La chronique de Patrick Pilcer
11H04 - vendredi 15 septembre 2023

Suppression de la taxe d’habitation : un mauvais coup porté au vivre ensemble ! Tribune de Patrick Pilcer et Michel Ruimy pour le Cercle Avenir et Progrès

 

Quand on préside un pays aux finances publiques exsangues, il faut bien choisir les ristournes d’impôt qu’on octroie aux contribuables. Abordées sous l’angle favori du chef de l’État – l’efficacité économique -, l’ensemble des mesures fiscales décidées depuis le début de sa présidence (Baisse de l’impôt sur les sociétés, transformation de l’ISF en IFI, instauration d’un Prélèvement forfaitaire unique – flat tax – de 30% sur les revenus financiers…) répondent à un impératif : renforcer l’attractivité et la compétitivité de la France. 

Mais, quel peut être l’intérêt de supprimer la taxe d’habitation ? Selon les sondages de l’époque, cette proposition fut la promesse la plus populaire de la campagne présidentielle 2017. Pour se justifier, l’ex-ministre de l’Économie avait mis en avant « l’inégalité » des contribuables devant cette taxe, qui les frappe différemment selon leur commune de résidence ou leur type de logement. 

 

Suppression de la taxe d’habitation : les propriétaires paieront !

Initiée en 2020, la suppression progressive de la taxe d’habitation pour les résidences principales sera achevée en 2023. Depuis début septembre, les propriétaires, un peu partout en France, reçoivent leur taxe foncière. Quelle n’est pas leur surprise de constater son envolée ! Dans une commune sur cinq, celle-ci est en hausse de plus de 7%, les maires justifiant cette augmentation par la période de vive inflation que vous subissons depuis quelques mois et par la suppression de la taxe d’habitation.

Si, politiquement, Emmanuel Macron a réussi un coup de maître avec cette réforme, il en découvre aujourd’hui le revers de la médaille, tant ce choix a fragilisé plusieurs piliers du pays. Le citoyen français est toujours content de la suppression d’un impôt. Mais s’il a envie que l’exécutif supprime ou diminue un certain nombre d’impôts dont il ne connaît pas sa finalité, il connaît celle de la taxe d’habitation ! Refaire une route, mettre un feu tricolore, organiser le marché, faire des travaux…permet d’une part, de garder un lien entre l’impôt qu’il paie et de l’autre, pouvoir voir l’utilisation de cet impôt.

Toutes les mauvaises fées de la fiscalité semblent se pencher sur le berceau issu d’une promesse électoraliste mal ficelée. Nécessairement populaire, mais économiquement néfaste, force est de constater, quelques mois plus tard, les dommages tant au niveau des propriétaires que des locataires ! 

Du côté des propriétaires, ils deviennent les seuls contributeurs locaux aux dépenses de la Ville. L’Etat assure compenser, mais comment peut-il prendre convenablement en compte la dynamique d’une activité locale ? S’étant engagé à ne pas créer de nouvel impôt pour corriger la suppression de la taxe d’habitation, le gouvernement ne peut que jouer à la hausse sur des impôts déjà existants… et au bonneteau fiscal pour en amortir le coût. Or, seule la mairie, ou la collectivité locale, est en mesure de décider ce qui convient le mieux aux habitants. La taxe foncière est, à présent, leur unique grand levier fiscal pour financer les services publics.

Du côté des locataires, la suppression de la taxe d’habitation brise tout lien avec le financement de la voirie, du ramassage des ordures, la création de crèche, la rénovation des écoles, la mise en place de transports publics… Ceci est extrêmement important d’un point de vue citoyen. Les locataires ne contribuent plus directement au financement du Vivre Ensemble le plus élémentaire : celui à l’échelon de la Ville.

Les collectivités, contrairement à l’esprit des lois de décentralisation qui prévalent depuis 40 ans, ne sont plus véritablement autonomes. Aujourd’hui, elles dépendent du bon vouloir de l’Etat. Fini l’esprit girondin, les pratiques les plus jacobines sont de retour ! Pour autant, rien ne dit que l’Etat sera meilleur gestionnaire que les collectivités locales et territoriales. Les rapports de la Cour des Comptes concluent bien souvent au contraire.

Par ailleurs, si supprimer la taxe d’habitation permet de redonner du pouvoir d’achat aux ménages français, la mesure n’a aucun intérêt pour l’économie française. Supplément de consommation certes, dont une partie non négligeable en faveur des importations (+ 3 milliards EUR), effet négatif sur le solde public (+7,5 milliards EUR de supplément de déficit) …

Il s’agit surtout d’un très mauvais coup porté au Vivre Ensemble. Quand un consommateur ne paie en rien un service public, peut-il réellement continuer de le respecter comme lorsqu’il contribuait à son équilibre financier ? Plus grave, le lien entre un grand nombre d’électeurs et leurs élus locaux se brise ! On crée deux catégories de citoyens : ceux qui paient des impôts locaux : les propriétaires et ceux qui en sont dispensés : les locataires. 

Même si l’existence de la taxe d’habitation est critiquable pour son caractère inéquitable, lié notamment à l’obsolescence de la méthode de calcul de ses bases et pour son coût de collecte important, sa suppression sur la résidence principale pour 80% des ménages implique une forte concentration de l’impôt sur les 20% de ménages restants. Est-ce, là, la finalité de cette « réforme » ? Concentrer davantage l’impôt, exonérer de tout impôt local les locataires et faire haro sur les propriétaires ?

 

Repenser l’aménagement des territoires

Dans le futur, si un candidat à la mairie propose d’accroître fortement les dépenses de sa collectivité, et de faire supporter cette hausse par la taxe foncière, seuls les habitants propriétaires sentiront passer l’addition. Par-là même, il y a rupture d’égalité entre eux. Car, propriétaires et locataires votent aux mêmes élections. On accroît ainsi la dangereuse distance existant entre les élus et les citoyens dans nos démocraties.

On peut même imaginer un cercle vicieux de concurrence entre villes, où certaines essaieront d’attirer les propriétaires en maintenant une taxe foncière raisonnable, ce qui appauvrira, en conséquence, les villes dépensières, celles qui ne pourront garder que des locataires. Finie alors la mixité sociale, fini alors le Vivre ensemble !

 

Michel Ruimy

Essayiste, Economiste, Professeur à l’ESCP, think tank Cercle Avenir et Progrès

 

Jacques Patrick PILCER

Conseil et expert sur les marchés financiers, président de Pilcer & Associés, Chroniqueur Opinion Internationale

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