d’équilibres financiers, de celui de la création collective de richesses pour répondre notamment aux impératifs écologiques et de justice sociale, la réforme des retraites est aussi une affaire de méthodes.

Par le choix du véhicule législatif d’abord.

Une loi de financement de la sécurité sociale a pour objet de permettre aux parlementaires de se prononcer sur les comptes de la sécurité sociale

Aussi, logiquement, a été posée la question de savoir si la qualification budgétaire de cette réforme était à la hauteur des enjeux, qui s’exprimaient de façon criante – au sens propre comme au figuré – sur les rapports au travail.

Pour y répondre, ce texte budgétaire n’a d’ailleurs pas pu porter des mesures d’accompagnement social, comme vient de le rappeler le Conseil constitutionnel.

Par la méthode d’adoption ensuite, liée (stratégiquement ?) au véhicule législatif choisi.

S’agissant d’un texte budgétaire, le parlement s’est trouvé contraint par un délai global de 50 jours pour le voter.

L’issue de ce débat parlementaire, par l’application de l’article 49 al. 3 de la Constitution, a suffisamment été évoqué pour ne pas s’y attarder, alors même qu’il s’agit, sur le fondement de la logique de rationalisation du parlementarisme portée la Constitution, de permettre à une majorité d’opposition d’émerger et de s’exprimer pour renvoyer le gouvernement en le censurant.

Ce faisant, c’est la question de la méthode démocratique qui a été posée, celle de l’essoufflement de la démocratie représentative face à la crise de l’efficacité politique, de son influence concrète, réelle, mesurée personnellement, et à l’élan de la démocratie participative qui en résulte.

Pour répondre à cette crise, rien d’étonnant donc à ce que ce soit sur le terrain de la méthode que les réponses soient attendues et apportées.

Pour les organisations syndicales réformistes, la CFDT en tête, en lien avec les pratiques sociales de la négociation dans l’entreprise, ce sont les principales étapes de déroulement des échanges qui sont en cause, les conditions de la confiance mutuelle entre les parties, en permettant aux parties prenantes de connaître à la fois les enjeux, l’objet et le calendrier.

Du reste, en matière de dialogue social dans l’entreprise, la définition de la méthode est clef.

Mais au sortir de l’allocution présidentielle, il semble que ce soit une nouvelle approche méthodologique fondamentale qui a été posée.

En effet, à la « concertation » et l’absence de « consensus » qui en a résulté pour le projet de réforme des retraites, il est renvoyé à « l’ouverture sans limites d’une série de négociations », pour « construire le nouveau pacte de la vie au travail par le dialogue social et les accords concrets que les partenaires sociaux sauront trouver ».

Or, on le sait, en matière de dialogue social, concertations et négociations ne se confondent pas.

L’article 1 du Code du travail pose par ailleurs l’obligation de la concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel avant tout projet de réforme gouvernemental sur les relations individuelles et collectives du travail. C’est à l’issue de cette concertation que peuvent seulement s’engager le cas échéant des négociations à la demande des organisations syndicales.

Pour le « pacte de la vie au travail », la concertation est donc écartée, la négociation directement ouverte. D’un moyen de pression à la main des partenaires sociaux – pouvant refuser toute concertation préalable – il est renvoyé à leur responsabilité.

La voie avait d’ailleurs été ouverte avec la conclusion le 10 février dernier de l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur par la majorité des organisations syndicales représentatives, dont le gouvernement a annoncé une transposition fidèle et totale.

Plus récemment encore, Le 11 avril, les partenaires sociaux sont parvenus à un projet d’accord national interprofessionnel (ANI) sur la transition écologique et le dialogue social.

On peut y voir une forme de logique, le Code du travail étant aujourd’hui construit sur une application supplétive de la loi, à défaut de solutions conventionnelles.

Voilà un premier élément de la « rénovation démocratique » annoncée, qui renvoie à la démocratie sociale au – sens politique – dans laquelle les acteurs de la Société civile viennent compléter et réguler la démocratie politique, qui a du reste inspiré la loi du 25 mars 1919 sur les conventions collectives.

« Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là » rappelait Tocqueville.

 

Alexandre Lamy

Avocat associé chez Arsis Avocats, co-fondateur du think tank Néos dédié aux enjeux de l’emploi et du travail