Un jour, un ministre de l’Éducation nationale, chargé aussi de l’Enseignement et de la Formation professionnels, se rendit à un forum des métiers pour promouvoir la voie professionnelle.
Louable intention.
Un centre de formation des apprentis (CFA) vantait une formation « poêlier-âtrier ». Intrigué par l’intitulé, un élève plus malin et moins timide que ses camarades, voulant tester les connaissances de ses aînés, interrogea le gouvernement :
« Pourriez-vous, je vous prie, m’expliquer le sens de cette énigmatique formule ? »
Silence et regards gênés. Et le ministre de la Culture qui n’était pas là pour venir à la rescousse de son collège !
Réactif et stoïque, un conseiller consulta son téléphone intelligente, pensant que le Larousse ou le Petit Robert résoudrait tout…
Il tapa donc â-t-r-i-e-r… mais tomba sur la réponse suivante : « Il n’y a pas de résultat pour cette recherche. »
Illico direction le site officiel de l’éminent Dictionnaire de l’immortelle Académie française…
Même verdict, fatal, définitif… décevant : « Il n’y a pas de résultat pour cette recherche. ».
Le ministre balbutia, bafouilla, répliqua, contesta, tweeta… Le soir même, le conseiller du ministre démissionnait.
Aussi fictif soit-il, cet épisode confirme tristement cette dure réalité : dans la neuvième édition de son dictionnaire, l’Académie française a négligé d’insérer le nom âtrier. Comme les dicos les plus populaires que sont le Larousse et le Robert.
Et pourtant l’âtrier a bien pignon sur rue… Ou plutôt ses entrées dans vos demeures.
En effet, sur sa page web, l’Institut national des métiers d’art définit cette belle profession : « L’âtrier réalise ou restaure des cheminées de marbre, de pierre ou de bois ».
Le site du Centre national des ressources textuelles (CNRTL) indique quant à lui l’origine anglo-normande de ce terme dont le sens premier est « foyer ». L’âtrier est donc le spécialiste de l’âtre, de la « partie de la cheminée où l’on fait le feu » et de la cheminée, comme le signale Larousse (dans son édition en ligne).
Les Immortels ont-ils une bonne excuse ? « [N]e figurent dans notre Dictionnaire que les termes qui, du langage du spécialiste, sont passés dans l’usage courant et appartiennent à la langue commune. L’Académie s’attache en effet à défendre sans relâche la notion de langue commune, cette unité linguistique qui constitue une référence dont le besoin se fait sentir au moment même où les lexiques et registres spécialisés, les jargons, par trop nombreux, menacent la permanence de cette langue », expliquent-ils sur le site de l’Académie.
La Fédération française des poêliers – âtriers appréciera que leur beau métier ne soit pas passé dans l’usage courant des métiers dignes d’être référencés par le temple de la langue de Molière.
Car nommer, c’est faire exister. En l’occurrence, c’est reconnaître la réalité d’une profession estimée dans les métiers de l’art, à laquelle font appel, par exemple, les décorateurs d’intérieur. Nommer, c’est reconnaître la vitalité d’une formation suivie par des jeunes que l’artisanat attire.
En se fondant sur le seul critère de l’usage courant, l’institution fondée par Richelieu créé une situation absurde, puisqu’elle limite, voire empêche, la communication d’une noble profession, échouant ainsi à accomplir l’une de ses missions.
En refusant que les âtriers voient le nom de leur métier dans son dictionnaire, l’Académie les relègue à un rang plus bas encore que ces noms de métiers supprimés de ses pages après y avoir figuré, tels boquillon (« bûcheron ») et dramatiste (« auteur dramatique »).
Les Académiciens oseraient-ils traiter de fumiste le spécialiste de l’âtre et de la cheminée ?
Ce traitement est d’autant plus étonnant que d’autres noms de professions pourtant disparues demeurent dans la neuvième édition. Il en est ainsi d’allumeur, « personne préposée à l’allumage et à l’extinction de l’éclairage public », ou de crieur public, celui qui est « chargé de faire les annonces publiques, les proclamations »… Tolérance variable, inexplicable, incompréhensible !
Face à tant d’incohérences, que le lecteur nous pardonne : nous n’assurons pas l’orthographe d’âtrier, invérifiable sinon en consultant le mot « âtre » qui prend bien un circonflexe sur le a dans les dits dictionnaires.
Michel Taube