Chronique d’un dialogue difficile aux éditons du Panthéon est à lire pour connaître et comprendre ce qui se joue, ce qui se vit en Martinique…
Emmanuel de Reynal est un écrivain martiniquais. Ses qualités se retrouvent non seulement dans la variété des sujets qu’il aborde, mais aussi dans l’humanisme profond qui l’habite. Dans Ti Prince il livre le tour de force de regarder le monde à travers les yeux d’un enfant atteint d’une malformation du chromosome 21, comme ses parents qui ont toujours considéré qu’une vie, quelle que soit le handicap qu’elle puisse porter, reste une vie normale. Car, ne l’oublions pas, le handicap est inhérent à la vie. Croire qu’elle est un long fleuve tranquille, nous le savons tous, est un idéal, un paradis inaccessible, sauf si nous entendons la recevoir ainsi. Acte de volonté, acte de foi sans doute, mais acte de vérité profonde.
L’autre singularité de l’artiste Emmanuel de Reynal qui peint de ses mots les mondes qu’il crée ou recrée, est qu’il reste profondément ancré dans la Martinique d’un passé finalement récent, ce qui ne l’empêche pas de remonter le temps de cette île si belle et si tourmentée. Et comme il n’a eu de cesse, depuis qu’il respire, que de s’activer et d’aider à construire ce monde martiniquais, il est évident qu’il est devenu une véritable bibliothèque. Une bibliothèque remplie de ce passé dont il a été acteur, d’abord comme observateur attentif avant de se jeter dans l’arène pour participer à sa construction. Cette bibliothèque, j’en prends le pari, possède des richesses que bon nombre de nos concitoyens ignorent ou ont oublié.
Autre singularité de notre écrivain, son regard n’est jamais un regard revendicateur. Il est déjà l’annonciateur d’un monde antillais réconcilié, ce qu’il souhaite d’ailleurs du plus profond de son cœur, parce qu’il est un bâtisseur et un humaniste. Son humanisme le rend indulgent, quand chez moi il est professeur et pourfendeur de bêtise. Alors que je désespère des miens, aveuglés par des feux follets, murés dans un nombrilisme qui leur ferme les yeux et les rend vulnérables aux marchands de billevesées, Emmanuel est indéfectiblement persuadé qu’il réussira à convaincre. D’une certaine manière, il fait penser à ces témoins de Jéhovah qu’on peut mettre à la porte 100 fois, et qui sont toujours là, à la différence, que lui, il est obstiné parce qu’il est en souffrance.
Il faut en effet une dose profonde d’ingénuité pour aller au-devant des autres et risquer qu’on vous crache au visage. Quel symbole que ce crachat ! Mais surtout quel courage et quelle bonté en soi pour l’affronter. C’est cela l’humanisme d’Emmanuel de Reynal : l’autre se trompe, c’est certain ; l’avenir, la mondialisation, l’évolution sociale, tout condamne les pourfendeurs de békés, les malades qui se croient à la place des esclaves pour réclamer justice d’innocents qui n’ont plus rien à voir avec cet esclavage ; malades qui s’enferment dans cette camisole de force mentale en oubliant l’origine de cette condition : pas d’esclavage sans vente d’esclaves ; et on oublie aussi l’éternité de l’esclavage présent quelle que soit la société, de l’origine des temps jusqu’à maintenant. Ils se trompent, les destructeurs qui ne sont rien d’autres que des vandales et qui croient par la destruction de l’art effacer les traces du passé. Parce qu’un passé s’efface ? Et vous prétendez l’effacer en vous réclamant de lui ? Tissu d’incohérences !
Il en faut du courage, oui ! de l’oubli de soi, oui ! et de l’amour de l’autre, aussi ! pour continuer à aller vers eux. Peut-être parce qu’Emmanuel, par son métier et son intérêt pour le fonctionnement des sociétés a bien compris, comme Voltaire, que c’est l’économie qui guide le monde. Mais, ce que beaucoup ont oublié, c’est que l’économie, ce n’est que l’homme. Il ne s’agit que d’une forme d’organisation des sociétés, discutable mais pour l’heure, la seule qui, parce qu’elle fonctionne tant bien que mal, gagne peu à peu le monde entier.
Et si le monde se trouve à des croisées de chemin pour réinventer son modèle social, force est de constater que nos sociétés sont en ébullition et au bord de l’explosion comme la Soufrière ou la Montagne Pelée.
En vulcanologue, Emmanuel de Reynal se penche sur notre volcan social pour comprendre la nature du phénomène et surtout trouver les moyens de l’apaiser.
Première découverte : notre société est une juxtaposition d’électrons libres qui s’agitent mais ne forment pas une masse qu’on puisse affronter ensemble. De là une multitude de points de départ d’agitations, ce qui complique les choses.
Deuxième constat, pour apaiser, et à partir de son itinéraire professionnel, mais aussi intuitivement, notre écrivain comprend qu’il faut s’asseoir et se parler.
Le témoignage d’Emmanuel de Reynal est celui d’un véritable écrivain qui peint un récit qui joue sur les attentes, les tensions, mais qui aussi aime à semer des portraits de ces 7 militants du dialogue. Les portraits sont réalisés à grands traits pour témoigner d’une connaissance profonde des individus côtoyés mais aussi de l’admiration de l’auteur pour eux et notamment pour Marijo comme il l’appelle et notamment quand il perçoit toute la violence dont elle fait soudain injustement l’objet.
On découvre aussi une histoire, parce que tout roman, tout récit, est narratif. Mais la seule narration n’ouvre pas suffisamment de prolongement si elle ne s’accompagne pas de réflexion.
Réflexion sur les méthodes. En effet, face à un obstacle, on cherche évidemment à trouver le moyen de le contourner et aussi sa provenance et, bien plus important, sa légitimité. En effet, devant la barrière imposée à des individus légitimés à s’exprimer parce qu’ils apportent la paix, il semble que le dernier mot reste aux destructeurs de statues et de monuments aux morts.
Le vrai problème est celui de notre démocratie. Maintenant, si certains tentent de débloquer le pays, d’autres, pour des raisons politiques s’y opposent et tentent de faire capoter toute initiative d’apaisement des tensions profondes. Conclusion ? La manipulation politique est à l’œuvre. Qui la dirige ? La Martinique est-elle Haïti ? Non bien sûr, mais elle donne le sentiment de glisser vers ce triste modèle. Ne pas réagir rend complice des manipulateurs.
Débutant sur le rythme d’un roman policier, Chronique d’un dialogue difficile, est un récit qui joue sur des figures fortes peintes avec une grande vigueur. C’est aussi un texte de poésie construit derrière une chevauchée allègre dans le temps et l’espace, pour finir sur une magistrale leçon politique.
Yvon Joseph-Henri
Professeur de littérature française, retraité du Lycée Schoelcher de Fort-de-France en Martinique