Opinion Eco & Entrepreneurs
10H09 - mercredi 8 novembre 2023

« Deux et deux font quatre » : l’art vital de la qualification. Tribune d’Alexandre Lamy

 

 

« Terrorisme », « crimes contre l’humanité », voilà des notions de droit précisément définies et qui font une fois de plus irruption dans l’actualité. Question : pourquoi donc certains leaders d’opinion ne les nomment-ils point ?

Il est des mots, ou plutôt l’absence de mots, qui surprennent et qui heurtent.

Les drames que nous connaissons, les horreurs qui nous ont été données de voir sont révélateurs du supplément de violence qui résulte des errements de langage, venant mettre à mal notre modèle de société libérale et notre démocratie.

La qualification, le pouvoir de nommer les choses, est indispensable à la construction de l’ordre social et à notre liberté politique.

Toute imprécision, délibérée ou involontaire, est source de violences, parce qu’elle revient à nier la réalité des faits.

On dit du droit qu’il est « l’art de la distinction ».

Et pour cause, le raisonnement juridique repose sur la qualification des faits.

En droit, la qualification est le raisonnement déterminant qui permet d’appréhender la réalité des faits, en les rattachant à une catégorie juridique, laquelle indique ensuite les règles applicables.

L’opération de qualification revêt la même importance en droit que le diagnostic en médecine. C’est dire si elle est vitale !

Elle est déterminante parce qu’elle s’appuie sur des définitions, qui ont pour vertu de dissiper l’équivoque, l’obscurité.

Qualifier pour lutter contre l’obscurité, nous y sommes ! Voilà pourquoi la qualification est vitale.

Parce qu’elle s’appuie sur le respect des faits et l’exigence de vérité, la qualification participe du combat contre l’obscurantisme, représenté, dans le courant de pensée des Lumières, par la superstition et l’ignorance.

La prise en compte de la réalité des faits sur la base d’idées suffisamment lucides participe ainsi de la défense de nos démocraties contre les populismes.

En effet, comme le rappelle George Orwell dans 1984, « la liberté c’est de dire que deux et deux font quatre ».

Renoncer à la recherche de vérité au profit de l’agitation des passions collectives et de l’encouragement de la violence, en faisant le choix de connaissances incomplètes ou pire, du mensonge, c’est donc ébranler notre liberté politique.

Ce renoncement intellectuel du populisme, qui nous a été donné de constater, abandonnant le respect des faits et l’exigence de vérité pour attiser la haine, vient ainsi menacer notre démocratie.

Notre démocratie est instable et fragile. Elle peut mourir de glissements lents, comme celui de l’abandon de l’effort de qualification.

Ce renoncement peut prendre plusieurs formes, de l’erreur de qualification, délibérée ou non, à celle, insidieuse, de la dénomination tiède, volontairement neutre, venant entretenir un flou, brouillant les frontières du vrai et du faux, à laquelle peut renvoyer la tactique des guillemets qui évoquent une signification relative, et marquent une réserve, une distance, ou celle de l’utilisation galvaudée de l’hypothèse ceteris paribus (« toutes choses égales par ailleurs ») qui conduit à écarter certains paramètres d’une situation donnée pour n’en retenir qu’un seul. C’est précisément parce que les situations ne sont pas analogues dans tous leurs paramètres qu’il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures…

Nommer est donc vital, ce qui n’est pas simplifier. Au contraire, tout l’enjeu est de retranscrire la complexité et la nuance des faits qui nous saisissent. Cette faculté s’acquiert, comme pour notre liberté politique, par l’éducation et l’exercice de la raison.

Le champ intellectuel, et avec lui celui de l’enseignement qui ne doit s’interdire aucun sujet – scientifique comme historique –, sont donc centraux dans la bataille qui s’annonce pour l’avenir de notre liberté politique.

Alexandre LAMY

Avocat Associé chez ARSIS Avocats  et cofondateur du think tank Néos