Le Parlement européen a voté mercredi 12 juillet, un premier texte sur la « renaturation » cherchant à enrayer le déclin de la biodiversité et à mieux contrer le changement climatique en imposant de réparer les écosystèmes abimés. Très concrètement, un ensemble de mesures va contraindre les Etats à restaurer des terres et des espaces marins altérés par la pollution. Ce nouvel arsenal devrait prévoir la mise en place de mesures de restauration sur au moins 20% des zones terrestres et 20% des zones maritimes de l’Union européenne. L’objectif final étant d’étendre le dispositif à l’ensemble des écosystèmes qui en ont besoin d’ici 2050, avec une gradation : les mesures devaient concerner au moins 30% des écosystèmes terrestres et marins abîmés d’ici 2030, puis 60% d’ici 2040 et 90% d’ici 2050. Ce texte ne concerne pas que les villes : la surface des espaces verts ou du couvert arboré urbain ne pourra pas diminuer, sauf si cette part est déjà supérieure à 45%. Par ailleurs, dans le texte initial, les Etats membres s’engageaient à prévenir toute dégradation dans les zones en bon état ou celles qui font l’objet de mesures de protection, comme le réseau Natura 2000 – sans obligation de résultat, toutefois. Les Etats avaient également ajouté des exceptions pour les projets d’énergie renouvelables ou d’infrastructures de défense.
Après cette présentation sommaire du contenu du texte, je souhaite donner mon ressenti plus personnel. Ce choix réalisé par le Parlement européen est évidemment historique. Pour la première fois, un texte de cette ampleur est voté. L’urgence est là comme le prouve l’ensemble des études. Plus de 80% des habitats naturels sont en mauvais état de conservation selon l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et 1 677 espèces d’animaux et de végétaux européens sont menacées de disparaître.
Pourtant, ce vote est amer. Obtenu d’une courte majorité, il a été âprement négocié et donne à voir des plaies profondes entre la gauche (très favorable) et la droite (très défavorable). Sur mon écran de téléphone, je regarde défiler sur Twitter les réactions très tranchées qui donnent à penser que la gauche aurait obtenu une victoire politique sur le camp des « climatosceptiques et des rétrogrades ». Quel rassemblement, quel dialogue entre des élus donne-t-on à voir à l’ensemble de nos concitoyens à l’approche des élections européennes sur ces enjeux aussi cruciaux ?
Tout le tapage médiatique, toutes les interventions dans les séances plénières, en hémicycle, sont une caricature d’un débat qui aurait pu, qui aurait dû être un grand moment d’échange sur ce que l’on veut pour la biodiversité.
Cette tribune d’opinion est sans doute différente de beaucoup des articles qui sont publiés en ce moment sur le sujet. D’un côté on assiste à une autocongratulation et de l’autre à une autoflagellation, avec beaucoup d’emphase et de superlatifs. Aujourd’hui, dans une logique binaire, le camp du bien aurait gagné sur le camp du mal, le camp des défenseurs de l’environnement contre le camp des climatosceptiques. Pourtant des deux côtés, une angoisse est prégnante : l’éco-anxiété dans une époque qui n’agirait pas assez vite. La peur d’une transition imposée à des agriculteurs qui ont déjà du mal à boucler les fins de mois. On pourrait parler aussi du ras-le-bol réglementaire dénoncé par le Maire de Cannes, David Lisnard, bien présent notamment en France et qui ne devrait pas s’amoindrir devant des discussions de boutiquiers indignes de députés européens. Que dire également des maires notamment ruraux, déjà très inquiets face aux violences, qui sont encore un peu plus attaqués dans leurs prérogatives locales notamment d’urbanisme. A gauche, refuser d’écouter des hommes et des femmes qui nourrissent la planète, les traiter d’« assassins », et juger qu’ils ne réagissent que de manière pavlovienne sans réfléchir est dangereux. Considérer que le résultat du vote est « un vrai moment de bonheur » sans se rendre compte des fractures indélébiles et des ressentiments qui vont naître est un échec annoncé. A droite, il s’agirait pour regagner le chemin des urnes de s’inspirer de ses ainées : la planète brule, pourquoi regarder ailleurs ? Proposer une écologie positive fondée sur l’innovation est la bonne voie, à condition de vraiment mettre des propositions concrètes sur la table et sortir d’une paresse intellectuelle fondée sur la seule critique de « l’écologisme ». La vision d’une croissance responsable avec une production verte doit être encouragée mais cela ne doit pas se faire au détriment des enjeux de biodiversité : il n’est pas possible d’être perçu par une majorité de Français comme des gens hostiles à la défense de la faune et de la flore.
Et maintenant ? 37% des Français sont climatosceptiques en France avec une augmentation de 10% en un an. L’année prochaine, au rythme actuel, nous pourrions nous approcher d’un Français sur deux. Les élections européennes vont donner la victoire, une fois encore au plus grand des partis : l’abstention avec des élus de droite et de gauche qui ne comprendront pas pourquoi. Le texte s’il est historique par son ampleur risque d’être détricoté lors des prochaines élections européennes voir même bien avant. Le texte sur la renaturation doit être débattu en trilogue entre la Commission européenne, le Conseil de l’UE et le Parlement à la rentrée, avec encore des oppositions fortes qui verront le jour. Les élections européennes de 2024 doivent être un grand moment citoyen de réflexion collective sur l’écologie. Anticipons nos besoins dans chaque territoire, adoptons une vision subsidiaire en proposant une écologie enracinée au plus près des préoccupations des populations. « Les forêts précèdent les civilisations, les déserts les suivent » disait Chateaubriand ; notre modèle civilisationnel ne peut faire l’impasse de l’écologie.
Ferréol Delmas
Directeur général du think tank « Ecologie responsable »