24 avril 1915 : cet historique mais surtout funeste jour-là, il y a donc 108 ans très exactement, commençait, au sein de ce qui était alors l’Empire Ottoman, l’extermination, perpétrée par ces nationalistes extrémistes que l’on appelait en cet obscur temps-là les « jeunes-Turcs », de 1,5 millions – hommes, femmes, vieillards et enfants confondus – d’Arméniens. Ce fut là, en un sommet de cruauté rarement atteint dans les annales de l’(in)humanité, le premier génocide d’ampleur, trente ans avant la barbarie nazie à l’encontre des juifs, du XXe siècle : le fameux et tristement célèbre génocide arménien, que l’actuelle Turquie de Recep Tayyip Erdogan, l’un des pires dictateurs d’aujourd’hui, s’évertue pourtant, contre l’irréfragable réalité des faits et au mépris donc de toute vérité, à nier obstinément !
MENACE D’UN NETTOYAGE ETHNIQUE DANS LE HAUT-KARABAKH
Pis : encore aujourd’hui, cette même Turquie, dont l’appétit expansionniste s’avère toujours plus dangereusement vorace pour ses voisins (voir, par exemple, la dramatique situation des Kurdes), ne cesse d’intimider, sinon persécuter, employant certes pour cela d’autres méthodes, évidemment moins agressives mais néanmoins très insidieuses sur le plan militaire, les citoyens d’Arménie, avec laquelle sa frontière est fermée depuis longtemps. Erdogan, pour entretenir ce perpétuel état de guerre, fût-il hypocritement larvé aux yeux du reste du monde, peut d’ailleurs compter, quasiment sans failles, sur un très fidèle allié : le non moins despotique Ilham Aliyev, redoutable président de l’Azerbaïdjan, autre pays limitrophe de l’Arménie, devenue pourtant indépendante, suite à l’effondrement de l’Union Soviétique, en 1991. C’est, du reste, la région la plus sacrée, au regard de son historique dimension socio-philosophique, de l’Arménie – l’Artsakh, mieux connu sous le nom de Haut-Karabakh, où vivent aujourd’hui près de 200.000 habitants environ – qui se trouve aujourd’hui le plus en péril, avec le risque permanent d’avoir à subir, si nous n’y prêtons garde, un nouveau nettoyage ethnique, dans la mesure où elle se présente, territorialement, comme une terre enclavée au sein de ce même Azerbaïdjan, lequel, pour aggraver davantage encore cette situation déjà extrêmement précaire pour les Arméniens, ne se prive pas de bloquer militairement, avec des soldats lourdement armés, le corridor, pourtant vital, de Latchine, cet important cordon ombilical reliant, précisément, l’Artsakh à sa mère patrie.
SI JE T’OUBLIE ARMENIE
D’où, face à un contexte aussi dramatique pour le peuple arménien en son ensemble, l’impérieux devoir – conçu sur le modèle de cet « impératif catégorique » qu’un philosophe tel que l’immense Emmanuel Kant forgea, à l’instar de l’un des principes les plus universels de son admirable éthique, dans son illustre Critique de la raison pratique – de venir rapidement en aide, en le secourant très concrètement, à ce pays particulièrement attachant, en cette turbulente région de la planète, qu’est l’Arménie, seul mais inaliénable pays aux racines chrétiennes depuis deux mille ans, idéal pont ancestral entre l’Occident et l’Orient et pourtant injustement oublié aujourd’hui, en un silence aussi assourdissant qu’incompréhensible, sinon coupable et même complice, par le monde civilisé, dont, en tête, notre chère Europe malgré ses efforts, certes louables tant sur le plan humanitaire que diplomatique, voire politique, sur cette question, pourtant essentielle à de nombreux égards.
DEVOIR DE MÉMOIRE : LA COMMEMORATION DU 108e ANNIVERSAIRE DU GENOCIDE ARMENIEN
Oui : il est grand temps, plus que jamais, de se souvenir de l’indicible martyre que vécut, en ses heures les plus sombres de son histoire suffisamment tourmentée, l’Arménie, et de commémorer donc courageusement avec elle, comme elle le fait elle-même très dignement ces jours-ci, ce cent-huitième anniversaire, par-delà cette plaie encore béante, de son douloureux génocide !
Davantage : c’est aussi là un devoir, à l’aune même de notre civilisation en ce qu’elle a de plus légitimement élevé, de mémoire : notre conscience, si elle se veut réellement éprise, comme elle le clame et le revendique ouvertement, des principes universels les plus nobles comme des valeurs morales les plus intangibles, ne peut rester insensible, encore moins indifférente, face à cette innommable, et pourtant indélébile, tragédie humaine !
Daniel Salvatore Schiffer
Philosophe, écrivain, auteur, notamment, de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), « Lord Byron » (Gallimard-Folio Biographies), « Afghanistan – Chroniques de la Résistance » (Editions Samsa), directeur des ouvrages collectifs « Le meilleur des mondes possibles » (Editions Samsa), « Penser Salman Rushdie » (Editions de l’Aube/Fondation Jean Jaurès) et « Repenser le rôle de l’intellectuel » (a paraître prochainement aux Editions de l’Aube).