L’annonce présidentielle d’un arbre planté par chaque élève de sixième est enthousiasmante. Est-elle réaliste ? L’absence d’annonce pour les générations les plus productrices de carbone interpelle. Combien d’arbres à planter pour l’achat d’un SUV ?
Planter un milliard d’arbres d’ici 2033. Voilà un objectif qui claque ; un chiffre choc. L’ambition du président de la République en cette rentrée de septembre, est aussi galvanisante que son expression en est simple. Sans compter que le geste démiurgique du semeur est flatteur. Qui n’a pas rêvé, un jour, planter un gland, une graine, un plant ? L’initiative est en phase avec l’air (étouffant) du temps. Rien ne manque : le simplisme d’un chiffre rond qui bétonne le message ; l’efficacité d’un volume annoncé qui en impose ; la crédibilité d’une échéance décennale… Plus c’est facile moins ça rebute, plus c’est long plus ça reboute. Donner le cap est indispensable. L’intendance suivra sur un chemin aussi droit et dégagé que l’allée cavalière d’une lande après l’incendie.
Encore faut-il souhaiter que l’annonce dépasse l’espérance de vie d’une feuille (de route) automnale, nul n’ignorant désormais qu’en matière d’environnement, ne s’en étant pas soucié avant, il faut bien agir maintenant. Et sans tarder si, à en croire le GIEC, il n’est déjà trop tard à 4 ou 5 degrés supplémentaires près d’ici cinq ans dans nos contrées…
Feu de paille ?
Un milliard d’arbres, même en dix ans, c’est quand même pas une paille ! Soyons positifs, y croire fait du bien au moral. Surtout, s’il s’agit de faire appel aux élèves de sixième tels qu’enjoints par les vœux présidentiels à planter chacun un arbre. Enthousiasme dans les rangs d’école. Laissons les vieux ronchons à leur scepticisme, et suivons un instant le conseil du poète Jacques Lacarrière : « Je fais halte près d’un petit bois, m’assieds le dos contre un arbre, en plein soleil, pour détailler le paysage. »[1]
D’autant qu’il en va des annonces comme des bonnes résolutions : peu résistent à la force des habitudes. Pour conjurer la funeste antienne des renoncements, l’idée de mobiliser ceux qui n’en ont pas encore l’expérience est un bon coup double, décision tout à la fois de politique éducative et de politique intergénérationnelle. Educative par l’apprentissage des plus jeunes à se préoccuper de leur propre avenir, leurs prédécesseurs n’ayant pas su faire. Intergénérationnelle aussi, car le recours aux enfants sera à n’en pas douter (là aussi, il faut y croire) suivi de décisions tout aussi responsabilisantes pour leurs parents, grands-parents et au-delà.
L’irresponsabilité des générations adultes en matière d’environnement depuis des décennies alors qu’« on savait », mériterait bien une décision aussi symbolique que généreuse pour leurs descendants telle, par exemple, que l’obligation de planter des arbres pour l’achat du moindre SUV qui, comme chacun le sait à service égal pollue plus que tout autre type de voitures – y compris à moteur électrique, un SUV a un impact carbone triple à une citadine électrique –, pour tout éclairage surnuméraire dans la sphère publique comme privée, pour tout usage immodéré de la clim’, système d’air conditionné qui illusionne chacun sur ses propres capacités à vivre le réel…
La liste est trop longue et, là aussi, nous le savons les conditions de réussite d’une politique de boisement sont complexes dans un contexte, d’ores et déjà connu[2], notamment de pénurie de plants d’essences d’arbres capables de résister aux sécheresses autant qu’au gel, aux nuisibles invasifs autant qu’aux spécificités de certains sols et sous-sols… Demander aux enfants de planter des arbres, bien sûr. Responsabiliser les adultes sur leurs usages énergivores, c’est mieux.
Quel temps fait-il ? Disons : changeant.
Ainsi en va-t-il du temps où le troubadour chantait vouloir être enterré sous un arbre – « une espèce de pin / Pin parasol de préférence / Qui saura prémunir contre l’insolation »[3] – paradoxe du temps présent et renversement de perspective. L’image du mort qui, du fond de sa tombe, se décarbone patiemment au profit de la non-moins lente croissance arborescente. L’arbre dont la cime tutoyait l’air libre est devenu un puits qui enferme le carbone, alors que le corps mort, jusqu’alors humus prometteur de renouveau, évapore désormais dans l’atmosphère son carbone d’incinéré. Signes des temps. La nuance y perd ce que l’anxiété exige d’injonctions hygiénistes. La langue y perd ce que l’urgence réduit en descriptions utilitaristes. La poésie y perd ce que le changement climatique brûle. Brassens se retourne dans sa tombe.
Et puisque le temps a passé et que la réponse est pressante, considérons qu’un milliard d’arbres en dix ans, c’est quand même mieux que les cent mille du berger de Giono ![4] Mais, lui était tout seul, et plantant des chênes plutôt que des paulownia tomentosa ou eucalyptus à la croissance compréhensive des temps pressés, il savait le prix de la patience. Peut-être, ce haut personnage des alpage gionnesques avait-il – on peut en douter tout de même, mais en avait-il besoin ? – lu et médité ce vers de Peter Handke : « Celui qui n’apprit jamais la durée / N’a pas vécu. »[5]
Avec les arbres, la durée se rappelle à nous.
Olivier Peraldi
Ecrivain
[1] Jacques Lacarrière, Chemin faisant, La Table Ronde, 2017.
[2] Voir notamment de nombreuses publication de chercheurs du CNRS, dont Multi-species forest plantations outyield monocultures across a broad range of conditions, CNRS 2022, ou Combining climatic and genomic data improves range-wide tree height growth prediction in a forest tree, CNRS, 2022.
[3] Georges Brassens, Supplique pour être enterré à la plage de Sète.
[4] Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, Gallimard, 1996.
[5] Peter Handke, Poème à la durée, NRF, 1987.