Edito
09H54 - samedi 22 juillet 2023

Et si les élus locaux et surtout ruraux prenaient le pouvoir ? L’édito de Michel Taube

 

Et si les élus locaux, surtout des campagnes, prenaient le pouvoir ? L’édito de Michel Taube

Vendredi 21 avril, Elisabeth Borne, en présence de Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, et de Dominique Faure, en charge des collectivités territoriales, s’est rendue dans la Maison France Services de Valençay dans l’Indre pour se féliciter du succès de ces 2379 guichets uniques d’accès aux organismes de services publics tissés sur le territoire français. Vivre à moins de 30 minutes des services publics (immatriculation de véhicules, RSA, impôt, permis de conduire, accès aux services en ligne, Finances publiques, Pôle emploi, Assurance retraite, CAF, La Poste…), tel était un des engagements du président de la République en 2019 à l’issue du Grand Débat consécutif à la crise des gilets jaunes.

C’est que la France rurale ou semi-urbaine, celle aussi des communes de 20.000 à 50.000 habitants, cette France délaissée, dite de façon péjorative « des périphéries », se sent oubliée et délaissée.

C’est même une triste réalité : pour ne prendre comme exemple que la pénalisation sur l’accès aux soins, une moindre espérance de vie de deux ans inférieure à la moyenne nationale fait que ce sont 14000 ruraux qui décèdent en plus en une année du fait de vivre dans un bassin de vie rural par rapport aux mêmes habitants de bassins de vie urbains.

On parle même d’une diagonale du vide qui va de la Meuse aux Landes. Arpentée par le grand généticien Axel Kahn dans les années 2010 qui en avait rapporté un livre poignant, « Pensées en chemin » (éd. Stock, 2014), et plus récemment par Sylvain Tesson avec « Sur les chemins noirs » (éd. Gallimard, 2019), cette France profonde est le coeur battant de notre pays. Tous les jeunes banlieusards et urbains devraient y faire un tour pour humer et goûter aux saveurs de la France. Ils en redemanderont !

Ces phénomènes expliquent largement la conquête de 89 circonscriptions législatives par le Rassemblement National en 2022, Marine Le Pen n’ayant pas fini de récolter les fruits de cette colère française qui bouillonne dans la France des terroirs ruraux ou ruraux.

Mais les Maisons France Service, – dont il eut mieux valu confier la gestion et l’accueil aux communes -, ne suffiront pas à réconcilier les Français avec les services publics et encore moins avec l’Etat.

Non, il faut aller beaucoup plus loin : donner les pleins pouvoirs aux maires et aux élus des départements et des régions pour gérer la France du quotidien, de la santé à l’éducation, des mobilités au logement, de la culture au sport, telle serait une véritable révolution copernicienne qui sauverait l’État de sa déliquescence accélérée.

Plus encore que des guichets déconcentrés de l’État, les maires (les élus préférés des Français) pourraient être les acteurs clé de cette reconquête des citoyens et des territoires injustement délaissés.

Justement, le 12 avril dernier, la Première Ministre recevait à Matignon, dans le cadre des consultations qui préparent les 100 jours de la tentative de relance des chantiers de la macronie, les organisations d’élus locaux.

L’Association des maires ruraux de France, par la voix de son Président, Michel Fournier [notre photo], y a émis quelques propositions fortes : augmenter leur marge manœuvre fiscale, revoir les dotations en sortant du seul critère lié à la population et en intégrant les charges de ruralité, créer un programme « Villages d’avenir », sur le modèle des programmes Action Cœur de ville et Petites villes de demain, le retour à l’échelle communale pour le dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR), la création d’un statut de l’élu pour donner envie à nos concitoyens à rejoindre les équipes municipales en 2026 (il n’y a jamais eu autant de démissions de maires).…

Ces 32000 communes rurales couvrent 88 % du territoire national et regorgent de toutes les ressources qui font vivre la France : le sol, la forêt, l’eau, les énergies…

Et Michel Fournier, Président de l’AMRF, d’ajouter : « S’il y a des fusibles aujourd’hui, dans un contexte de tensions, ce sont les maires. Ils sont fragilisés. […] Ils doivent recouvrer une véritable autorité, au plus près de nos concitoyens. Le classement sans suite doit disparaître complètement et la réponse aux plaintes du maire être plus rapide, les TIG plus facilement mobilisables à l’échelle des communes. »

Mais il faut aller beaucoup plus loin pour réformer l’Etat et les services publics, quitte à réviser la Constitution : la France a besoin d’une grande phase de décentralisation, encore plus forte que celle des années 80 sous François Mitterrand, reposant principalement sur l’autonomie fiscale des collectivités locales, une clarification des missions de chaque tranche du mille-feuille administratif local, une reprise en main des décisions par les Maires sur les inter-communalités, une nouvelle politique d’aménagement du territoire et surtout un nouveau contrat politique laissant à l’Etat le régalien et les enjeux stratégiques et aux pouvoirs locaux les affaires du quotidien des Français.

Malheureusement, depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron a brillé par son mépris parfois, sa condescendance souvent et son jacobinisme jupitérien toujours à l’égard des collectivités locales. Le manque de confiance de l’État vis-à-vis des élus locaux a nui gravement à la relation entre les Français et la vie politique nationale.

Puisque les élections sénatoriales arrivent très vite (un tiers des sièges sont à renouveler fin septembre) et que le Sénat est un peu la chambre des pouvoirs locaux, espérons que, au-delà des jeux politiciens qui animeront cette élection singulière, les candidats se positionneront pour une telle phase de décentralisation.

Les maires ne sont pas qu’à portée de baffes, comme le disait Xavier Bertrand. Ils sont aussi à portée de solutions pour leurs administrés et pour la France.

 

Michel Taube et Géorgia Sarre-Hector

paru le 22 avril 2023

Directeur de la publication