Jeudi 28 septembre, place du Tocadéro à Paris, sur le parvis des droits de l’homme, les Chrétiens d’Orient ont organisé un rassemblement émouvant pour protester contre l’annexion du Haut-Karabagh, la République d’Artsakh, par l’Azerbaïdjan.
Le matin même, la république autoproclamée du Haut-Karabakh avait annoncé son autodissolution et celle de toutes ses institutions à partir du 1er janvier 2024, une semaine après une offensive victorieuse de l’Azerbaïdjan.
Le décret du dirigeant artsakh, Samvel Chakhramanian, conclut sur ces mots terribles : « la République du Nagorny Karabakh (Artsakh) cesse son existence ».
Opinion Internationale publie le discours solennel prononcé au Trocadéro par Hovhannès Guévorkian, Représentant de la République d’Artsakh en France…
« Il existe un endroit merveilleux, inconnu du monde, un paradis dont les rares personnes l’ayant visité sont tombées amoureuses et ne l’ont jamais oublié. Ses habitants ont dû se battre sans répit, au prix de nombreuses vies, pour acquérir le droit de vivre sur leur propre terre.
Ici, chaque pierre, chaque rocher, chaque falaise, porte le nom d’un héros. Ici chaque pouce de terre a été nourri de sang, de larmes, mais aussi du désir de vivre. Cette terre a un nom, c’est le Haut-Karabagh.
Et c’est mon pays.
Ces lignes appartiennent à Anna, une jeune Karabaghiote de 22 ans dont le pays, sa patrie, la République d’Artsakh, vient d’être annexée par l’Azerbaïdjan. Le nettoyage ethnique des Arméniens est en cours. L’exode, l’exode forcé, puisque résultant de l’absence de tous moyens de protection locale ou internationale, s’est mise en place. 70 000 Arméniens du Haut-Karabagh (sur une population de 120 000 personnes) sont arrivés en Arménie. Anna aussi.
Chouchi, Stepanakert, Hadrout, Martouni font désormais partie des villes vidées de leurs populations. En les évoquant nous devons dire : « C’ETAIT des terre arméniennes (comme le mont Ararat, comme l’Arménie Occidentale (actuellement en Turquie) comme la région de Nakhitchevan (actuellement en Azerbaïdjan) où, selon la légende, Noé est descendu de son arche échouée)… Nous admirerons peut être sur les cartes postales les monastères de Gandzassar, de Dadivank ou encore d’Amaras, où fut fondée la première école arménienne, au IV siècle, par le créateur même de l’alphabet arménien Mesrop Machtotz.
Les multiples dialectes de l’Artsakh seront menacés de disparition comme l’est l’arménien occidental que tous nos grands-parents et arrière grands parents parlaient avant que le Génocide soit perpétré par l’Etat turc.
Mais l’Artsakh n’est pas seulement un territoire avec ses vieilles pierres, (les monastères, les églises, les croix-pierre). L’Artsakh ne se résume pas à sa langue (avec la multitude de ses dialectes chantants) et à ses traditions arméniennes. L’Artsakh est aussi les Artsakhiotes qui sans aucune défense, à la merci de leurs bourreaux, en masse arrivent en Arménie.
Pourtant même après les guerres d’agression azérie, même dans le blocus inhumain imposé aux Arméniens par l’Azerbaïdjan durant 9 mois UNE seule chose nous restait : l’espoir et la détermination des Karabaghiotes de vivre ensemble, de ne pas se séparer. Cet espoir aussi nous a été pris, nous a été volé.
La plupart de ces Artsakhiotes, comme Anna, fait partie de la génération libre et indépendante de l’Artsakh. Ils y sont nés, ils y ont résisté pour défendre leur liberté, ont tenté d’y construire une société moderne tournée vers l’avenir, au lieu d’être une minorité en péril, y ont vécu les beaux jours de leur existence. L’Artsakh est leur identité. Pourtant ils sont condamnés à se séparer, à perdre cette identité car ils ont perdu l’Artsakh, car ils se disperseront à leur tour aux quatre coins du monde et feront partie de la Diaspora arménienne si intégrée, si exemplaire….
Certains de ces Artsakhiotes, comme plusieurs de mes camarades sont originaires de Soumgait, de Kirovabad ou de Bakou villes d’Azerbaïdjan d’où ils ont été chassés sauvagement en 1988, 1989 et 1990. Ils avaient fui et trouvé refuge en Artsakh, espérant enfin une sécurité. Ils me disent être fatigués de fuir…encore, sans cesse….
Le conflit du Karabagh fut celui d’une émancipation contre l’écrasement, celui d’un peuple épris de liberté contre un appareil d’Etat, celui de l’indépendance contre la possession, celui des droits des hommes et des droits peuples contre le droit des Etats, celui de la volonté d’exister contre la volonté d’effacer. Les Artsakiotes et leurs amis ont perdu cette bataille….
La perte de l’Artsakh signifie l’affaiblissement de l’Arménie. Car il est difficile à croire qu’amputer l’Arménie la rend plus forte quand l’amputeur ampute non pas pour sauver l’Arménie mais uniquement pour l’affaiblir.
Cette perspective sombre, chers Amis, me semble réaliste, inévitable. Pourtant je souhaite vous faire la promesse, au nom des Artsakhiotes, vous faire la promesse de ne perdre l’espérance, de rester déterminés mais aussi lucide, ne pas être déçus de notre solitude face à nos bourreaux, d’accepter que les attentes d’aide que nos amis auraient pu nous apporter furent certainement exagérées de notre part.
Réalistes, nous devons nous organiser autrement, sans jamais oublier que le peuple arménien a survécu à un génocide, a su se reconstruire malgré ce crime monstrueux. Nous avons pu sauver nos enfants survivants de la mort, un par un, les cherchant dans des orphelinats, restés sans rien, dépossédés de notre propre identité, dépossédés de notre patrie. Nous avons su le faire en restant solidaires, déterminés, tolérants et honnêtes.
Je voudrais conclure avec ces quelques mots de William Saroyan, écrivain arméno-américain, lui aussi issu d’une famille déracinée car ayant fui aux Etats Unis de l’Empire ottoman suite aux massacres de Arméniens avant même que le grand Crime qu’est le Génocide fut perpétré par l’Etat turc.
« Je voudrais savoir quelle force au monde peut détruire cette race, cette petite tribu de gens sans importance dont l’histoire est terminée, dont les guerres ont été perdues, dont les structures se sont écroulées, dont la littérature n’est plus lue, la musique n’est pas écoutée, et dont les prières ne sont pas exaucées.
Allez-y, détruisez l’Arménie ! Voyez si vous pouvez le faire. Envoyez-les dans le désert. Laissez-les sans pain ni eau. Brûlez leurs maisons et leurs églises. Voyez alors s’ils ne riront pas de nouveau, voyez s’ils ne chanteront ni ne prieront de nouveau. Car il suffirait que deux d’entre eux se rencontrent, n’importe où dans le monde pour qu’ils créent une nouvelle Arménie ».
Hovhannès Guévorkian