Les événements qui se sont déroulés ces dernières semaines au Niger ont été l’occasion de voir refleurir par-ci par-là de soi-disant « analyses » qui se réduisent à des clichés simplistes, qui occultent la richesse de son patrimoine, sa diversité culturelle et ses aspirations modernes. Si le pays a connu son lot de défis, il est également une terre d’opportunités, d’innovations et de dynamisme. Afin d’établir des relations internationales plus justes et productives, il est essentiel que les perceptions à l’égard du Niger évoluent.
L’image qui vient souvent à l’esprit, quand on évoque le Niger, est celle d’un pays désertique, confronté à des enjeux sécuritaires et à des défis de développement. Bien que ces réalités ne puissent être niées, elles ne définissent pas à elles seules l’identité nigérienne. Le Niger, c’est aussi une histoire millénaire, avec des sites archéologiques d’importance, une tradition orale riche et des festivals culturels qui célèbrent sa diversité.
Le Niger est un pays de jeunes. Près de la moitié de la population nigérienne a moins de 15 ans. Cette jeunesse est une source incroyable d’énergie, d’innovation et d’aspiration à un avenir meilleur. Nombreux sont les jeunes Nigériens qui se lancent dans l’entrepreneuriat, exploitent les technologies numériques pour transformer leur environnement ou s’engagent dans des actions citoyennes pour améliorer leur communauté.
L’importance stratégique du Niger sur la scène internationale ne peut être sous-estimée. Avec sa position géographique, le pays joue un rôle clé dans les enjeux de migration, de commerce et de sécurité en Afrique de l’Ouest. Plutôt que de le voir uniquement à travers le prisme des défis, les partenaires internationaux gagneraient à reconnaître les opportunités de collaboration mutuellement bénéfiques avec le Niger.
Le premier des clichés : « Bazoum, le démocrate »
Le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, a toujours été marqué par une instabilité politique et des transitions parfois houleuses. Les élections de 2020 n’ont pas dérogé à cette règle. En effet, l’élection présidentielle qui a vu Mohamed Bazoum être déclaré vainqueur face à Mahamane Ousmane a suscité une vague de controverses. Nombreux sont ceux qui ont crié et crien encore à un hold-up électoral. Mais quelle est la réalité derrière ces accusations ?
Selon les chiffres officiels fournis par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Mohamed Bazoum, le candidat du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), aurait remporté l’élection avec 55,75 % des voix contre 44,25 % pour Mahamane Ousmane, le candidat du Renouveau démocratique et républicain (RDR-Tchanji). Toutefois, ces résultats ont été contestés par l’opposition, qui accuse le pouvoir en place d’avoir manipulé les chiffres. L’élection a, en effet, été émaillée de plusieurs irrégularités, notamment des accusations d’achat de voix, d’intimidation des électeurs et de bourrage des urnes. De plus, certains observateurs ont noté des incohérences dans les chiffres fournis par la CENI. Les zones où Mohamed Bazoum était censé être impopulaire ont enregistré un taux de participation étonnamment élevé, suscitant des soupçons de fraude.
Face aux accusations, le gouvernement nigérien et la CENI ont réfuté toute allégation de fraude. Pour eux, « l’élection s’est déroulée dans la transparence » et « les résultats reflètent la volonté du peuple nigérien ». Néanmoins, la Cour constitutionnelle, dans son rôle de validation des élections, n’a pas réussi à apaiser les tensions, les critiques jugeant que cette institution est sous l’influence du pouvoir en place.
Mahamane Ousmane, ayant déjà été président du Niger dans les années 90, a bénéficié d’un fort soutien populaire durant la campagne notamment grâce à l’appui du chef de file de l’opposition, l’ancien premier ministre Hama Amadou. Son camp affirme détenir des preuves de la fraude massive qui lui aurait volé la victoire. De grandes manifestations ont suivi la proclamation des résultats, réprimés dans la violence, témoignant du mécontentement d’une grande partie de la population.
Alors, Mohamed Bazoum, présenté aujourd’hui comme un démocrate, a-t-il volé l’élection ? L’élection présidentielle de 2020 au Niger restera dans les annales comme l’une des plus controversées de l’histoire du pays. La question de la légitimité de Mohamed Bazoum s’est donc posée dès « son élection » aux yeux de nombreux Nigériens et observateurs internationaux. Pour l’avenir de la démocratie nigérienne, il est essentiel que des réformes soient mises en place pour garantir la transparence et la fiabilité des processus électoraux.
L’armée : Régulateur de la démocratie nigérienne depuis l’indépendance
L’erreur que certains pseudo-analystes commettent est d’appliquer un modèle unique à toutes les situations, sans aucun recul ni prise en compte des spécificités de tel ou tel pays. C’est difficile à admettre pour ces prétendus connaisseurs du Niger, mais un coup d’État militaire vient parfois corriger une situation qu’une soi-disant « démocratie » a créée.
L’armée nigérienne joue, depuis l’indépendance, le rôle de « régulateur de la démocratie » du pays. Depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Niger a traversé une multitude de transitions politiques et de turbulences institutionnelles. Parmi les acteurs clés de cette histoire tumultueuse, l’armée nigérienne occupe une place à part. Souvent perçue comme une institution de régulation, elle est intervenue à plusieurs reprises dans le paysage politique du Niger, jouant un rôle de garde-fou, mais également, parfois, de perturbateur.
Au lendemain de l’indépendance, le Niger, comme de nombreux pays africains, a dû faire face à de multiples défis, tant sur le plan politique, économique que social. L’armée, en tant qu’institution structurée et hiérarchisée, est apparue comme un pôle de stabilité dans ce contexte tumultueux. Elle a souvent été sollicitée ou s’est auto-saisie pour rétablir l’ordre lors de crises politiques majeures. L’histoire du Niger a ainsi été marquée par plusieurs coups d’État, la plupart orchestrés par l’armée. Ces interventions, bien que parfois motivées par des intérêts partisans ou personnels, étaient souvent justifiées aux yeux du public et de l’armée elle-même comme des mesures nécessaires pour remettre le pays sur la voie de la démocratie ou de la stabilité. Qu’il s’agisse du coup d’État de 1974 qui a mis fin au régime du premier président Diori Hamani ou des événements plus récents des années 1990 et 2000, l’armée a toujours joué un rôle central dans la reconfiguration politique du Niger.
Il serait réducteur de voir l’armée uniquement comme une menace pour la démocratie nigérienne. À plusieurs reprises, après être intervenue, elle a facilité des périodes de transition vers des gouvernements civils. Par exemple, après le coup d’État de 1999, l’armée a orchestré une transition pacifique vers un gouvernement démocratiquement élu en 2000. De tels gestes montrent que l’institution militaire peut aussi jouer un rôle constructif dans le renforcement de la démocratie.
Seule une solution diplomatique pourra fonctionner : le positionnement américain est à saluer.
Depuis toujours, les tensions géopolitiques ont été au cœur des grands défis mondiaux. Dans ce contexte, l’approche diplomatique s’est souvent avérée être l’outil le plus efficace et durable pour résoudre les différends entre nations.
Lors d’une interview sur RFI le 7 août 2023, Antony Blinken, Secrétaire d’État américain, a réaffirmé cet engagement envers la diplomatie, rappelant ainsi le rôle central que les États-Unis souhaitent jouer sur la scène internationale. La visite à Niamey de Victoria Nuland, Deputy Secretary par intérim, est venue confirmer le choix des États-Unis pour le dialogue. Sous l’égide de l’administration actuelle, les États-Unis semblent s’éloigner d’une approche unilatérale et belliqueuse pour adopter une posture plus ouverte et coopérative. L’interview de Blinken sur RFI en est un témoignage éloquent. En insistant sur la nécessité d’adopter une approche diplomatique, il a réitéré l’importance du dialogue, de la coopération et du multilatéralisme dans la conduite des affaires internationales.
L’histoire nous a montré que les confrontations, qu’elles soient économiques, politiques ou militaires, ont souvent des conséquences imprévues et parfois catastrophiques. Elles engendrent des situations où personne ne sort véritablement gagnant. Blinken et Nuland, en reconnaissant ces limites, pointent vers une orientation où les solutions mutuellement bénéfiques sont recherchées et où la priorité est donnée à la préservation de la paix et de la stabilité globales. Le positionnement des États-Unis en faveur d’une solution diplomatique est non seulement bénéfique pour l’image du pays, mais aussi pour le monde entier. Dans un monde globalisé, où les interdépendances sont de plus en plus fortes, une démarche diplomatique permet de construire des ponts, d’aplanir les différends et de bâtir un avenir commun.
L’interview d’Antony Blinken sur RFI, suivie de la visite à Niamey de Nuland, est donc un signal fort de la direction que les États-Unis souhaitent prendre en matière de relations internationales au Sahel. En prônant une approche diplomatique, le pays renoue avec des valeurs universelles de dialogue et de coopération dont la France semble de plus en plus s’éloigner. C’est un rappel que, malgré les différends, la volonté de trouver des terrains d’entente et de travailler ensemble demeure la meilleure voie à suivre pour un monde plus sûr et plus harmonieux.
Le logiciel de la diplomatie française est périmé
Le rapport entre la France et l’Afrique, notamment avec des pays tels que le Niger, est dense et ancien. Toutefois, le contexte géopolitique et socio-économique actuel du continent africain demande une réévaluation de cette relation. Les dynamiques en cours en Afrique sont complexes et en constante évolution. La France, pour continuer d’être un partenaire pertinent, doit repenser son approche et peut-être s’inspirer davantage de l’expertise des binationaux, qui ont une compréhension intime des deux mondes.
Parmi les reproches faits à la France, son interventionnisme militaire, sa politique d’aide au développement jugée peu performante car davantage en appui des régimes que des populations, et enfin le franc CFA qui est de plus en plus contesté, représentant pour nombre d’Africains un héritage du temps des colonies.
Si l’histoire coloniale a laissé des traces indélébiles dans les relations franco-africaines, le 21e siècle demande une vision renouvelée. L’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle des décennies passées. Avec des économies en croissance, une jeunesse dynamique et une soif d’innovation, le continent africain est en plein essor. La France, pour maintenir une relation bénéfique avec l’Afrique, doit s’éloigner des stéréotypes réducteurs et embrasser cette nouvelle réalité.
Elle en a les moyens humains. Les diasporas africaines, ayant des racines à la fois en France et en Afrique, sont un atout inestimable. Elles possèdent une perspective unique, bâtie sur une compréhension profonde des cultures, des enjeux et des opportunités des deux continents. Leur expertise et leur expérience peuvent aider à combler le fossé de compréhension et à forger des partenariats plus solides et mutuellement bénéfiques.
L’un des défis majeurs dans les relations franco-africaines a souvent été le déséquilibre perçu dans le rapport de force. Pour construire un partenariat du 21e siècle, la France doit adopter une approche basée sur le respect mutuel, reconnaissant l’Afrique comme un partenaire égal avec ses propres aspirations et visions pour l’avenir.
En intégrant davantage les perspectives des diasporas et en adoptant une vision renouvelée de l’Afrique, la France peut non seulement améliorer sa relation avec le continent, mais aussi découvrir de nouvelles opportunités. Qu’il s’agisse de commerce, d’innovation technologique ou de coopération culturelle, un partenariat renouvelé ouvre la porte à des collaborations fructueuses.
Le moment est venu pour la France de revoir son « logiciel » concernant l’Afrique. En embrassant les changements en cours sur le continent et en intégrant davantage l’expertise des Africains de France, la France peut forger une nouvelle relation avec l’Afrique, basée sur la compréhension, le respect et la collaboration mutuelle. La France pourra alors transformer son échec au Niger en victoire mutuellement bénéfique.
Tayeb Benabderrahmane
Chef d’entreprise, président fondateur du CRDCC, Centre de Réflexion et de Dialogue pour la Concordance des Civilisations
paru le 15 août 2023