Romain Dupeyré et Souleymane Simpara sont avocats au sein du cabinet international DWF, dont le bureau parisien est particulièrement actif en Afrique. La connaissance des us et coutumes, du cadre juridique et des opportunités économiques, le fait aussi d’intégrer des services para juridiques à la structure du cabinet sont autant d’atouts au service des investisseurs qui souhaitent sécuriser et pérenniser leurs initiatives, souvent vertueuses lorsqu’elles participent au développement serein du continent africain.
L’une des missions de DWF est d’accompagner les compagnies d’assurance et de réassurance, celles déjà implantées en Afrique et qui souhaitent développer leur activité, comme celles souhaitant y concrétiser leurs ambitions. Depuis quelques années, un marché aussi innovateur que prometteur s’ouvre à elles, fondé sur un nouveau type d’assurance alternatif à l’assurance traditionnelle : l’assurance paramétrique ou indicielle.
Entretien avec deux hommes de l’art.
Opinion Internationale : qu’est-ce que l’assurance paramétrique ou indicielle ?
Romain Dupeyré : Au préalable, il convient de rappeler que le modèle traditionnel de l’assurance repose sur le paiement d’une prime permettant d’être indemnisé en cas de survenue d’un sinistre. L’assureur dépêche alors un expert afin d’évaluer le préjudice et de chiffrer l’indemnisation qui en résulte.
Ce modèle souffre de plusieurs inconvénients, en particulier s’agissant du risque agricole : la phase d’estimation et d’expertise est lourde et parfois compliquée, en particulier sur le continent africain où les étendues sont grandes, et les moyens de déplacement pas toujours adaptés. Ces handicaps expliquent pour beaucoup le faible taux de couverture assurantielle en Afrique, une situation qui n’a rien du cercle vertueux, bien au contraire : le défaut d’assurance entrave l’investissement ou le financement d’une exploitation agricole ou minière, ou d’un projet énergétique ou touristique, dès lors que plane le risque d’un fort aléa quant à leur rendement.
Une banque consentira plus volontiers un prêt à un agriculteur couvert contre le risque de sécheresse ou de tout autre aléa météorologique ou climatique. C’est parce que l’assurance doit être un atout pour le développement de l’Afrique et non un frein qu’il a fallu réfléchir à un nouveau type d’assurance, dit paramétrique ou indicielle, dont l’intérêt est encore plus évident dans un contexte de digitalisation pris en considération par la FANAF, la Fédération des Sociétés d’Assurances de Droit National Africaines.
L’assurance indicielle couvre un sinistre par le versement d’une indemnité forfaitaire dès lors que certains indices prédéterminés dans le contrat sont atteints. Par exemple, s’il a plu plus de 15 millimètres d’eau en 24 heures sur une zone déterminée, l’assuré bénéficie d’une indemnité d’assurance prédéterminée. Ce mécanisme est donc bien plus simple que celui de l’assurance classique : l’expertise est inutile et le contentieux rare. L’assurance paramétrique a donc un triple avantage : la prévisibilité, la transparence et l’objectivité.
Comment sont déterminés les indices ?
Romain Dupeyré : Les indices, qui sont visés dans la police d’assurance, sont déterminés par un ensemble de critères objectifs : pluviométrie, sécheresse, vent… L’avantage est que les critères de survenance du sinistre ne sont pas à la main des parties, mais dépendent de l’analyse d’un tiers effectuée sur des bases scientifiques.
L’assurance indicielle et paramétrique est-elle répandue en Afrique ?
Romain Dupeyré : C’est une alternative relativement nouvelle, car même si le principe est plus ancien, c’est à partir de 2015 que l’on a pris pleinement conscience de ses avantages. On soulignera en particulier les travaux de la Banque mondiale en vue de lancer des projets pilotes, notamment au Cameroun et au Kenya, en vue de promouvoir ce système d’assurance. Outre la simplicité, il a l’avantage d’être très lisible, du fait de l’automaticité de l’indemnisation. Cela la rend ainsi bien plus accessible à un public pas encore très sensibilisé aux questions d’assurance.
Prenons l’exemple du projet pilote récemment lancé au Kenya : au début de la saison, l’agriculteur achète un sac de semences ou d’engrais. On lui remet une carte à gratter lui permettant de créer son compte sur son téléphone portable et de géolocaliser son exploitation. Dès lors, s’il y pleut tant de millimètres d’eau et que l’indice est atteint, l’indemnisation est versée sans même que l’agriculteur n’ait à effectuer une déclaration de sinistre. C’est simple, sécurisant et rapide. Avec l’assurance traditionnelle, il faut parfois attendre plusieurs années avant de percevoir la moindre indemnité, ce qui est problématique voire dramatique pour une population modeste. On voit ici le lien entre l’assurance indicielle et la digitalisation, d’autant plus que l’indemnité est versée via le téléphone portable de l’agriculteur, sachant que l’Afrique ayant largement fait l’impasse sur la téléphonie filaire, son alternative mobile y est généralisée. Il est fréquent que l’agriculteur oublie même qu’il bénéficie de cette couverture, et est surpris de recevoir une indemnité d’assurance.
Le montant de la prime d’assurance est-il avantageux ?
Souleymane Simpara : Toutes les assurances fonctionnent sur une base de mutualisation des risques, et tous les contrats reposent sur un aléa. Ainsi, la bonne sinistralité d’une zone est en principe compensée par la mauvaise sinistralité d’une autre.
S’agissant plus spécialement de l’assurance indicielle, des débats ont été engagés sous l’égide de la Banque mondiale afin d’inciter les États à se saisir pleinement des enjeux de l’assurance en mettant en place des dispositifs pour réduire la charge finale des primes. Prenons l’exemple du Sénégal où s’est développée une véritable institutionnalisation de l’assurance indicielle dans le domaine agricole : l’État a mis en œuvre une politique d’incitation allant d’avantages fiscaux à la prise en charge de la moitié de la prime, en passant par des subventions. La Banque mondiale encourage fortement ces initiatives. Fatou Assah, qui est en charge de ce projet d’assurance pour le compte de la Société financière internationale (SFI), adossée à la Banque mondiale, avait déclaré « qu’il est indéniable, de nos jours, que l’assurance indicielle influence la façon dont nous abordons la résilience et le changement climatique… ». Et d’ajouter lors d’une conférence organisée par la FANAF que la Banque mondiale est un « Honest broker », en ce qu’elle met en exergue les exemples d’initiatives et d’idées vertueuses.
Il faut saluer les efforts conjugués d’autres acteurs comme la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA), qui fédère 14 États, et la FANAF, que nous avons déjà mentionnée, qui regroupe plus de 200 sociétés, et dont l’objet est de promouvoir le secteur de l’assurance et de la réassurance.
Chaque année, la FANAF organise des conférences à l’occasion de son assemblée générale. Lors de la dernière édition organisée à Kinshasa le 20 février 2023, le focus fut mis sur l’assurance paramétrique dans le secteur agricole. Lors de la précédente édition qui s’était déroulée à Dakar, je m’étais exprimé sur l’importance de la digitalisation, laquelle pourrait représenter 5,2 % du PIB de toute l’Afrique à l’horizon 2025. Elle est un excellent levier permettant de transformer des processus traditionnels, tels que des objets ou des outils, ou encore des professions, par le biais des nouvelles technologies.
Bien qu’il existe des disparités géographiques importantes au sein du continent africain, le taux global de pénétration de l’assurance reste faible : autour de 3 %. La digitalisation et l’assurance paramétrique permettraient de contribuer à l’amélioration de la couverture assurantielle sur une échelle beaucoup plus importante.
Romain Dupeyré : Précision que la CIMA est l’équivalent du droit OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) dans le domaine de l’assurance. C’est un droit commun de l’assurance pour 14 pays.
Souleymane Simpara : La CIMA donne à l’assurance paramétrique un encadrement spécifique, ce qui est particulièrement avant-gardiste par rapport aux règlementations que l’on connaît en Europe, et spécialement en France, où l’assurance paramétrique n’est pas spécialement encadrée par le Code des assurances.
Romain Dupeyré : Pour bien mesurer l’impact de la digitalisation, il faut se référer au modèle traditionnel : l’assuré se rend chez un courtier – et ils ne sont pas très nombreux en Afrique, notamment dans certaines contrées reculées. Ceci explique pour une large part le faible taux de pénétration de l’assurance. La digitalisation permet de conclure et d’exécuter le contrat d’assurance par le biais de son téléphone. L’assureur se retrouve ainsi au plus proche des éventuels assurés. Les 97 % d’agriculteurs qui ne sont pas assurés, et qui représentent la moitié du PIB de certains pays, sont totalement exposés aux aléas climatiques, et peuvent tout perdre en un seul incident climatique majeur.
Développer l’assurance, en particulier sa déclinaison indicielle, grâce à la numérisation, est donc un progrès majeur. Evidemment, on s’est beaucoup focalisé sur l’assurance agricole, mais de nombreux autres secteurs sont exposés à des risques, notamment climatiques. Le transport est impacté si un avion ne peut décoller ou un bus circuler, les industries énergétiques et minières le sont, par exemple si une mine à ciel ouvert est inondée. Et que dire du tourisme, très sensible aux aléas climatiques. Et ce ne sont là que quelques exemples de secteurs dont le développement peut être boosté par une meilleure couverture assurantielle.
Souleymane Simpara : La problématique va au-delà de l’Afrique. Par exemple, la barrière de corail mésoaméricaine est aujourd’hui couverte contre le risque d’ouragan par une assurance paramétrique. Par conséquent, lorsqu’un ouragan affecte une zone délimitée à l’avance, l’assureur pourra, selon le contrat, déclencher sur-le-champ les réparations qui s’imposent. C’est simple et efficace.
Peut-on aller jusqu’à affirmer que l’assurance, notamment paramétrique, est un précieux outil de développement global, en particulier en Afrique ?
Souleymane Simpara : C’est le cas. Elle est un gage de sérénité.
Romain Dupeyré : C’est d’ailleurs pour cela que la Banque mondiale s’est tant impliquée. Il ne s’agit pas d’altruisme, mais d’une protection effective, notamment des agriculteurs qui ont besoin de financements, même de microfinancements pour investir et protéger leurs récoltes. L’assurance paramétrique est techniquement et juridiquement simple. Les primes sont fixées en fonction de l’indemnité espérée, ce qui permet de proposer des microassurances. C’est un système très souple qui permet de s’y engager progressivement.
Certes, tout mécanisme automatique génère ce qui peut apparaître comme une injustice. Ici, l’indemnisation n’est pas fonction du préjudice résultant du sinistre, mais de la prime d’assurance. Le mécanisme indiciel a forcément un caractère couperet, comme tout seuil. Si par exemple le contrat prévoit le versement d’une indemnisation s’il pleut 100 unités, mais qu’il n’en est tombé que 95, et que les récoltes sont détruites, l’assuré ne percevra rien. Mais c’est aussi vrai dans l’autre sens : si par exemple le préjudice est de 500 et que le contrat prévoit 1000, l’assureur versera 1000. Néanmoins, malgré ces inconvénients, l’assurance indicielle paramétrique demeure une opportunité permettant notamment à de petites ou moyennes structures d’accéder à l’assurance, de mieux maitriser les risques, et d’attirer les investisseurs. Le bilan est largement positif.
Propos recueillis par Raymond Taube, fondateur de l’IDP – Institut de Droit Pratique