Devant la violence de plus en plus vécue au quotidien par nos concitoyens, le Président Macron a utilisé la notion de dé-civilisation.

Je ne suis pas sûr que la mort des policiers dans les Hauts de France mi-mai lors d’un accident causé par l’usage de cannabis soit dûe à une décomposition de notre civilisation. Le conducteur qui a causé l’accident ne voulait pas tuer, il ne voulait pas enfreindre l’un des commandements de notre civilisation, tu ne tueras point. Elle est surtout la conséquence de l’absence de résultats des politiques anti-drogues depuis 50 ans, et je ne vois malheureusement pas grand-chose, dans ce domaine, dans l’action du gouvernement.

Mais le mot est lancé. Mot utilisé par une plume d’extrême droite, mais concept inventé par un philosophe d’origine juive allemande, fuyant le nazisme, Norbert Elias, avant la seconde guerre mondiale, et mondialement diffusé dans les années 60. Norbert Elias analyse dans ses ouvrages le processus de civilisation, et la canalisation de la violence qui permet de faire civilisation.

Pour Elias, tout part de la maîtrise de soi, de la maitrise de ses instincts, de ses pulsions, de ses désirs, et l’exemple vient d’en haut. Pour lui, l’organisation de la Cour à Versailles par Louis XIV contribua fortement à pacifier les mœurs. Interdiction des duels, langage raffiné, contrôle à tout instant de soi, de ses gestes, de ses mots, Versailles avait permis l’instauration d’un Code de bonne conduite, repris par toutes les cours européennes, par les Bourgeois puis par tout le Peuple. Mieux vaut donc relire le Bourgeois Gentilhomme que d’adopter les « gestes générationnels » de certains candidats à l’Eurovision…

On peut bien sûr réfuter ce concept, rappeler que les spiritualités, religieuses ou non, développent, bien avant Versailles, non seulement les commandements à la base de nos Sociétés mais aussi et surtout un processus de civilisation basé sur la maitrise de soi et la canalisation des pulsions, sur l’extirpation de la violence animale pour nous faire Homme. Un processus qui pourrait se résumer par cette belle phrase en plein milieu du Lévitique, Aime ton Prochain comme Toi-même, le reste n’étant finalement que commentaires…

On peut bien sûr aussi rétorquer que l’exemple venant du haut, un bras d’honneur ministériel en pleine Assemblée, comme l’usage du vocable « ma pomme » en plein entretien présidentiel télévisé ne participent pas vraiment du processus de re-civilisation.

Mais le concept me semble intéressant et pertinent. Nous faisons indéniablement moins Société qu’auparavant. Nous ne vivons plus ensemble mais à côté les uns des autres. Nous ne travaillons d’ailleurs plus ensemble, mais en distanciel, en parallèle, loin les uns des autres. Du coup, les psychiatres n’ont jamais vu autant de patients en dépression, en burn-out, en mal-être.

Plus que pointer la dé-civilisation, on ne peut que constater que nous avons abîmé le Vivre Ensemble. Nous ne sommes plus chacun des pierres formant un bel édifice, la République Française, liées par le Ciment que représentent nos Valeurs Républicaines, Liberté Egalité Fraternité Laïcité, mais des pierres les unes près des autres, sans liant. Et le frottement des pierres peut créer des étincelles, la Violence.

Alors bien sûr il faut recréer du liant, refabriquer, ensemble, notre Ciment, mais par où commencer ?

Peut-être simplement en réapprenant à dire Merci ! Merci à la personne qui tient ouverte la porte à l’entrée de la station de métro, merci à l’instituteur de nous apprendre, jour après jour, à savoir lire, écrire et compter, merci à nos soldats de nous protéger, merci aux policiers, aux gendarmes et aux pompiers d’assurer notre sécurité, merci aux médecins, aux infirmières, aux kinés, aux pharmaciens, aux aidants de toute sorte de nous aider à rester en bonne santé, merci à nos élus de contribuer, chacun à leur façon, à la préservation du bien commun, merci d’avoir mis en place « le quoiqu’il en coûte », merci d’avoir permis la vaccination efficace et gratuite pour toute la population qui le souhaitait lors du Covid (Même le Pr Raoult, Panoramix des temps modernes, a fini par l’admettre), merci à nos proches de nous aider dans les moments heureux comme malheureux, merci à nos parents de nous avoir mis au monde.  

Comment ne pas être choqué dès lors quand une réalisatrice qui a pu produire son film grâce aux subventions publiques, à l’aide de l’Etat et de l’argent des contribuables, grâce à un éco-système le plus généreux de la planète pour aider les intermittents du spectacle, par exemple, plutôt que dire simplement « Merci » lors de la remise de sa palme, accuse l’Etat de tous les maux et attaque violement sa réforme des retraites et sa politique dite néo-libérale ? Elle doit être trop jeune pour avoir connu Reagan et Thatcher ! Merci Madame pour votre contre-exemple si frappant!

En remerciant, nous diminuerons les antagonismes, nous diminuerons la violence, et nous ferons apparaître un sourire sur le visage de l’Autre. Nous décrisperons, et cela sera aussi bénéfique pour notre santé. Dire Merci, entendre le remerciement de l’Autre, sourire, amener le sourire sur le visage de l’Autre, toutes les études le montrent, c’est bon pour notre cœur et pour notre santé !

Nous re-civiliser, refaire Société, rétablir le Vivre Ensemble commencent simplement, par réapprendre à dire Merci !

Patrick Pilcer

Conseil et expert sur les marchés financiers, président de Pilcer & Associés, Chroniqueur Opinion Internationale