Pas un jour en Israël depuis plusieurs semaines sans une large manifestation contre la réforme du système judiciaire. Cela nous rappelle à nous Français les semaines de forte mobilisation contre la fameuse Réforme des Retraites du gouvernement d’Elisabeth Borne et les concerts de casseroles qui l’ont suivi.
Comme en France les mêmes mots utilisés par la gauche pour nier la légitimité démocratique d’un pouvoir tout juste élu, les mêmes mots pour dénoncer la méthode employée par le gouvernement, « déni de démocratie », « excès de pouvoir », « brutalité », « passage en force ». Comme en France, si cette même gauche avait emporté les scrutins, elle aurait dénoncé les critiques en arguant du vote majoritaire, du vote du Peuple. Toujours le même débat depuis Tocqueville entre la majorité et les minorités, entre la tyrannie supposée de la majorité face aux droits des minorités qui finissent, dans le concret, par oppresser la majorité.
Comme en France, de l’extérieur, on ne voit pas trop ce qui pousse tant de gens à se mobiliser sur ce qui semble plus relever de la réformette que la réforme.
Car de quoi s’agit-il ? La Cour Suprême Israélienne dispose dans son arsenal de prérogatives de la clause dite de raisonnabilité, the reasonable person standard, assez fréquent dans la « Common Law » des pays anglo-saxons.
Classiquement, quand une collectivité, ou l’Etat, prend des décisions qui dépassent leur champ d’action, qui relève de l’excès de pouvoir, la Cour Suprême peut casser la décision, l’arrêté municipal, la réglementation en brandissant cette clause. Il s’agit là d’un outil important dans le contrôle du pouvoir, dont le but est d’éviter les excès de pouvoir.
Or, c’est toujours la même chose avec un outil, cela dépend de la personne qui s’en sert. Un marteau est fait pour enfoncer un clou, mais peut aussi défoncer un crâne ; mais ce n’est jamais le marteau qui va en Cour d’Assises.
Quand la Cour Suprême, depuis plusieurs années, utilise cette clause pour remettre en cause des projets de lois sur lequel des partis politiques ont gagné les élections, on peut se poser la question de la légitimité de cette clause face à la légitimité d’une élection. Tout comme on peut s’interroger sur le bon sens et la Raison, d’un gouvernement ou d’une majorité à faire passer des lois lui arrogeant un excès de pouvoir.
C’est cela qui est en jeu en Israël aujourd’hui, et que veut réformer le gouvernement de Benjamin Netanyahu : rendre raisonnable l’usage de la clause de raisonnabilité. Et c’est cela qu’entendent bloquer les oppositions : éviter les excès de pouvoir. D’où les efforts remarquables du Président de l’Etat d’Israël, Isaac Herzog, pour trouver un équilibre dans la réforme, assurer une bonne circulation de la parole de tous, rassembler avec sagesse autour d’un nouveau point d’équilibre alliant raison et limite des pouvoirs. Réforme que la grande majorité des Israéliens souhaite, tant que les excès de pouvoir sont évités.
Mais comme en France, ce qui paraît simple et de bon sens est souvent le plus délicat à trouver.
Dans notre réforme des retraites, force est de constater qu’il s’agissait plus d’une mesurette que d’une révolution du monde du travail. Là encore la grande majorité des gens était pour. Encore fallait-il, bien sûr, adresser les sujets réels, comme l’emploi des moins de 25 ans et des plus de 55 ans, les mobilités, la pénibilité, etc… mais il est ici inutile de rappeler que le changement de l’âge légal n’a fait que rattraper l’âge réel de départ en retraite.
Dans les deux cas, en Israël comme en France, la « réformette » ont surtout été le prétexte pour les oppositions pour mobiliser la rue à défaut d’avoir gagné les élections. Dans les deux cas, pourtant, les « réformettes » faisaient partie des éléments sur lesquels les électeurs étaient éclairés et se sont prononcés. Dans les deux cas, la mobilisation fonctionne et donne l’impression que la « réformette » n’est pas légitime. Dans les deux cas, les majorités au pouvoir sont fragiles, issues d’alliances précaires, voire contre nature en Israël où un petit parti d’extrême droite impose ses volontés à la majorité qui sans lui tombe.
On a là, grandeur nature, les défauts des scrutins proportionnels, défauts que le Général de Gaulle et Michel Debré souhaitaient à tout prix éviter pour permettre une bonne gouvernabilité du pays. En France, notre dernière élection législative n’a d’ailleurs que trop ressemblé à un scrutin à la proportionnelle, malheureusement, tout comme le sera celui suivant une éventuelle dissolution.
Mais derrière ces affrontements politiques, il y a un autre point commun, celui de l’équilibre des pouvoirs. Dans un monde profondément bouleversé par la pandémie de la Covid, dans des sociétés chamboulées par la révolution numérique, l’exercice du pouvoir, de tous les pouvoirs, doit évoluer. Les réseaux sociaux sont présents partout, l’intelligence artificielle modifie drastiquement notre relation au travail, à l’éducation, à l’apprentissage, l’accès à l’information, vraie comme fausse, n’a jamais été aussi aisé.
Notre façon de gouverner doit donc aussi s’adapter et il faut surtout trouver un nouvel équilibre entre les pouvoirs. Pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, mais aussi le régalien, notre utilisation de la force légitime, de la police, notre action internationale, notre diplomatie. Nous ne pouvons gouverner, ou être gouvernés dans la France de 2030 comme dans celle de 1930 ou 1980. France 2030 ne doit pas se cantonner à notre économie mais doit aussi aborder et transformer notre démocratie, notre rapport au pouvoir, notre manière d’exercer le pouvoir.
A nous en France, à eux en Israël, mais aussi aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, etc… de vite retrouver un nouvel équilibre des pouvoirs avant que notre monde ne bascule !
Patrick Pilcer
Conseil et expert sur les marchés financiers, président de Pilcer & Associés, Chroniqueur Opinion Internationale