Revivez cette interview prémonitoire du journaliste Christian Jeanpierre, effectuée le 18 septembre 2019 lors de l’arrivée de Fabien Galthier à la tête de Bleus et à l’occasion de la précédente Coupe du Monde de rugby au Japon.
Dans notre rubrique « Esprit sports » et à la veille de la Coupe du monde de rugby au Japon qu’il commentera avec Dimitri Yachvili et Christian Califano sur TF1 et TMC (attention les matchs seront diffusés le matin), Christian Jeanpierre répond à Opinion Internationale. Le seul présentateur à l’aise avec un ballon rond ou ovale nous présente également son super dico français – anglais du rugby, Sorry, Good Game !, et l’association Premiers de cordée dont il est parrain avec un certain Kylian Mbappé. Entretien.
La France a joué trois finales de coupe de monde de rugby. Peut-elle en jouer une quatrième au Japon, dans 45 jours ?
C’est compliqué d’imaginer ça ! On part de loin. D’abord, on est dans la poule de l’Angleterre, dont je fais mon favori pour cette coupe du monde. Dans cette hypothèse, les deux équipes de la poule de la France seraient en finale. Ça s’est déjà vu en 2011, déjà avec la France, contre les All Blacks. Mais là, c’est très différent : on sort d’une année vraiment pas bonne et on se retrouve dans une poule extrêmement compliquée avec l’Argentine, qui sur le papier est plus forte que la France. Cela signifie que le premier match de l’équipe de France qui jouera justement contre l’Argentine samedi 21 septembre à 9h15, c’est déjà un 8èmede finale. Que l’on gagne ou l’on perde le premier match, les jeux seront presque faits. Les joueurs le savent.
Pourquoi le rugby français va-t-il si mal, alors que la France est traditionnellement une grande nation rugbystique ?
Je me permets un contre-pied : à Marcoussis, où l’équipe de France s’est préparée, je n’ai vu que des signes positifs… Tout d’abord l’arrivée de Fabien Galthié a déjà insufflé une nouvelle dynamique. Des anciens extrêmement revanchards veulent marquer l’histoire et certains jeunes champions du monde des moins de 20 ans partent au Japon. S’y ajoute le renforcement du staff par Raphaël Ibanez, qui va devenir manager général de l’équipe, après un passage en Nouvelle-Zélande dont il reviendra avec plein d’idées, et Shun Edwards, le responsable de la défense des Gallois, qui est un super manager de la défense. Certes, ces recrues porteront leurs fruits après la Coupe du monde, mais je pense que nous serons en ordre de bataille pour 2023 car la France accueillera la prochaine coupe du monde. Je crois que nous serons champions du monde en 2023 !
Le vrai problème, c’est le court terme. Et là, il est vrai qu’en se retrouvant dans le groupe de l’Angleterre et de l’Argentine, on sait que ça va être plus que dur. Je soutiendrai toujours les Bleus parce que j’adore ces mecs et que le rugby génère des valeurs comme le courage et la solidarité. Mais ça va être très compliqué.
Vous êtes plutôt foot ou rugby ?
J’ai enfin trouvé une bonne réponse à cette question qu’on me posait souvent quand je commentais des France-Brésil ou des France-All Blacks. Ma réponse aujourd’hui est qu’on ne choisit pas entre son père et sa mère. Ces sports m’ont tout donné. Je les aime tous deux ! C’est une vraie connerie de vouloir opposer les deux sports.
L’an dernier, Pascal Olmeta a organisé à Bordeaux un match mi-foot, mi-rugby (une mi-temps dans chaque discipline) que j’ai eu la chance d’arbitrer avec France 98 et les anciens de l’équipe de France de rugby. Les footeux et les rugbymen s’adorent. C’était atypique de voir Zidane avec un ballon de rugby. Lui comme Deschamps, Blanc et tous ces anciens footeux se sont éclatés. En face, il y avait Yannick Jauzion, Dimitri Yachvili, Christian Califano, Thierry Dusautoir, Sébastien Chabal qui a joué avec les rugbymen et Arsène Wenger qui a joué avec eux. Il y a en réalité tant de passerelles entre ces disciplines, à commencer par la solidarité. Bien sûr, le courage purement physique est propre au rugby, qui est un sport de contact et de combat.
Vous êtes nombreux à commenter les deux sports ?
Je dois être l’un des seuls, depuis que nous a quittés le regretté Thierry Gilardi. Vincent Duluc de l’Équipe est très compétent dans les deux sports, mais il ne commente pas. On m’a toujours dit que je devais choisir, mais j’ai refusé. Arsène Wenger m’a toujours encouragé à apprécier pleinement mes coupes du monde. J’ai déjà commenté huit coupes du monde de foot et six de rugby et le plaisir est toujours le même.
Que pensez-vous de ce fameux proverbe selon lequel « le foot serait un sport de gentlemen joué par des voyous et le rugby un sport de voyous pratiqué par des gentlemen » ?
Le rugby n’est pas un sport de voyous. Ni le foot d’ailleurs, même s’il est peut-être en retard sur le rugby sur des questions de comportement ou de respect de l’arbitre. Après la vidéo, qui est si bien gérée dans le rugby depuis longtemps, la prochaine étape dans le foot sera d’équiper les arbitres d’un micro ouvert. Cela instaurera un vrai respect sur les terrains et changera la nature des relations entre joueurs et arbitres. On l’a fait à TF1 en 2003 sur une finale de coupe de France. Ça avait eu un incroyable succès.
Êtes-vous d’accord avec l’affirmation suivante : « en foot, un match peut être gagné par une équipe grâce au génie d’une seul joueur. En rugby, quand bien même une équipe aurait un Kylian Mbappé dans son effectif, elle ne peut s’imposer sur un seul talent, car le rugby est beaucoup plus collectif » ?
Au foot, c’est effectivement possible. Au rugby, ce n’est pas impossible, mais beaucoup plus difficile. Quand on voit Cheslin Kolbe dans l’équipe d’Afrique du Sud et qui joue au Stade Toulousain, on se dit que sur trois pas, il peut faire la différence. Quand deux équipes sont très proches, le talent peut faire la différence. C’est plus criant au foot, car le rugby est plus collectif, mais pas impossible. Au rugby, dès qu’on joue « pour sa gueule, on est mort ». Au foot, on peut survivre, mais pas longtemps !
Après 48 2/3 (ce sont les mensurations de vos pieds !), vous publiez avec Bertrand Hourcade un deuxième ouvrage : Sorry, Good Game !, le dico français – anglais du rugby à la Maison du dictionnaire. Le livre est émaillé de portraits de stars du rugby qui vous ont inspiré. Pour mettre l’eau à la bouche de nos lecteurs, permettez-moi de vous proposer un mot qui est ni français ni anglais, et qui est emprunté au foot : quelle est cette remontada dont vous parlez à la page consacrée à Bernard Laporte, président de la Fédération Française de Rugby ?
C’est peut-être le match du siècle, le plus grand match de l’histoire du rugby français. France – Nouvelle-Zélande en demi-finale de la coupe du monde 1999 : j’ai eu l’honneur de le commenter au début de ma carrière. Menée 17 /10 à la pause, la France l’emporte après une mi-temps héroïque. Bernard Laporte avait parié qu’il mangerait un rat. Trois semaines plus tard il est arrivé à TF1 avec un pâté de ra…gondin au cognac !
Vous parrainez et soutenez activement l’association Premiers de cordée ? Dites-en nous plus…
C’est une petite association qui est devenue médiatique, notamment parce que nous avons Kylian Mbappé comme parrain. Son objet est de faire faire du sport aux enfants hospitalisés. En général dans les hôpitaux, après 17 heures, il ne se passe plus rien. Quand on débarque dans un hôpital avec Kylian Mbappé, Thierry Omeyer, l’ancien gardien de l’équipe de France de Handball, et des éducateurs spécialisés, pour proposer aux enfants de jouer au foot dans le sous-sol de l’hôpital, ou au handball dans un couloir, ils sont émerveillés.
C’est une joie de se démener pour cette association au côté, notamment, de Nathalie Péchalat, Maxime Médard, Arsène Wenger… On organise chaque année un concert privé à l’Olympia pour les enfants et nos partenaires. J’y joue avec mon groupe, dans lequel je suis batteur. On reprend des tubes français, avec les stars qui sont avec nous.
Une fois par an, Premiers de cordée réalise un défi absolument fou : on sort 5000 gamins de tous les hôpitaux parisiens pour les emmener faire du sport toute la journée au Stade de France. C’est la « journée évasion », qui a lieu en mai.