Assis dans sa cuisine rouge, une bouteille de grenadine en arrière-plan, François Ruffin lance l’appel du 23-Mai sur sa chaîne YouTube.
Dans une langue soignée de stadier, le député déclare : « On a besoin de vous et de vos sous », parce que, « si tu veux jouer en Champions League, mais que tu n’es pas armé avec une équipe assez dense et solide, tu vas perdre tous tes matches ».
La vie publique de François Ruffin est une caricature. Chez lui, tout est indignation, outrance, colère poussée jusqu’à l’exagération, parce qu’il parle à une autre caricature de peuple, à un vulgus impétueux.
Le passe sanitaire ? « Je vis ça comme une humiliation ! »
Emmanuel Macron ? « L’homme du chaos qui se présente comme le parti de l’ordre. »
Le gouvernement ? Il fait « pitié ! »
Au sujet de la fiscalité des grandes entreprises en France : « On est revenus au temps des seigneurs. »
Le patron de presse est habitué des slogans. Fakir, le trimestriel qu’il a fondé, affiche sa profession de foi : « Journal fâché avec tout le monde. Ou presque. »
Tout un programme. La nuance, toujours la nuance…
Mais si, en littérature, la satire s’autorise les excès pour faire réfléchir, en politique, elle ne peut être que posture. « En parole… et en acte » disaient déjà les Grecs, car il y a un gouffre entre la théorie, criée d’une tribune, et la pratique, qui vous expose aux coups, vous oblige aux compromis de la réalité. Mais Monsieur Ruffin s’efforce d’éviter les problèmes délicats.
En 2019, à propos du port du voile des mères accompagnant les élèves lors des sorties scolaires, il s’insurge contre la possibilité que l’une d’entre elles, qu’il connaît, doive un jour ôter son voile : « Je ne veux pas que demain, on [lui] dise […] que, pour monter dans le car et pour accompagner les gamins à la piscine, elle doit enlever le voile. Ça, c’est très clair. On ne touche pas à la maman de Nada. C’est la personne la plus gentille qui existe ».
En personnalisant les sujets de société, on ne peut les traiter. C’est le problème de l’individualisme croissant, dont Monsieur Ruffin est un exemple : deux ans auparavant, en refusant de se lever pour saluer l’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale, il oubliait peut-être déjà que le député agit non pas en son nom seul, mais aussi au nom de tous les citoyens de sa circonscription, y compris ceux qui n’ont pas voté pour lui.
En ne s’adressant qu’à un électorat volcanique, Monsieur Ruffin affaiblit ses chances de convaincre le plus grand nombre. Alors, non, il n’est pas prêt, sinon à faire disparaître les quelques idées mesurées de la gauche extrémiste, si elles existent, dans le spectacle de ses mises en scène fréquentes ; il est prêt à se brûler les ailettes.
Michel Taube