Le chef de l’État n’a certes pas le choix puisqu’il ne dispose plus de majorité absolue pour gouverner efficacement ! Mais Emmanuel Macron a vraiment l’art du leurre en politique. Et nos chers politiques, de tous bords, semblent parfois s’y complaire un peu trop…
La lecture du projet de compte-rendu de la Rencontre de Saint-Denis qu’a adressée cette nuit l’Élysée aux onze chefs de groupes parlementaires représentant les principaux partis politiques français, sensée être la grande initiative politique de rentrée du président de la République, est éloquente…
« Pas de compromis », « pas de compromis », « pas de compromis »… La rengaine est incessante dans ce document publié par France Info et que nous nous sommes aussi procuré. Est-ce étonnant ? N’était-ce pas prévisible ?
Dans l’interview qu’il nous accordée, Roger Karoutchi, premier vice-président du Sénat, tête de liste dans les Hauts-de-Seine pour le renouvellement des sénateurs du département, pressentait bien le climat de rentrée tel qu’il ressort de ce document de travail : la France perd du temps sur le chemin de réformes profondes, pourtant nécessaires et urgentes.
Certes, le compte-rendu de l’Elysée, soumis aux participants pour ajustement d’ici dimanche, fait apparaître quelques points de consensus : un soutien unanime à l’Ukraine et une condamnation claire de l’agression Russe sont ressortis de nos échanges, la nécessité d’un engagement accru de la France afin de contribuer à régler la situation humanitaire dans le corridor de Lachine et plus largement la situation politico-militaire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan…
De rares perspectives de « décisions » sont sorties des discussions : le principe d’un débat parlementaire sur la politique de la France en Afrique été acté pour l’automne. Le principe aussi d’assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée. Côté France, la Première Ministre est chargée sous un mois de proposer des solutions concrètes pour améliorer l’efficacité du couple Maire-Préfet.
Il a aussi été décidé de tenir en octobre une Conférence sociale avec les partenaires sociaux relative à la question des branches où la rémunération est inférieure au salaire minimum et sur l’évolution des salaires et des revenus.
Mais, pour l’essentiel, de nombreux chantiers prioritaires, urgentissimes même au lendemain des émeutes de ce début d’été, comme la responsabilité des mineurs, la responsabilité parentale (la justice des mineurs n’est même pas citée), sont clairement repoussés de plusieurs mois. Bref une année politique perdue en perspective.
L’immigration, on le savait déjà, ne fait pas consensus et le projet de loi du gouvernement ne pourra passer que par le 49.3. A lui d’assumer sa doctrine : « gentil avec les gentils, méchant avec les méchants », telle que l’avait formulée Gérald Darmanin il y a quelques mois déjà.
Dans ce compte-rendu pour rien ou pas grand’chose, cette phrase « Aucune forme institutionnelle de réponse (référendum, vote parlementaire, mesures règlementaires ou décision ad hoc) ne sera a priori exclue. » est franchement inutile car aucun consensus ne s’est dégagé sur les questions cruciales de référendum et de révision constitutionnelle.
La transition écologique a même été presque éludée… faute de temps semble-t-il.
Bref, si discuter est toujours utile, nous ne sommes pas dans un pays scandinave ni en Allemagne. La France ne fonctionne pas au compromis. On peut le regretter mais c’est ainsi. La voie choisie par Emmanuel Macron, sous la contrainte de son empêchement politique d’agir, fait donc perdre du temps à la France.
Macron est prisonnier de sa manière de gouverner, performative à l’excès. Il a l’art consommé du leurre politique qui consiste à noyer le temps dans une logorrhée verbale dont il est le champion : 14 heures au salon de l’agriculture en février 2023 (un temps historique auquel le Guinness des records devrait s’intéresser), des shows interminables entre lui et les élus locaux dans le Grand Débat qui suivi la crise des gilets jaunes, un Conseil National de la Refondation qui, pendant un an, – et encore aujourd’hui le 7 septembre à l’Élysée, mobilise des centaines de personnes pour n’aboutir à rien ou presque… Et aujourd’hui la Rencontre de Saint-Denis qu’il compte renouveler, allons donc, à l’automne.
Décidément, la question se pose de plus en plus : dans l’intérêt de la France, une dissolution de l’Assemblée nationale, probablement consécutive au vote de la censure par les oppositions (elles auront techniquement six opportunités d’un tel vote d’ici décembre) permettrait aux Français de faire un choix politique clair pour que la France soit enfin gouvernée par l’action et non par les mots !
Michel Taube