Parce qu’elle n’avait jamais revu Niigata, et cela depuis tant d’années que l’ultime séjour s’en trouvait troublé dans sa mémoire, et que l’éloignement de sa ville natale, là où elle avait grandi, avait creusé en elle un tel manque, la femme, d’une allure encore jeune, mais dont l’ombre des cernes traduisait assez l’état d’exténuation, s’était comportée avec hâte.
Pour ne pas dire brusquerie.
Elle avait tendu au chauffeur une liasse de yens, précipité un « au revoir », pour sortir du taxi et saisir son sac à main comme on aurait tiré jadis un bambin trop récalcitrant.
D’un pas décidé, elle s’était avancée vers la plage et, sans égard pour les torsions qu’elle infligeait à ses chaussures à talons, sa robe de ville, une robe très chic à motifs de fleurs -des myosotis d’un bleu léger- s’était dirigée droit vers l’eau.
A cette heure de l’après-midi, les baigneurs alanguis sur des chaises longues, les enfants jouant avec le sable étaient les uns les autres bien trop occupés pour sortir de la bulle de confort qui, la chaleur montant, semblait les isoler de toute émotion.
Tomoko était entrée dans la mer du Japon et n’en était plus sortie. Jusqu’à ce que des garde-côtes repêchent son corps trois heures plus tard, à environ deux milles de la rive.
Le Japon n’a pas avec la France ce goût de la grivoiserie qui subjugue et donc terrasse, la mort.
Qui parle en France de Mishima a droit, presque mécaniquement, à une réflexion sur l’homosexualité de l’écrivain, alors que l’on sait bien que « le créneau gay » usé jusqu’à la corde dans l’Améreurope, vulgaire, ringard, n’épuise rien de la tension artistique, de la vie ramassée, exigeante, disciplinée, littéraire et aristocratique de Mishima, né Kimitake Hiraoka en 1925 et qui s’est donné la mort.
Qui s’est donné la mort, qui a reçu la mort, avec cérémonie, le mercredi 25 novembre 1970, au QG de Tokyo, après un appel à l’Armée japonaise.
Ce Japon à col dur est bien loin de nos porteurs de strings alourdis de pastis, de l’affaissement de ce pays que Charles de Gaulle, en costume croisé et chapeau mou sur la plage, tenant sa fille Anne dans ses bras, avait rêvé dans ses yeux.
Pour autant, la nouvelle de Mishima, « La mort en été », peut être partagé sur tous les rivages, à Arcachon comme à Niigata.
L’histoire est celle d’une tante qui, elle, ne sort pas d’un taxi, mais accompagne calmement sur la plage deux jeunes neveux confiés à sa garde. Par accident, la tante se noie et la foule, puis l’appareil habituel de secours se groupent autour d’elle.
Et les deux neveux, désormais seuls, sont à leur tour aspirés par la mer.
Parce qu’elle n’avait jamais revu Niigata, cette ville où elle croisait sans les regarder des grands blonds – pas des GI’S, mais des Russes de Vladivostok- et que Tomoko avait mené à Tokyo une vie joyeuse, débridée, exténuante, elle ne visait juste qu’à s’en laver.